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Le musée du Hezbollah : sanctuaire dédié à la résistance ou reflet de son agonie ?

Le musée du Hezbollah est un hommage à ses victoires militaires contre Israël, mais tous n’approuvent pas sa stratégie actuelle dans la région
Des enfants jouent et posent pour des photos sur une tourelle, qui fait désormais partie de l’exposition (MEE/Leila Molana-Allen)

AIN BOUSWAR, Liban – Au milieu des bosquets de cèdres et des agrumes du Sud-Liban se trouve le petit village d’Ain Bouswar, où l’on peut trouver un musée assez particulier, à environ un kilomètre.

« J’aimerais que le Hezbollah soit moins hypocrite »
– Hassan Chamoun, vidéaste de Beyrouth

Bienvenue à Mleeta, attraction touristique vedette du Hezbollah, le parti politique et milice libanais. L’entrée ressemble de manière troublante à celle d’un parc à thème.

De grandes enseignes lumineuses claironnent « Site touristique de Mleeta, où la terre parle aux cieux », et devant une entrée en pente se trouvent un guichet et un panneau d’information où est écrit que les armes et les feux d’artifice sont interdits.

« L’abysse », une galerie macabre du Hezbollah, montre une collection d’armes et de chars israéliens détruits et une fausse « tombe » de l’armée israélienne (MEE/Leila Molana-Allen)

Ce qui ressemble moins à un parc à thème, en revanche, ce sont les gardes de sécurité vêtus de ce qui ressemble beaucoup à des treillis militaires. Ils se mettent à couvert chaque fois qu’une caméra est pointée dans leur direction. Il n’y aura manifestement pas de selfies dans le style Mickey Mouse devant les portes.

Pour 4 000 livres libanaises (2,35 euros), les visiteurs peuvent voir de nombreuses attractions, toutes conçues pour marteler le message de la « Résistance » contre Israël. Le parti de Dieu libanais combat le voisin du sud – désigné comme « l’ennemi » – depuis sa création dans les années 1980.

Une visiteuse profite de la vue sur le sud du Liban depuis « la colline » (MEE/Leila Molana-Allen)

Un jardin conceptuel

Les expositions sont indubitablement révélatrices, bien qu’elles ressemblent souvent davantage à une galerie de sculptures en plein air qu’à un musée d’histoire militaire.

L’idée de verser la moindre livre libanaise au Hezbollah me gêne

– Hassan Chamoun, vidéaste de Beyrouth

Un agréable aménagement paysager entoure « l’abysse », emplie du butin apparemment récupéré dans le sud du pays après le retrait d’Israël en 2000 et après la guerre de juillet 2006.

La fosse de 3 500 mètres carrés est remplie de chars rouillés sur lesquels quelques lézards se prélassent, et est entourée d’un fil de fer barbelé à travers lequel volètent des papillons. Des tuyaux métalliques tordus entourent les véhicules, comme s’ils étaient piégés dans des toiles.

Une passerelle en spirale entoure la fosse, de sorte que les visiteurs semblent fouler aux pieds l’attirail situé dans l’abîme dessous. À côté des restes tordus d’un hélicoptère Yasour, un panneau décrit fièrement comment il a été « abattu par la Résistance dans la vallée de Marmeen pendant la guerre de juillet 2006 ».

De fausses défenses, du camouflage et des sacs de sable bordent « le chemin », censé marquer la ligne de front des combattants de la résistance du Hezbollah (MEE/Leila Molana-Allen)

Plus loin, « le chemin » est une allée de 650 mètres censée marquer la ligne où les combattants du Hezbollah se sont positionnés contre les forces israéliennes.

Cela ressemble presque à un sentier de randonnée forestier – sauf que de l’autre côté de la petite aire de repos, agrémentée de fontaines et de bancs, figure une exposition de soldats de cire qui lancent des missiles sol-sol.

Les installations méritent un cinq étoiles : des toilettes propres, une aire de jeux pour enfants et une boutique de cadeaux bien approvisionnée (quelqu’un veut-il acheter un bracelet arborant le visage du secrétaire du Hezbollah, Hassan Nasrallah ?)

Mleeta a vu 1,6 million de visiteurs franchir ses portes depuis son ouverture en 2010, bien que près de la moitié de ces visites se soient concentrées sur la première année.

Un reflet d’agonie

Même dans le monde sauvage de la propagande, il existe des raisons de remettre en question la justesse de Mleeta en tant que portrait du Hezbollah en 2017. Un rapport publié en mars par le think tank International Crisis Group (ICG) a déclaré que le Hezbollah s’était transformé « d’un “parti des opprimés” et d’un mouvement de “résistance” à Israël, basé et centré sur le Liban », en une force régionale puissante.

En d’autres termes, il a évolué par rapport à la façon dont il est présenté à Mleeta.

Un faux poste de surveillance équipé de jumelles militaires offre aux visiteurs une vue plongeante sur les collines de Mleeta (MEE/Leila Molana-Allen)

Hassan Chamoun, un vidéaste de Beyrouth, a déclaré avoir trouvé Mleeta intéressant lorsqu’il l’a visité en 2010, mais qu’il n’aurait jamais ne serait-ce qu’envisager de faire une seconde visite après l’implication du groupe en Syrie.

« J’aimerais que le Hezbollah soit moins hypocrite : il enseigne à ses partisans qu’il faut se rallier aux opprimés et non à l’oppresseur, mais il fait tout l’opposé, se ralliant à un oppresseur impitoyable, Assad, en ce qui concerne la Syrie », a-t-il déclaré à Middle East Eye.

Le Hezbollah était petit, mais aujourd’hui il est devenu fort et il ne va pas s’effondrer

– Ruba, 15 ans

Bien que les racines de Hassan Chamoun se trouvent dans le sud du Liban et qu’il soit fier de la résistance contre Israël, il refuse de verser quoi que ce soit au Hezbollah.

« À cette époque, comme la quasi-totalité des gens du sud, je les respectais. Plus maintenant », affirme-t-il. « Je n’y [retournerai pas] en raison de la nature de cet endroit et de la façon dont l’argent versé au musée va très probablement aux combattants. L’idée de verser la moindre livre libanaise au Hezbollah me gêne. »

Les forces du Hezbollah soutiennent le président Bachar al-Assad en Syrie, du moins publiquement, depuis 2013. Il a été signalé que le groupe forme également des militants irakiens et qu’il est également actif au Yémen. Le Hezbollah a nié son implication dans ces deux pays.

Des gardes de sécurité vêtus de treillis se cachent lorsqu’ils voient l’appareil photo (MEE/Leila Molana-Allen)

L’aile militaire du parti est largement considérée comme une organisation terroriste en Occident. En mars 2016, les monarchies du Golfe se sont rangées à cet avis et ont déclaré que le Hezbollah libanais était un groupe « terroriste ». Cela comprend Bahreïn, le Koweït, Oman, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

Un occupant impitoyable

De nombreux Syriens dans toute la région se sont opposés au Hezbollah. Le rapport de l’ICG a indiqué qu’ils étaient considérés dans certaines régions de la Syrie comme un « occupant impitoyable », en particulier par les Syriens favorables à l’opposition.

Ils accusent le parti libanais de soutenir un dictateur, d’assiéger des civils et d’employer des tactiques brutales sur les champs de bataille.

C’est notre rôle de préserver la mémoire afin que la prochaine génération connaisse l’histoire
– Ahmad Mansour, responsable de presse de Mleeta

« Bien sûr, je boycotte des endroits comme Mleeta », affirme Hussein Akoush, journaliste syrien de la province rurale d’Alep, qui vit désormais à Gaziantep, dans le sud de la Turquie. « Pourquoi devrais-je verser de l’argent au Hezbollah ? »

Comme pour de nombreux Syriens, son opinion sur le parti a radicalement changé.

« En 2006, j’étais ravi de voir le Hezbollah tuer nos ennemis et détruire leurs chars », raconte-t-il. « Même si j’étais alors enfant et que je n’avais aucune idée de la politique, j’étais fier de ce dont la télévision nationale était fière, il en allait de même pour mon entourage. Nous étions comme des marionnettes. Lorsque l’intervention du Hezbollah a commencé en Syrie, j’ai vu son soutien à Assad, puis ses abus contre des civils. À mon avis, ses membres sont devenus des tueurs, alors qu’il avaient été des héros pendant un certain temps », estime Hussein Akoush.

Toutefois, les guides de Mleeta ne sont pas d’accord.

« Même les Syriens du côté de l’opposition sont attirés ici », affirme Abou Abdallah, qui travaille comme guide à Mleeta depuis son ouverture. « Évidemment, ils savent que cet endroit est dédié au Hezbollah. »

« Les Syriens continuent à apprécier le Hezbollah », intervient son collègue Mohammed Malaki, un enthousiaste étudiant en informatique de 26 ans qui fait du bénévolat à Mleeta. « [L’État islamique] ne nous parle pas, mais certains [Syriens] sont venus à Mleeta pour nous connaître parce qu’ils n’ont pas d’autre façon de connaître le Hezbollah », a-t-il insisté.

Ahmad Mansour, responsable de presse du parc, admet des divergences d’opinions. « Certaines personnes, oui, vous savez… les Arabes, ils sont émotifs. Certaines personnes, ils connaissent des martyrs [combattants du Hezbollah tués en Syrie], qui ont une vingtaine d’années… et ils parlent. »

Il ne développera pas ce qu’impliquent ces « discussions ».

« On peut séparer le côté culturel du côté militaire, il le faut », déclare-t-il. « Le rôle du Hezbollah en Syrie est de défendre le Liban, de protéger le Liban, de sauver le Liban. »

« À mon avis, ses membres sont devenus des tueurs, alors qu’il avaient été des héros pendant un certain temps »
– Hussein Akoush, journaliste syrien de la province d’Alep

Si tel est le cas, qu’est-ce qui est le plus important maintenant : Israël ou la menace d’infiltration extrémiste depuis la Syrie ? Ils sont pareils, selon Mansour. « La résistance est partout, comme dans les discours de Sayyed Hassan [Nasrallah]. Nous sommes en Syrie, mais cela ne veut pas dire qu’Israël peut pénétrer au Liban. « 

Le Hezbollah aurait-il alors besoin d’une « attraction touristique » semblable en Syrie, exposant le butin soutiré à la branche d’al-Qaïda en Syrie et à l’État islamique ?

« Peut-être, pourquoi pas », se moque Ahmad Mansour en haussant les épaules. « En fait, c’est notre rôle de préserver la mémoire afin que la prochaine génération connaisse l’histoire. »

Le Hezbollah ne s’effondrera pas

D’autres visiteurs insistent sur le fait que le rôle du Hezbollah en Syrie n’est pas une distraction vis-à-vis de la défense légitime contre Israël.

« Le Hezbollah était petit, mais aujourd’hui il est devenu fort et il ne va pas s’effondrer », estime Ruba, 15 ans, originaire de Sur. « Mleeta est toujours pertinent : il montre le vrai visage du Hezbollah. Il faut ériger plus de monuments pour montrer ce qu’il fait pour protéger l’islam et le Liban de tous les côtés – des menaces en Syrie, d’Israël. »

Des femmes du sud du Liban en visite organisée pique-niquent à l’extérieur du site (MEE/Leila Molana-Allen)

Oum Mohammed, de la ville côtière de Sur, organise des visites en autocar dans tout le sud du pays et a visité Mleeta innombrable fois.

« Dans le sud du Liban, nous avons vécu notre enfance sous les missiles. La Résistance [les combattants du Hezbollah] nous a protégés d’Israël », dit-elle à MEE, sur le siège avant d’un car dans le parking de Mleeta. « Nous organisons des visites pour que les gens se souviennent du passé et comprennent. Ils pleurent quand ils viennent ici. »

Distractions régionales et militaires

Les plans d’agrandissement du site – un téléphérique menant à un ancien poste avancé israélien, par exemple – ne se sont pas encore concrétisés. Officiellement, c’est en raison d’un manque d’investisseurs, bien qu’Ahmad Mansour indique également que « la situation au Liban et en Syrie » cause des problèmes. Le Hezbollah a été un peu occupé ces derniers mois.

Encouragée par les appels du président Trump à entraver l’influence iranienne dans la région, la rhétorique est passée à la vitesse supérieure avec l’éventualité d’une nouvelle guerre entre le Hezbollah et Israël, onze ans après le conflit de juillet 2006.

Selon Ahmad Mansour, Mleeta serait une cible primordiale. Le parti de Dieu ne s’inquiéterait-il pas de la destruction de sa fierté et de sa gloire ? À Mleeta, l’humeur est incontestablement à l’orgueil démesuré.

« Oui, je pense qu’ils essayeraient de le détruire », affirme-t-il. Un an après l’ouverture du musée, Hassan Nasrallah était convaincu que le Hezbollah remportait déjà la guerre de la propagande, selon lui.

« Sayyed Hassan a été informé que nous avions reçu 750 000 visiteurs au cours de la première année », a poursuivi Ahmad Mansour. « On lui a demandé ce qu’il se passerait si le site était détruit. Et il a répondu, eh bien, 750 000 personnes connaissent la vérité et elles peuvent la répandre. L’ennemi peut essayer de le détruire. »

Alors que le soleil rougit les collines, les touristes d’Oum Mohammed sont parties, mais les gardes de sécurité en treillis sont encore là. Aux visiteurs de décider si Mleeta est fait ou non pour épater la galerie.

 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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