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« Nous refusons d’abandonner » : les bédouins de Jabal al-Baba se battent pour rester

Les membres de cette communauté palestinienne craignent pour leur avenir alors que l’expansion d’une colonie israélienne les menace d’un transfert forcé
Suleiman Kayed Jahalin habite à Jabal al-Baba depuis les années 1970 (MEE/Sherel Khalel)

JABAL AL-BABA, Cisjordanie occupée – Les habitants les plus anciens de Jabal al-Baba se souviennent clairement de la vue des collines vallonnées et boisées qui s’offrait à eux avant que la colonie illégale de Maale Adumim ne soit construite.

« Quand j’étais petit, il y avait juste des montagnes et des arbres, comme dans une jungle », a déclaré à Middle East Eye Suleiman Kayed Jahalin, qui vit dans la région depuis les années 1970 et qui est membre de la tribu des Jahalin, l’une des plus grandes communautés bédouines de Cisjordanie. 

Maale Adumim, construite à l’extrémité est de Jérusalem-Est occupée, a été fondée en 1975 et accueille aujourd’hui près de 40 000 Israéliens. Suleiman avait 5 ans à l’époque, mais la colonie n’a pas été construite du jour au lendemain et il a un souvenir clair des lieux avant que la colonie ne s’étende à l’horizon.

Les familles palestiniennes de Jabal al-Baba sont arrivées sur la montagne au début des années 1950, après l’expulsion des Palestiniens de ce qui est désormais Israël en 1948.

« Ils veulent nous déloger et nous prendre le peu qu’il nous reste »

– Suleiman Kayed Jahalin, habitant de Jabal al-Baba

« Nous sommes ici depuis plus de cinquante ans », a déclaré Suleiman, qui est partiellement aveugle en raison d’une grave maladie.

« Nous dépendons uniquement de nous-mêmes et de nos propres ressources, mais aujourd’hui, ils ont cette énorme colonie qu’ils veulent encore plus grande, alors ils veulent nous déloger et nous prendre le peu qu’il nous reste », a-t-il ajouté.

Jabal al-Baba se trouve dans le couloir E1, une section située en Cisjordanie occupée qui sépare Maale Adumim du reste de Jérusalem.

La majeure partie de la surface de plus de 12 kilomètres carrés du couloir E1, approuvé en 1999, a été déclarée terre d’État par Israël dans le cadre d’une « procédure douteuse sur le plan juridique », a déclaré dans l’un de ses rapports le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem.

La colonie israélienne illégale de Maale Adumim a été construite en 1975 (MEE/Sheren Khalel)

S’il était pleinement annexé, E1 relierait la colonie illégale de Maale Adumim à Jérusalem-Est occupée.

Au moins dix-huit communautés bédouines vivent dans le couloir E1, et Jabal al-Baba seul abrite environ 300 personnes.

La communauté n’étant pas reconnue par Israël, les habitants de Jabal al-Baba vivent sans électricité et doivent faire venir de l’eau par camions.

« Nous sommes bédouins, notre tradition est d’aller d’un endroit à un autre, nous n’avons rien demandé, nous dépendions de notre bétail et de la terre, mais Israël nous a expulsés du Néguev en 1948. Nous ne dérangions personne, nous menions une vie calme », a déclaré Suleiman.

« Mais cela ne leur a pas suffi : maintenant, ils veulent que nous quittions aussi cette terre », a-t-il ajouté.

Comme pour tant d’autres communautés bédouines, les forces israéliennes viennent souvent à Jabal al-Baba pour procéder à des démolitions ou remettre des ordres de démolitions futures.

« Nous ne pouvons pas agrandir notre communauté, nous ne pouvons rien réparer, nous ne pouvons pas construire de nouveaux abris pour nos enfants, a déploré Suleiman. Nous avons peur de construire de nouvelles choses parce qu’ils viennent nous menacer et détruire tout ce que nous faisons. »

Suleiman a expliqué que sa communauté devait également faire face à un climat constant de harcèlement et de peur.

« [Les enfants] se réveillent tellement effrayés, tellement apeurés par le bruit des soldats qui détruisent nos maisons et qui nous harcèlent »

– Suleiman Kayed Jahalin, habitant de Jabal al-Baba

« Ils viennent exprès à trois heures ou quatre heures du matin, quand tout le monde dort. Ils viennent avec des camions, des jeeps et des chars et cela effraie vraiment nos enfants, a-t-il affirmé. [Les enfants] se réveillent tellement effrayés, tellement apeurés par le bruit des soldats qui détruisent nos maisons et qui nous harcèlent. »

Cette année, les forces israéliennes ont démoli en moyenne 26 structures appartenant à des Palestiniens toutes les deux semaines. En 2016, les forces israéliennes ont démoli ou saisi un nombre record de 1 093 constructions appartenant à des Palestiniens dans toute la Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) ; la majorité de ces constructions se situaient dans des communautés bédouines.

« Nous resterons ici »

Fin avril, des jeunes et des activistes de la communauté se sont réunis et ont posé des pierres peintes en blanc sur un flanc de la montagne face à Maale Adumim, pour former un grand texte en arabe indiquant : « Nous resterons ici. » Les forces israéliennes sont venues détruire la structure à peine quelques heures plus tard.

Yusuf Salman Jahalin est un dirigeant de la communauté bédouine de Jabal al-Baba (MEE/Sheren Khalel)

Yusuf Salman Jahalin, un chef de la communauté bédouine de Jabal al-Baba, a fait part de son désaccord avec l’initiative des jeunes dans la mesure où celle-ci attirait une attention indésirable sur la communauté.

« Malheureusement, nous devons rester discrets, nous ne voulons être dérangés par personne et cela a provoqué les Israéliens, a soutenu Yusuf. Ils attendent toujours un quelconque prétexte pour venir nous causer des problèmes. »

« [Les soldats] viennent exprès à trois heures ou quatre heures du matin, quand tout le monde dort »

– Suleiman Kayed Jahalin, habitant de Jabal al-Baba

Yusuf a beaucoup de choses à dire sur les nombreuses fois où son habitation a été détruite et a affirmé que chaque saison comportait son lot de luttes. Sans refuge, il est presque impossible de survivre à l’hiver glacial, tandis qu’en été, la chaleur du soleil brûlant rend la vie sans abri insupportable.

« Après les démolitions, le gouvernement palestinien ou d’autres organisations nous apportent parfois des tentes, mais les Israéliens viennent et emportent aussi les tentes, a expliqué Yusuf. La vie est très difficile. »

La plupart des habitations de la communauté de Jabal al-Baba sont en métal ondulé. Quelques caravanes ont été offertes par l’Union européenne.

Mais même les caravanes de l’UE ont été démolies ou confisquées en fonction de l’humeur des forces israéliennes, a expliqué Yusuf.

Alors que Yusuf sait que le temps pourrait bien être compté pour sa communauté à Jabal al-Baba, il a une certaine foi dans les tribunaux israéliens, où la communauté espère gagner le droit de rester sur la montagne.

« On nous a dit officiellement qu’on avait l’interdiction de construire de nouvelles choses, mais nous n’avons pas de date exacte à laquelle ils souhaitent nous voir quitter complètement la zone, a-t-il affirmé. Nous attendons toujours les tribunaux. Les soldats viennent tout le temps et menacent de détruire toutes les constructions et de tous nous expulser, mais nous n’avons pas encore reçu de papiers pour cela, nous combattons encore. »

« J’ai vu cette colonie se développer tel un cancer et prendre toute la terre »

– Yusuf Salman Jahalin, habitant et chef de la communauté

En 2014, la communauté de Jabal al-Baba a déposé un appel contre les ordres de démolition qui affectent des centaines de foyers bédouins, dont beaucoup appartiennent à la tribu bédouine des Jahalin.

Shlomo Lecker, l’avocat qui représente la communauté, a indiqué à MEE que les procédures étaient « en cours » et qu’« aucune nouvelle évolution n’[était] attendue dans un avenir proche » concernant l’affaire.

En comptant celles qui vivent dans la zone E1, 46 communautés au total, et ce uniquement dans le centre de la Cisjordanie occupée, sont menacées d’être transférées par le gouvernement israélien. Cela représente environ 7 000 Palestiniens, dont 70 % sont des réfugiés enregistrés, selon l’Association for International Development Agencies (AIDA).

Une annexion « absolument cruciale » pour l’avenir d’Israël

Dans une tribune publiée en mars dans le Jerusalem Post, David M. Weinberg, directeur des affaires publiques au Centre Begin-Sadate d’études stratégiques de l’Université Bar-Ilan et conseiller principal du Tikvah Fund en Israël, a déclaré que l’annexion du couloir E1 était « absolument cruciale » pour l’avenir d’Israël à Jérusalem ainsi que pour sa « sécurité à long terme ».

Dans la mesure où les lobbies israéliens de défense de l’environnement sont parvenus à décourager la plupart des expansions de Jérusalem à l’ouest et que les villes palestiniennes de Bethléem au sud et Ramallah au nord entourent Jérusalem, l’expansion vers l’est est la seule possibilité, a expliqué Weinberg.

« C’est le dernier morceau important de terre non colonisée dans l’enveloppe de Jérusalem, a écrit Weinberg. C’est le seul endroit où des dizaines de milliers d’habitations peuvent être construites afin de surmonter la grave pénurie de logements qui touche Jérusalem. »

« Imaginez que c’est votre maison et que quelqu’un vous dit de tout abandonner, comment vous sentez-vous ? C’est humiliant »

– Yusuf Salman Jahalin, habitant et chef de la communauté

Jérusalem-Est, qui, techniquement, fait partie de la Cisjordanie – bien qu’elle se trouve à l’ouest du mur de séparation israélien – servait autrefois de centre urbain pour les habitants de Cisjordanie. Toutefois, après la construction du mur de séparation, les habitants de Cisjordanie ont été interdits d’accès à la ville et ils ne peuvent s’y rendre que s’ils disposent d’un permis difficile à obtenir.

Jérusalem-Est a été « séparée artificiellement » du reste de la Cisjordanie, selon B’Tselem.

« Cette séparation sera intensifiée avec la mise en œuvre du plan E1 », a précisé le rapport de l’ONG.

« Nous refusons d’abandonner »

Lorsque nous lui avons demandé s’il allait déménager de son plein gré s’il se voyait proposer une indemnisation pour se réinstaller, Yusuf a répondu par un « Non » retentissant.

« Absolument pas, nous ne bougerons pas d’ici, a-t-il martelé. Nous étions ici sept ou huit ans avant Maale Adumim. Cela fait très mal. J’ai vu cette colonie se développer tel un cancer et prendre toute la terre. »

« Mais nous refusons d’abandonner. Imaginez que c’est votre maison et que quelqu’un vous dit de tout abandonner, comment vous sentez-vous ? C’est humiliant », a-t-il ajouté.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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