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Libye : face au chaos, la solution d’un retour à la monarchie

Cinq ans après la mort de Mouammar Kadhafi, la Libye ne parvient pas à trouver la stabilité. Pour redresser le pays, certains envisagent la réinstauration de la Constitution de 1951. Et donc, du roi.
Le prince de Libye en exil, Mohammed Senoussi, en avril 2011 au parlement européen à Bruxelles, où il s'était engagé à « faire tout son possible pour créer un État démocratique » (AFP)

TRIPOLI  Le roi des rois d’Afrique (comme Mouammar Kadhafi voulait qu’on l’appelle) pourrait-il finalement être remplacé par un roi de Libye ? C’est en tout cas ce qu’espèrent certains Libyens. Et les derniers événements à Tripoli pourraient leur donner raison.

Vendredi 14 octobre, un groupe issu de l’ancien gouvernement pro-islamique, a pris possession des locaux de l’ancien parlement, devenu conseil d’État.

Ce « gouvernement du salut national », mis en place de facto en septembre 2014 avait été remplacé fin mars 2016, par le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, né de l’Accord politique libyen (APL) signé à Skhirat, au Maroc, en décembre 2015 sous l’égide de l’ONU.

Premier ministre du « gouvernement du salut national », Khalifa al-Ghweil n’avait jamais admis la dissolution de son cabinet. Le 14 octobre, il a appelé ses ministres à reprendre le travail. Depuis, la situation reste très confuse dans la capitale. Mais le constat est là : avec le gouvernement d'el-Beïda, à l’est, trois personnes se considèrent aujourd’hui Premier ministre de Libye. Et chacun d’entre eux rencontrent des oppositions au sein même de leur camp.

Entre les pro-Haftar (bras armé du gouvernement d’el-Beïda), les pro-GNA, les partisans de négociations intra-libyennes qui soutiennent Khalifa al-Ghweil, les fédéralistes et les islamistes, un courant émerge peu à peu : celui des monarchistes. Il n’est pas récent mais plus la situation politique se complexifie, plus ses partisans se font entendre.

« Le GNA va faire un flop »

L’un d’eux, Mohamed, haut-fonctionnaire, habite Tripoli. « Un cerveau, c’est mieux que des centaines », résume-t-il à Middle East Eye en faisant référence ici aux deux assemblées libyennes : la Chambre des représentants de Tobrouk (à l’est), élue en juin 2014, qui est le parlement reconnu par la communauté internationale et le congrès général national élu en juillet 2012 que les accords de Skhirat ont transformé en conseil d’État, qui fait office de Chambre haute. À celles-ci s’ajoutent les trois gouvernements, dont le Conseil présidentiel, ce cabinet resserré du GNA qui possède neufs membres aux convictions différentes.

Dès avril dernier, Fathi Sikta, membre du Mouvement national pour le retour à la légitimité constitutionnelle constatait : « Le GNA va faire un flop. Il ne peut pas réussir. Dans le conseil présidentiel, il y a six membres qui ont des pouvoirs vitaux et chacun a une approche idéologique différente. On ne peut pas avoir six chefs dans une telle situation. »

L’homme originaire de Derna (à l’est) note également que l’assemblée constituante, élue en avril 2014, est elle aussi « en échec ». Dans cette situation, Mohamed Abdelaziz, qui fut ministre des Affaires étrangères de 2013 à 2014, aussi membre de la même organisation, explique à MEE : « Si on continue sur ce chemin, nous allons vers une guerre civile et la partition du pays ».

Mohammed Senoussi, un homme très discret dans les médias

Mais alors, que proposent les monarchistes ? Le Mouvement national pour le retour à la légitimité constitutionnelle demande la remise en place de la Constitution de 1951, amendée en 1963 (pour mettre fin au fédéralisme) et abrogée par Mouammar Kadhafi, le guide libyen qui se rêvait en roi des rois d’Afrique, en 1969. « La Constitution a été suspendue par la force. Il semble normal qu’elle soit réinstaurée après le départ du dictateur », justifie Fathi Sikta.

Réinstallé, le texte provoquerait ainsi le retour du royaume libyen qui a vu le jour à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. La Libye, jusque-là colonie italienne, est alors divisée par les alliés en trois. Le Royaume-Uni installe une administration militaire en Tripolitaine (à l’ouest) et en Cyrénaïque (à l’est). La France met en place sa propre administration dans le Fezzan (au sud).

En 1949, Idris Senoussi, chef de la confrérie religieuse Senoussi, proclame avec le soutien des Britanniques l’indépendance de l’émirat de Cyrénaïque. Le 21 novembre 1949, l’Assemblée générale des Nations unies adopte une résolution stipulant que la Libye doit devenir un État indépendant.

Après des élections législatives, les Libyens décident d’offrir la couronne à Idris qui règnera donc de 1951, après l’adoption de la Constitution, jusqu’en 1969.

Idris Ier vient tout juste d’abdiquer en faveur de son neveu, Hassan Reda, lorsque Mouammar Kadhafi prend le pouvoir par la force le 1er septembre 1969. Les deux monarques sont morts en exil. Aujourd’hui, c’est le fils de Hassan, Mohammed Senoussi, considéré comme l’héritier du trône. Très discret dans les médias, l’homme, qui vit à Londres, a tout de même laissé entendre qu’il accepterait la charge si ses compatriotes le lui demandaient.

Une monarchie adoptée par… référendum !

Fathi Sikta ne tarit pas d’éloges à son sujet. Pour le Tripolitain, Mohammed Senoussi, qui a fêté ses 54 ans ce 20 octobre - date anniversaire de la mort de Mouammar Kadhafi - ne peut que faire consensus : « Nous avons un héritier. C’est la personnalité que tous les Libyens accepteront. De plus, il n’a pas d’appartenance territoriale. Sa mère est de Tripoli, il est né à Tripoli, mais sa famille est originaire de l’est. Et il a toujours pris part à des actions, partout dans le monde, contre Kadhafi ».

En se basant sur la Constitution de 1951, le nouveau roi aurait alors à nommer un Premier ministre qui constituerait un gouvernement. Deux chambres seraient formées : un parlement et un sénat de 24 membres. Fathi Sikta estime naturel que celles-ci soient composées par les élus de la Chambre des représentants de Tobrouk et du Congrès général national de Tripoli.

La Libye est dirigée, sur le terrain, par les groupes armés. Ici, à Sabratha, dans l'ouest libyen, le 30 avril 2016 (MEE/MarylineDumas)

Mohamed Abdelaziz, qui dit être en contact avec le prince, précise tout de même : « Ce serait d’abord pour une période de transition de trois ou quatre ans. Le temps de moderniser la Constitution, de stabiliser le pays, d’instaurer un bon système judiciaire, la paix sociale et d’éviter l’éclatement du pays. Ensuite, nous prévoyons l’organisation d’un référendum où les gens décideront si oui ou non, ils veulent un roi. »

Une tête couronnée pour unir la Libye, au moins quelques années, les Libyens l’accepteront-ils ? A Tripoli, l’évocation d’un retour à la monarchie fait encore sourire. Lorsqu’elle n’agace pas. Ahmed, un habitant de la capitale, est catégorique : « Nous avons connu quarante-deux ans de dictature. Nous n’avons pas fait la révolution pour nous retrouver avec un roi ! »

Quoi qu’il en soit, le Mouvement national pour le retour à la légitimité constitutionnelle discute avec les deux parlements libyens. Et même avec l’ONU. « Cela pourrait devenir le plan B », lâche Fathi Sikta. Officiellement pourtant, le représentant des Nations unies en Libye, Martin Kobler, ne cesse de répéter que « l’Accord politique libyen est le seul cadre ».

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