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La frontière tuniso-libyenne, victime des combats d’influence pour l’ouest libyen

Des affrontements entre deux groupes se revendiquant du Gouvernement d'union nationale ont éclaté vendredi au point de passage le plus important entre la Tunisie et la Libye
Le Zintani Oussama Jouili a attaqué vendredi le poste-frontière de Ras Jedir pour tenter de déloger les hommes de Zouara en affirmant vouloir « sécuriser la région » (Facebook)

Trois morts, douze blessés et la frontière fermée pendant 24 heures, c'est le résultat des combats qui ont éclaté vendredi matin à l'aube dans une zone limitrophe entre la Tunisie et la Libye. Une coalition de groupes armés, menée par le Zintani Oussama Jouili, a attaqué le poste-frontière de Ras Jedir pour tenter de déloger les hommes de Zouara, ville amazigh (berbère) située à 60 kilomètres de là, qui contrôle le lieu depuis la révolution de 2011. Oussama Jouili aurait finalement retiré ses forces mais reste dans la région avec son artillerie lourde. Un cessez-le-feu a été déclaré et samedi, le poste a rouvert normalement.

Sur la chaîne libyenne 218 TV, Oussama Jouili a affirmé vouloir « sécuriser la région ». Sur une radio locale, il a précisé vouloir « établir le contrôle de l’État » sur la route vers la frontière et appelé à réduire « trafics et conflits ».

Zouara, qui fut jusqu'en 2015 un point de départ important des migrants vers l'Europe, est accusée d'être impliquée dans la contrebande de carburant par bateau vers Malte, et par la route vers la Tunisie. C'est d'ailleurs les échanges transfrontaliers et la contrebande qui font vivre essentiellement la région, du côté libyen comme du côté tunisien.

« Zouara ou Jouili, c'est la même chose. Ils ne sont là que pour le business et créer des problèmes »

- Abdallah, un habitant

Les Zintanis, eux, participent à ce commerce un peu plus au sud. De là à penser qu'il s'agit d'une simple lutte d'influence sur un marché juteux, il n'y a qu'un pas. Pour Abdallah, habitant de la zone, contacté par Middle East Eye, cela ne fait aucun doute : « Zouara ou Jouili, c'est la même chose. Les deux groupes sont aussi mauvais l'un que l'autre. Ils ne sont là que pour le business et créer des problèmes. »

Politiquement en tout cas, les deux groupes sont censés représenter aujourd’hui le même camp, celui du Gouvernement d'union nationale (GNA) reconnu par la communauté internationale.

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Il y a deux ans, ils étaient pourtant opposés. Durant l'été 2014, Zouara avait soutenu la coalition islamo-conservatrice de Fajr Libya. La victoire de cette coalition en Tripolitaine, avait permis au fief berbère d'enraciner son influence à la frontière. À l'inverse, les Zintanis, ennemis jurés, avaient dû se contenter du point de passage de Dehiba, plus au sud et beaucoup moins fréquenté.

Sécuriser l’ouest du pays

Mais Zouara ne s'est pas opposée à l'arrivée du GNA à Tripoli, au printemps 2016. Fatigués des divergences politico-militaires, les Amazighs penchent aujourd'hui pour un consensus. D'autant plus que Fajr Libya s'est disloquée. Cette même année, Fayez al-Sarraj a nommé le brigadier-général Hafez al-Ghali, originaire de Zouara, pour protéger Ras Jedir.

Le major-général Oussama Jouili, ancien ministre de la Défense et chef militaire de Zintan, a quant à lui été nommé, en juin dernier, par Fayez al-Sarraj, Premier ministre du GNA. Sa mission : sécuriser la partie ouest du pays. En novembre, il était déjà intervenu dans la zone de la tribu des Wershefanas, autour de Tripoli.

Traduction : « Brève actualisation #RasJedir : selon la version officielle à #Zouara ce soir, ce sont les négociations entre Jouili de #Zintan et la sécurité à #Zouara qui ont conduit à une cessation des hostilités qui devrait probablement tenir. Elle tiendra probablement… jusqu’à ce qu’elle ne tienne plus. »

« Rien n'indique pour autant que le GNA a autorisé cette opération », indique un observateur étranger à MEE. « Il est d'ailleurs probable que Jouili ait reçu, vendredi, un soutien logistique de l'Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar [bras armé du gouvernement de l'est libyen, rival du GNA]. Les troupes de l'ANL sont positionnées non loin de là, sur la base militaire d'Al Watyah, quasiment à mi-chemin entre Zintan et ce poste-frontière. » 

Le chercheur Jalel Harchaoui résume sur twitter : « Jouili, comme Tajouri [chef d'une brigade à Tripoli] et les autres, travaille pour lui-même, pas pour le GNA. »

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Zintan, ville bedouine située à 230 kilomètres au sud-est de Ras Jedir, a acquis après 2011 un statut de fief révolutionnaire, notamment grâce à la capture de Saïf al-Islam Kadhafi, le fils du dictateur déchu. Lors du conflit de 2014, la ville s'est opposée à Fajr Libya et a pris parti pour Khalifa Haftar.

Oussama Jouili, alors chef militaire de la ville, a cependant choisi une position plus balancée. « Il fait partie de ce qu'on appelle la ‘’frange révolutionnaire’’ », explique un journaliste local joint par téléphone. « C'est-à-dire qu'il se méfie beaucoup du retour des kadhafistes, notamment autour de Khalifa Haftar. Il a également encouragé les discussions entre Misrata [ville puissante au sein de Fajr Libya] et Zintan. Cette position lui a fait perdre de l'influence chez nous. » L’homme est allé assoir sa position en dehors de sa petite ville, profitant des divisions, et sachant très bien que Zouara ne recevrait pas d’aide de ses anciens comparses de Fajr Libya. 

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