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La ville des checkpoints : visite au cœur de la guerre civile yéménite

Taïz, lieu de naissance du Printemps arabe yéménite en 2011, est désormais une ville assiégée
Un combattant yéménite loyal au mouvement chiite houthi surveille un checkpoint de Taïz (AFP)

Taïz, une ville ancienne logée entre les falaises escarpées du centre du Yémen, a vu les premières manifestations contre l’ancien président Ali Abdallah Saleh éclater au début de l’année 2011.

Malgré la répression des forces de sécurité, le petit mouvement de contestation mené par des étudiants inspirés du Printemps arabe a pris de l’ampleur et s’est propagé à travers le pays, finissant par faire tomber le président Saleh.

Aujourd’hui, presque quatre ans plus tard, le Yémen s’est engouffré dans la guerre civile, et Taïz est à nouveau sous le feu des projecteurs. 

Les militants houthis, qui l’année dernière ont chassé le président yéménite désormais en exile Abd Rabo Mansour Hadi et saisi une grande partie du nord du pays, ont pris le contrôle de la ville à l’aide de blindés et d’armes pillés dans des bases de l’armée régulière.

Plusieurs mois de bombardements aériens par la coalition menée par l’Arabie saoudite n’ont pas permis de déloger les houthis, qui affirment occuper cette ville stratégique, située à 260 km au sud de la capitale Sanaa, pour restaurer la stabilité et éliminer les militants d’al-Qaïda.

Au cours des dernières semaines, la bataille pour Taïz entre les houthis et leurs opposants – des comités populaires armés qui accusent les houthis d’être soutenus par l’Iran et de chercher à mener un coup d’État militaire – a intensifié.

Quand un ami me dit que Taïz était devenue un champ de bataille entre les houthis et les comités locaux de résistance populaire, mes pensées allèrent tout de suite pour les civils piégés sur place. Que restait-il de la ville ?

Je décidai de m’y rendre en personne pour essayer de témoigner de ce que les gens vivaient au quotidien.

J’arrivai à Taïz en voiture à l’aube du 10 juillet. À l’entrée nord de la ville, dans un quartier délabré du nom d’al-Hawban, je fus arrêté à un checkpoint par des houthis armés. L’un d’eux, portant sandales et mawez, une robe traditionnelle nouée autour de la taille, me bombarda de questions (« De quelle zone de Taïz es-tu ? Quel est le nom du village de tes ancêtres ? Combien d’heures faut-il pour y parvenir ? ») pendant que son collègue essayait de confisquer les deux barils d’essence que j’avais dans mon coffre.

« Nous ne pouvons laisser entrer personne avec de l’essence, nous avons des instructions de notre chef », me dit-il.

Après avoir plaidé ma cause pendant une heure, expliquant que j’avais besoin de cette essence pour retourner plus tard à Sanaa, ils me laissèrent finalement passer.

Je dus ensuite me frayer un chemin à travers une douzaine de checkpoints, tous contrôlés par les houthis.

En m’enfonçant davantage dans la ville, secoué par les nids-de-poule et les embardées que faisait ma voiture pour éviter les débris – poubelles en décomposition, chiens morts, bris de vitres provenant des maisons bombardées –, je constatai que presque toutes les rues étaient bloquées par des sacs de sable et contrôlées soit par les houthis, soit par des milices locales connues sous le nom de « résistance populaire ».

Les supermarchés et les restaurants étaient clos. Les magasins de vêtements étaient abandonnés, leurs portes battant au gré du vent.

Beaucoup de ceux que je tentai d’approcher dans la rue pour m’enquérir de la situation m’ignorèrent. D’autres me dirent qu’ils avaient trop peur pour parler, me jetant des regards nerveux.

Lorsqu’à un rond-point un combattant houthi portant un bandeau rouge à la tête me demanda si j’étais journaliste, je répondis que non, les journalistes n’étant pas autorisés à travailler dans la ville sans permis.

« Ce ne sont pas tes affaires. Pourquoi tu poses des questions aux gens ? », me demanda-t-il. « Qu’est-ce que tu leur veux ? Tu es un espion ? »

Je lui dis que non et lui demandai comment me rendre au quartier d’al-Moroor, où j’avais l’intention de séjourner.

« Si tu veux aller à al-Maroor, tu devras y aller sans voiture mais je te conseille de quitter la ville, les civils ne sont pas en sécurité ici. »

Je suivis son conseil et partis pour al-Turba, une petite ville située à la périphérie sud de Taïz, où j’ai de la famille.

En quittant la ville, je passai devant plusieurs autres checkpoints contrôlés par les comités de résistance populaire. Moins bien armés que les houthis, ils se contentèrent de me laisser passer sans me questionner.

Les résidents de Taïz affirment qu’aucune aide ne leur est parvenue (AFP)

Fuir dans les collines

Pendant le Ramadan, les commerçants yéménites font habituellement de bonnes affaires. Mais cette année, dans la ville désertée de Taïz, seuls des hommes armés célèbreront la fête de l’Aïd qui marque la fin du mois de jeûne.

Les autres ont fui pour des villes comme al-Turba ou des villages situés dans les montagnes escarpées qui encerclent Taïz, où des milliers de personnes ont déjà trouvé refuge.

La première personne que je rencontrai à Turba fut Mohammed Fuad. Il était le gérant d’Al-Fuad Mall, un grand magasin de vêtements de la rue Gamal, dans le centre-ville de Taïz. Quand la guerre éclata, il ferma son magasin et s’enfuit.

« J’ai ouvert un nouveau magasin de vêtements à Turba. Je vais rester ici. Je ne fermerai pas ce magasin, même si la guerre prend fin », me raconta-t-il.

Les autres personnes que je rencontrai avaient visiblement du mal à accepter la situation.

« Je ne suis pas un déplacé. Je suis revenu dans mon village avec ma famille car Taïz n’est pas un endroit sûr pour nous », m’a confié un homme, prénommé Hilmi, qui logeait chez des cousins. « Nous rentrerons à Taïz quand ce ne sera plus dangereux là-bas. »

Dans une école primaire abandonnée, je fis la connaissance de Riyadh al-Qadasi, qui occupait les lieux avec une dizaine d’autres personnes. Il quitta Taïz en mai après qu’un obus se fut écrasé sur le toit de sa maison.

« À Taïz, je travaillais comme menuisier. Maintenant je n’ai plus de travail. Mais ici, les voisins de l’école nous ont accueillis à bras ouverts. Ils nous ont donné de la nourriture et tout ce dont nous avions besoin. »

Al-Qadasi vit avec sa femme et ses deux filles dans une des salles de classe de l’école. Il affirme qu’aucune ONG ou association caritative ne leur a porté secours.

Traduction de l’anglais (original).

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