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Pendant que le monde suit l’élection américaine, Israël fait de 41 enfants palestiniens des sans abri

La démolition de Khirbet Humsa a privé de foyer les trois quarts de la population de la communauté, en faisant « la plus grande opération de déplacement forcé » depuis plus de quatre ans selon l’ONU
Des enfants palestiniens jouent à côté de leurs maisons rasées dans le village bédouin de Khirbet Humsa, le 4 novembre (MEE/Akram el-Waara)
Par Akram al-Waara à KHIRBET HUMSA, Cisjordanie occupée

Au soir du mercredi 4 novembre, une pluie froide tombait sur les villes et villages palestiniens de Cisjordanie occupée, tandis que la première tempête de l’hiver balayait la région. 

Pendant que des centaines de milliers de Palestiniens en Cisjordanie se mettaient à l’abri des éléments chez eux, onze familles du nord de la vallée du Jourdain ont dû dormir à la belle étoile, avec juste une bâche pour se couvrir. 

« Alors que l’attention est tournée vers les élections américaines, Israël a choisi ce soir pour commettre un autre crime/le couvrir : démolir 70 structures palestiniennes, dont des habitations »

- Mohammad Shtayyeh, Premier ministre palestinien

Quelques heures avant que le front froid n’atteigne la Cisjordanie, les forces israéliennes avaient démoli le hameau bédouin de Khirbet Humsa, qui abrite 74 palestiniens, dont 41 enfants (l’un d’eux âgé de 3 mois seulement). 

« Nous étions sur le point de déjeuner lorsque des bulldozers sont arrivés soudainement, à 11 h. Des jeeps militaires et des soldats nous ont encerclés », rapporte à Middle East Eye Aisha Abu Awad (56 ans), qui berce sa petite fille de 3 mois, Hadeel. 

L’enfant gémit tandis qu’un vent froid transperce leur tente de fortune érigée à la hâte la nuit précédente pour les protéger de la pluie. 

« Puis ils nous ont dit d’évacuer avant de commencer à mettre toutes nos possessions à l’extérieur », raconte t-elle, ajoutant que les jeeps militaires étaient arrivées avec un bus d’ouvriers de l’Administration civile israélienne, une entité responsable de l’application des politiques du gouvernement israélien (notamment les démolitions de maisons) en Cisjordanie occupée. 

Alors que les soldats armés et que les ouvriers de l’Administration civile sortaient leurs effets personnels du logement de sa famille, sur le sol du sommet d’une colline, Aisha Abu Awad confie s’être sentie « humiliée ».

« Nous nous tenions là en pleurant sous la pluie, mais que pouvions-nous faire ? », s’interroge-t-elle, indiquant avoir regardé les bulldozers détruire son habitation, l’enclos du bétail de sa famille et leurs réserves d’eau. 

Le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh a accusé Israël d’avoir fait coïncider cette démolition avec le jour des élections aux États-Unis, profitant du fait que l’attention du monde était tournée ailleurs.

« Alors que l’attention est tournée vers les élections américaines, Israël a choisi ce soir pour commettre un autre crime/le couvrir : démolir 70 structures palestiniennes, dont des habitations », a-t-il tweeté. 

Aisha Abu Awad : « Nous sommes démunis face à l’occupation et le monde ne fait rien pour les arrêter » (MEE/Akram el-Waara)
Aisha Abu Awad : « Nous sommes démunis face à l’occupation et le monde ne fait rien pour les arrêter » (MEE/Akram el-Waara)

Selon le groupe de défense des droits de l’homme israélien B’Tselem, à Khirbet Humsa ont été détruits 18 tentes et cabanes qui abritaient les familles, 29 tentes et étables utilisées comme enclos pour le bétail, 3 hangars de stockage, 9 tentes utilisées comme cuisines, 10 toilettes portatives, 10 enclos pour le bétail, 23 réservoirs d’eau, 2 panneaux solaires ainsi que des abreuvoirs et des mangeoires pour le bétail. 

B’Tselem a ajouté que les forces israéliennes avaient également détruit plus de 30 tonnes de fourrage pour le bétail et confisqué un véhicule et deux tracteurs appartenant à trois des habitants.

« La pire démolition depuis des décennies »

Au lendemain de la démolition, les habitants de Khirbet Humsa, également connu sous les noms de Humsa al-Buqai’a et Humsa al-Fuqa, avec l’aide d’un groupe d’activistes locaux de la vallée du Jourdain, ont pu ériger des abris de fortune pour y dormir temporairement et protéger tous les effets personnels qu’ils avaient réussi à sauver avec des bâches en plastique pour les protéger de la pluie.

« [Israël n’a] même pas pris en compte le côté humanitaire, le fait qu’il y ait des bébés, des enfants, des personnes âgées et des femmes qui ont passé la nuit sans abri, sous la pluie »

- Ayman Gharib, activiste

Au matin du 4 novembre, alors que les activistes, accompagnés de responsables locaux et gouvernementaux, inspectaient les dommages, Ayman Gharib, un militant des Comités de résistance populaire, a décrit cette destruction comme « la pire campagne de démolition que nous avons connue depuis des décennies ».

« Ils ont complètement tout arraché », rapporte Gharib, « des salles de bain portatives aux appareils ménagers, leurs maisons, les enclos pour leur bétail… tout ce dont ces gens ont besoin pour vivre et survivre.

« [Israël n’a] même pas pris en compte le côté humanitaire, le fait qu’il y ait des bébés, des enfants, des personnes âgées et des femmes qui ont passé la nuit sans abri, sous la pluie », dénonce-t-il. « Il en va de même pour les animaux, les moutons et le bétail, qui ont également passé la nuit sous la pluie. »

L’activiste indique que les habitations ont été détruites par les forces israéliennes sous prétexte qu’elles se trouvaient dans une zone d’« entraînement militaire » et de « tirs », désignée ainsi par Israël en 1972.

Depuis des décennies, les habitants de Khirbet Humsa et de dizaines d’autres groupes de campements bédouins subissent démolitions et évacuations forcées lors des exercices d’entraînement militaire israéliens, qui ont lieu sur de vastes zones dans la vallée du Jourdain. 

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Cependant, les activistes comme Ayman Gharib affirment ce n’est qu’un prétexte pour dissimuler les véritables projets du gouvernement israélien dans la région : l’annexion et l’expansion des colonies.

« Israël prétend qu’il s’agit de zones militaires fermées, qu’il s’agit de terrains appartenant à l’État israélien et donc que les Palestiniens ne peuvent y vivre », explique-t-il. « Mais ces restrictions s’appliquent uniquement aux Palestiniens.

« Si un colon venait ici et décidait d’y établir un avant-poste [colonie illégale même selon le droit israélien], [le terrain] cesserait d’être une zone d’entraînement militaire », poursuit l’activiste, citant des exemples de colons israéliens ayant établi des avant-postes illégaux dans des conditions similaires dans la vallée du Jourdain.

La stratégie d’Israël dans la vallée du Jourdain, qui a été élaborée par le Premier ministre Benyamin Netanyahou pour l’annexion, est « parfaitement connue », estime Gharib. 

« C’est un schéma comportemental : Israël confisque des terres palestiniennes, en fait un terrain appartenant à l’État ou des zones militaires, et finit par les céder aux colons ou utilise alors la présence des colons comme prétexte pour l’annexion. »

Des agissements condamnés par l’ONU

Cette année est celle de tous les records en matière de démolition par Israël d’habitations palestiniennes dans les territoires occupés, même en pleine pandémie de COVID-19. La démolition de Khirbet Humsa a poussé ces chiffres déjà dévastateurs encore plus loin. 

Selon le Bureau des Nations unies pour les affaires humanitaires (OCHA) dans les Territoires palestiniens occupés, la démolition de Khirbet Humsa a privé de foyer les trois quarts de la population de la communauté, ce qui en fait « la plus grande opération de déplacement forcé » depuis plus de quatre ans.

Restes d’une habitation démolie à Khirbet Humsa, dans la vallée du Jourdain, le 4 novembre (MEE/Akram el-Waara)
Restes d’une habitation démolie à Khirbet Humsa, dans la vallée du Jourdain, le 4 novembre (MEE/Akram el-Waara)

Jusqu’à présent en 2020, les forces israéliennes ont détruit 689 bâtiments à travers la Cisjordanie et Jérusalem-Est, soit plus qu’en une année complète depuis 2016, d’après l’OCHA. Les démolitions de cette année ont privé environ 869 Palestiniens de foyer. 

« L’absence de permis de construire délivré par Israël est généralement citée comme raison, alors même que le régime d’urbanisme restrictif et discriminatoire israélien empêche presque toujours les Palestiniens d’obtenir ce type de permis. Les démolitions sont un moyen essentiel pour créer un environnement conçu pour contraindre les Palestiniens à partir de chez eux », a indiqué l’OCHA.  

La situation que connaissent les habitants de Khirbet Humsa n’est pas différente de celle à laquelle sont confrontés des milliers d’autres Palestiniens vivant dans la « zone C » de la Cisjordanie, qui est sous contrôle sécuritaire et civil total d’Israël. 

« En venant détruire ces tentes, Israël a envoyé un message aux Palestiniens d’ici : “Avec vos frères arabes, nous œuvrons contre vous” »

– Ayman Gharib, activiste

En plus d’être situé dans une zone militaire fermée, le terrain occupé par Khirbet Humsa a été placé dans la zone C telle que définie par les accords d’Oslo, le rendant ainsi inhabitable pour les Palestiniens qui possèdent pourtant les titres de propriété des terres, dont beaucoup résident dans la ville voisine de Tubas. 

Bien que les Bédouins vivant à Khirbet Humsa ne soient pas propriétaires de la terre, ils ont reçu au fil des ans la permission de l’habiter et de l’utiliser pour leur bétail, leur principale source de revenus. 

« Nous menons une vie simple : nous élevons des moutons et nous produisons du lait et du fromage pour vivre », raconte Aisha Abu Awad. « Nous vivons ici depuis des années, mais [les Israéliens] disent que la terre n’est pas aux Palestiniens. »

« Nous sommes impuissants face à l’occupation », poursuit-elle. « Et la communauté internationale ne fait rien pour les arrêter. »

Une annexion de facto

La vallée du Jourdain a été au centre des plans d’annexion des territoires palestiniens par Israël ces derniers mois. Benyamin Netanyahou et ses partisans de droite militent en effet en faveur d’une prise de contrôle de la vallée, qui possède l’une des plus grandes réserves d’eau de Cisjordanie et dont les terres sont extrêmement fertiles pour l’agriculture. 

Le projet israélien d’annexion de la vallée du Jourdain et d’autres vastes zones de la Cisjordanie a suscité des protestations locales et internationales, dans la mesure où une mise en œuvre unilatérale d’une souveraineté israélienne sur des terres palestiniennes occupées constituerait une grave violation du droit international. 

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En août, les Émirats arabes unis ont néanmoins annoncé la normalisation de leurs relations avec Israël, en échange, a promis Abu Dabi, de la fin de l’annexion.

Les activistes et groupes de défense des droits de l’homme palestiniens ont toutefois rapidement souligné que depuis l’accord de normalisation, l’annexion de facto s’était poursuivie sur le terrain sous la forme de démolitions de logements et de saisies de terres et s’était même intensifiée dans certains cas. 

« Les Émirats ont tenté de justifier la normalisation en prétendant qu’ils tentaient d’empêcher l’annexion », affirme Gharib. « Mais en réalité, l’annexion se poursuit, la colonisation se poursuit, les violations et les attaques des colons se poursuivent. 

« Israël continue d’agresser notre peuple. Et avec la normalisation, Israël a reçu le feu vert pour détruire, démolir et annexer en toute tranquillité. 

« Tout cela vise à expulser les familles palestiniennes de leurs terres », ajoute-t-il. « Et hier, en venant détruire ces tentes, Israël a envoyé un message aux Palestiniens d’ici : “Avec vos frères arabes, nous œuvrons contre vous”. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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