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Les Algériens et les Marocains pleurent « leur » Rachid Taha

Ils retiennent de lui « Ya Rayeh » et pas « Douce France » : pour les Algériens et les Marocains, Rachid Taha, décédé mercredi à 59 ans, est un artiste maghrébin avant d’être une figure du rock français
Punk, rock, grunge, pop, crooner... C'est un artiste complet que les Algériens et les Marocains saluent en Rachid Taha (Facebook/Page officielle)

ALGER et CASABLANCA (Maroc) – « Je me souviendrai toujours de ce jour où il m’a fait monter sur scène, au Cabaret sauvage, pour chanter avec lui un bout de ‘‘Rock the Casbah’’ et de ‘‘Ya Rayeh’’. C’était un moment inoubliable ».

En apprenant la mort du chanteur Rachid Taha, décédé d’une crise cardiaque dans la nuit de mardi à mercredi à l’âge de 59 ans, le comédien algérien Idir Benaibouche a bien du mal à trouver les mots pour dire toute sa tristesse.

« Un jour, il m’a dit : ‘‘L’Algérie est toujours dans mon cœur’’ »

- Idir Benaibouche, comédien

« Je l’ai rencontré en 2013, lors de la commémoration des 30 ans de la Marche pour l’égalité [aussi appelée Marche des Beurs]. Et puis nous sommes restés amis. La dernière fois que nous nous sommes parlé, c’était il y a un mois », confie-t-il à Middle East Eye. « C’était un vrai punk. J’aimais sa détermination, son courage et son amour pour l’Algérie. Un jour, il m’a dit : ‘‘L’Algérie est toujours dans mon cœur’’. »

https://twitter.com/Bl3d_Runner/status/1039838827492401153?ref_src=twsrc%5Etfw

Une chose est sûre, à lire les témoignages qui se succèdent sur les réseaux sociaux, les Algériens aussi le garderont dans leur cœur.

En particulier K. Smaïl, son ami et confident, journaliste algérien en charge de la culture pour le quotidien El Watan. « Nous sommes originaires de la même région, Mascara », raconte-t-il à MEE. « Un jour, il m’a appelé pour me dire : ‘‘Je veux te voir pour te dire quelque chose mais je veux te voir à Sig’’ [son village natal, à une cinquantaine de kilomètres d’Oran]. Alors je suis parti le retrouver. Je pensais qu’il allait me parler de projets musicaux ou personnels. Mais là, il m’a annoncé qu’il souffrait d’une maladie dégénérative. L’an dernier, nous avons passé une semaine ensemble dans la région, à arpenter les lieux de son enfance, à déconner, à manger du couscous et boire du lait caillé. Il était généreux. Humain. Illuminé », se souvient le journaliste qui, dans la perspective d’écrire un livre, a enregistré des heures et des heures de discussions avec le chanteur.

« Pour moi, il restera celui qui a internationalisé le patrimoine algérien en reprenant notamment ‘‘Ya Rayeh’’, un titre chaâbi [musique populaire algéroise] du chanteur algérien Dahmane El Harrachi, devenu un succès international. Ce que n’a pas réussi à faire Khaled », poursuit K. Smaïl.

Le 22 septembre, Rachid Taha devait d’ailleurs donner un concert à l’opéra de Lyon pour fêter les vingt ans de « Diwân », quatrième album du chanteur sur lequel figure, pour les Algériens, son titre le plus emblématique.

Car en France, où il est arrivé à l’âge de 10 ans, les médias retiennent plutôt de son répertoire l’adaptation de « Douce France » par son groupe Carte de séjour, formé en 1980, avec lequel il se fit le porte-drapeau de la communauté française d’origine maghrébine de seconde génération.

« Douce France », que le chanteur et compositeur français Charles Trénet créa en 1943 pour soutenir les expatriés de force durant la Seconde Guerre mondiale, Taha en fit l’hymne d’une jeunesse française métissée et tolérante.

Pour lutter contre les lois Pasqua visant à réguler l’immigration, Carte de séjour alla jusqu’à distribuer ce single aux députés à l’Assemblée nationale. Cette chanson fut aussi celle des meetings de la campagne présidentielle de François Mitterrand en 1988. 

« Il reste un chanteur malgré tout Algérien », insiste Sarah, une jeune Algéroise. « Même avec des notes occidentales, une touche algérienne se faisait toujours ressentir dans sa musique. »

Amrane, étudiant, la rejoint : « Son art, sa sensibilité artistique et sa simplicité manqueront au paysage musical algérien. Il évoque pour moi le raï chanté avec une voix à mi-chemin entre le rocker et le crooner. Unique en son genre. »

« C’est certain, il a marqué une certaine génération », admet Lounès, un réalisateur algérien qui l’a rencontré dans une discothèque parisienne dans les années 1990. « C’était un rockeur, avec tous ses excès, et indéniablement, un bon musicien. »

Rachid Taha, qui a grandi avec le punk et le rock, ne cessa par la suite d’y rester fidèle tout en y infusant de la musique orientale, comme avec sa reprise, en 2004, de « Rock the Casbah » de The Clash.

Amel Saher, journaliste à Oran, voit d’ailleurs en lui un « Curt Cobain du raï ». « Rachid Taha est l’artiste qui a introduit la culture grunge dans le rock. C’est un vrai rebelle et engagé contre certains codes sociétaux et cela se ressentait dans sa musique 100 % rock. C’est pour ça que ma chanson préférée est ‘‘Barra Barra’’ ! »

https://twitter.com/AbdelHidouche/status/1039841860037029888?ref_src=twsrc%5Etfw

Pour Hind Oufriha, journaliste en charge de la culture pour le quotidien L’Expression, à Alger, qui a eu l’occasion de l’interviewer en 2006, impossible aussi d’oublier « ce gars simple et chaleureux ». « En 2013, après un concert, je l’ai revu dans une after, dans un cabaret où il a chanté alors que ce n’était pas prévu, à notre plus grand bonheur ! », raconte-t-elle à MEE

« C’est une grande perte et pour moi, il faut regarder du côté de Sofiane Saadi [chanteur de Sidi Bel Abbès dont le groupe Mazalda rencontre de plus en plus de succès] pour trouver la relève. Ce que je retiendrai de Taha, c’est sa façon unique de chanter, avec sa dégaine déglinguée… C’est un artiste à part entière, à la Gainsbarre ! »

Le chanteur, lui, se définissait comme un « chaâbiste », comme il l’explique au quotidien algérien Liberté en 2006. « Je suis pour la musique populaire. Le chaâbi fait partie de la musique au même titre que la musique country américaine. Et n’en déplaise aux Algérois, le chaâbi vient du Maroc. D’ailleurs, les grandes figures du chaâbi, notamment El Anka, sont très influencées par la culture marocaine et c’est Dahmane El Harrachi qui a donné un timbre algérois à la musique chaâbie. »

Au Maroc, justement, où Rachid Taha était très populaire, sa disparition est aussi largement commentée sur les réseaux sociaux.

« Je l’ai rencontré en janvier 2017 lors du Forum citoyen Eurolab qui se tenait à la Machine du Moulin rouge à Paris. Je finissais de modérer une conférence sur la révolution culturelle au Maroc lorsque les organisateurs m’ont invitée à prendre une coupe de champagne dans la loge. Il était là, assis sur sa chaise, enveloppé dans son manteau noir et son chapeau de sorcier », raconte à MEE Nadia Lamlili, ex-rédactrice en chef MENA pour Jeune Afrique

« Il faut rencontrer Rachid Taha pour sentir le karma de cet écorché vif, le groove, la personnalité, le corps abîmé d’un déraciné qui chantait sa ‘‘Douce France’’ en s’accrochant à ses nostalgies algériennes. Rock à souhait. Rock à n’en plus vouloir quitter les lieux, juste l’écouter, écouter ses silences qui parlent et ses rires rauques », poursuit-elle.

« Il m’a reconnue à mon accent marocain, m’a dit qu’il aimait beaucoup le Maroc où il se rendait assez souvent. Il allait se produire le lendemain à Bobigny avec le Couscous clan, énième fresque post-punk d’un dandy nocturne mort dans son sommeil… »

Jules Crétois, journaliste, se souvient aussi d’une rencontre à Marrakech : « Rachid Taha voulait aller au cabaret. Je l’ai suivi. Dans la boîte, un gars l’a dessiné et lui a offert le dessin. Des hommes le suivaient partout, voulaient payer pour lui. J’en ai même vu qui lui embrassaient la main. Mais lui voulait surtout danser avec les filles, qui n’avaient pas l’air très intéressées ! Il était habillé en djellaba et en bottes Santiag, ce qui n’avait aucun sens », se souvient-il en précisant : « Rachid Taha disait que ses fans marocains étaient particulièrement attentionnés. »

En 2016, Rachid Taha avait reçu une Victoire de la musique pour l’ensemble de sa carrière. Il s’apprêtait à sortir un nouvel album, dont le premier morceau devait s’intituler… « Je suis Africain ».

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