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« Les réfugiés sont des combattants de l’EI déguisés » : la chasse aux migrants d’une milice bulgare

La milice d’extrême droite BNO Shipka prétend défendre l’UE contre le terrorisme de l’État islamique, la guerre civile et l’éclatement social en arrêtant et expulsant les réfugiés
Un membre de BNO Shipka monte la garde pendant que des réfugiés sont « escortés » à travers une forêt bulgare (photo mise à la disposition de MEE)

Grimpant à travers la brousse dense des régions frontalières entre l’UE et la Turquie, une file de réfugiés épuisés serpente à travers un passage vallonné avant de s’arrêter dans une zone boisée ; chacun dépose ensuite devant soi ses maigres possessions.

Les regards ne reflètent pas le soulagement que procure une randonnée touchant presque à sa fin – ce n’est pas une pause dans leur marche pour fuir la guerre et la pauvreté. Au lieu de cela, les réfugiés regardent fixement, l’air embarrassé, l’appareil photo et les hommes masqués autour d’eux, tous vêtus d’un treillis militaire et armés pour certains d’une machette, qui les ont « escortés » jusqu’à cet endroit.

Ils pourraient bientôt être « refoulés » vers la Turquie par ces mêmes hommes, des membres d’une milice d’extrême droite qui pense sauver l’Europe d’un « tsunami » de 77 millions de réfugiés et de l’infiltration de combattants de l’État islamique.

Bienvenue dans la Bulgarie de 2016. Un État membre de l’Union européenne où une milice appelée « Mouvement national bulgare Shipka » (BNO Shipka) est ouvertement tolérée par le gouvernement. Engagés à expulser ceux qui fuient le Moyen-Orient et l’Afghanistan, ils constituent souvent le comité d’accueil des réfugiés aux frontières de l’UE.

Vladimir Rusev, président exécutif de Shipka et commandant en chef de l’Union militaire Vassil Levski qui lui est rattachée, dresse un tableau effrayant de la tempête à venir dans l’UE : des attentats terroristes, une guerre civile et l’éclatement social de tout un continent, à cause de civils fatigués armés de sacs à dos et de bouteilles d’eau.

« Les migrants en provenance d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient qui viennent en Europe illégalement représentent une énorme menace pour les citoyens européens et les nations, explique-t-il à Middle East Eye. Les immigrés sont [pour la majeure partie] des combattants de l’État islamique. »

« En Turquie, il y a sept millions de migrants qui attendent d’envahir les nations européennes unies, et chaque jour, de plus en plus arrivent, alors qu’en Afrique, il y en a 70 millions de plus. »

« Le système social de l’Europe va bientôt éclater ; s’ensuivra alors une guerre civile, tandis que les attentats terroristes perpétrés par des combattants de l’État islamique arrivés sous le déguisement de "réfugiés" vont se multiplier. »

Pour les réfugiés et les migrants qui tentent de rejoindre l’Europe, les dangers d’un voyage en mer sont bien documentés. Plutôt que de risquer la noyade, dont la probabilité est estimée à environ une chance sur 100, beaucoup ont choisi d’entrer dans l’UE par sa frontière terrestre avec la Turquie. Certains tentent d’entrer en Grèce, mais se retrouvent souvent bloqués à la frontière macédonienne fortement gardée.

Il reste alors une alternative : la frontière turco-bulgare, longue de 249 kilomètres. Vallonnée et fortement boisée, elle ne reste que partiellement clôturée.

Selon le ministère bulgare de l’Immigration, 200 à 300 personnes sont capturées chaque semaine par la police et les gardes-frontières en tentant de franchir cette frontière. D’autres tombent entre les mains de groupes paramilitaires comme BNO Shipka ou l’Union militaire Vassil Levski.

Ces groupes, les plus grands des quelques groupes paramilitaires anti-migrants qui opèrent aujourd’hui en Bulgarie, patrouillent conjointement dans les zones frontalières pour trouver des migrants clandestins. Rusev revendique 30 000 membres, dont 800 sont opérationnels à tout moment.

Sur son site, Shipka s’associe à Knights Templar International, elle-même rattachée à divers groupes fascistes et islamophobes, dont Britain First au Royaume-Uni et la femme politique allemande d’extrême droite Tatjana Festerling, qui a été exclue du groupe anti-migrants Pegida après avoir déclaré que les réfugiés devaient être abattus aux frontières de son pays.

BNO Shipka revendique 30 000 membres, dont 800 sont opérationnels à tout moment (photo mise à la disposition de MEE)

Au-delà du caractère incendiaire de leur rhétorique et de leurs revendications, ces groupes opèrent sur le terrain de manière plus pragmatique. Les patrouilles seraient effectuées sans armes, à l’exception d’armes d’airsoft utilisées pour encourager les migrants à les « respecter ». D’autres militants, comme le montrent des preuves vidéo, ont avec eux de grands couteaux de chasse.

Ils sont accompagnés par des communicateurs et des médecins arabophones et affirment fournir aux femmes et aux enfants de la nourriture et des médicaments. Ils soulignent également qu’ils n’appréhendent que les « migrants illégaux » et qu’ils appliquent des procédures distinctes pour ceux qu’ils estiment être des « Syriens ».

Mais leurs méthodes sont souvent illégales en vertu de la législation de l’UE. Alors que certains des migrants et des réfugiés qui sont capturés sont remis à la police, d’autres sont renvoyés de l’autre côté de la frontière turque.

Les « refoulements » ont été interdits par les États membres de l’UE en 2014. Bien que ces groupes paramilitaires prétendent que ces migrants retournent « volontairement » en Turquie, cette information n’a pas pu être vérifiée de façon indépendante.

En dépit de cela, les autorités locales semblent fermer les yeux sur les agissements de ces groupes.

« Les groupes militaires sont tolérés par le gouvernement bulgare ; ces groupes sont très rarement contrôlés et travaillent de concert avec la police », a expliqué Mathias Fiedler, du groupe de recherche Bordermonitoring.eu.

D’après Jelena Sesar, d’Amnesty International, la tolérance gagne les plus hautes sphères du gouvernement bulgare.

« Les autorités bulgares ont non seulement échoué à condamner les groupes d’autodéfense, mais elles les ont tout d’abord encouragés activement, affirme-t-elle. Le Premier ministre a félicité publiquement certains de ces groupes pour leur "excellent travail". »

Ce n’est qu’après que plusieurs vidéos montrant le traitement brutal réservé aux migrants irakiens et afghans ont fait surface que les autorités ont condamné l’arrestation de citoyens, qui est illégale en vertu du droit bulgare.

Réfugiés arrêtés par une patrouille de BNO Shipka (capture d’écran)

Malgré cela, les arrestations de migrants et de réfugiés par ces groupes paramilitaires ont continué, comme en témoignent les vidéos publiées presque quotidiennement.

Frontex, l’agence européenne chargée de la police aux frontières, n’a pas été en mesure de fournir de détails sur les arrestations ou les refoulements effectués par ces groupes, bien que des effectifs importants de l’agence soient déployés le long de cette frontière.

Les autorités frontalières bulgares sont elles-mêmes accusées par Amnesty International de procéder à des « refoulements ».

« Lors d’entretiens réalisés avec des migrants et des organisations de défense des droits de l’homme au cours de notre récente visite en Bulgarie, nous avons entendu des récits concordants faisant état de "refoulements" sommaires de migrants et de réfugiés, d’abus généralisés et de vols commis par la police aux frontières. »

Ces agissements sont à peine niés par le gouvernement bulgare, le Premier ministre s’étant vanté d’avoir renvoyé 26 000 migrants en Turquie en 2016.

En août, la Bulgarie s’est attiré une condamnation cinglante de la part du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad al-Hussein, pour le traitement « inhumain et inacceptable » réservé par le pays aux réfugiés.

« Les attaques et les abus contre les migrants et les réfugiés sont rarement punis, voire jamais, surtout si ces faits sont commis par la police, les gardes-frontières ou d’autres responsables du gouvernement », a-t-il déclaré.

« Le gouvernement bulgare n’agit pas suffisamment pour s’opposer à ces tendances alarmantes – en effet, de l’avis de certains, celui-ci encourage en réalité l’intolérance. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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