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Raqqa en ligne de mire

Les Forces démocratiques syriennes poursuivent l'opération « Colère de l'Euphrate » qui vise à libérer Raqqa de l’EI, cherchant à conquérir le stratégique barrage de Tabqa et les villages situés à l'ouest de la ville. La tâche exige que Kurdes et Arabes luttent ensemble malgré les divergences
Les YPG kurdes ont repris le château de Qalat Jabar de l'EI. Raqqa se trouve à quelques kilomètres. Syrie, le 7 janvier 2017 (MEE/Chris Huby/Agence Le Pictorium)

Kobané, SYRIE – Deux mois après le lancement de la première phase de l'opération « Colère de l'Euphrate » destinée à déloger les combattants de l'État islamique (EI) de leur bastion syrien, Raqqa, les Forces démocratiques syriennes (FDS), composées essentiellement de Kurdes issus des Unités de protection du peuple (YPG-YPJ) mais également de volontaires arabes, avancent village par village à l'ouest de la ville.

Cette première phase consiste à cerner Raqqa de toute part afin de couper les lignes d'approvisionnement des combattants de l'EI vers l'extérieur, notamment vers la région d'al-Bab.

Après avoir approché la ville par le nord en sécurisant les deux rives de la rivière Balikh, la deuxième partie de cette première phase, lancée le 10 décembre dernier, a en ligne de mire le barrage de Tabqa, en aval du lac Assad, en vue de compléter l'encerclement du bastion de l’EI par l'ouest. 

La deuxième phase consistera à entrer dans la ville. Dans le cadre d’un accord conclu entre les différentes composantes des FDS, les brigades arabes prendront alors toute leur importance, notamment Liwa Thuwar al-Raqqa (la Brigade des révolutionnaires de Raqqa), un groupe de combattants originaires de Raqqa qui bénéficie d'un fort soutien populaire parmi les habitants de la ville. L’objectif de l’accord était en effet de limiter l'influence des forces kurdes après la libération de la ville, en déléguant notamment son administration à ses habitants et en restreignant les SDF à un rôle purement sécuritaire pendant une période de transition.

Bien que Liwa Thuwar al-Raqqa ait annoncé peu de temps après le début de l’offensive son retrait des opérations, accusant les forces kurdes d’être revenues en arrière sur leur engagement à ce que la bataille soit conduite par la brigade et que les combattants viennent tous de Raqqa, ses hommes pouvaient être vus sur le terrain combattre avec les combattants kurdes des YPG.

De fait, alors que les SDF ont besoin de Liwa Thuwar al-Raqqa pour légitimer leur offensive sur la ville, la brigade arabe ne peut se passer non plus du soutien des SDF dans la mesure où elle ne compte que quelques centaines de combattants.

Une avancée rapide

Sur les champs de boue situés sur la rive orientale de l'Euphrate, l'avancée est rapide. Et pour cause, aucun abri naturel n'offre de refuge aux militants de l’EI contraints de battre en retraite. Dans le ciel, le bourdonnement des drones de la coalition contre l’EI dirigée par les États-Unis est permanent, les frappes aériennes opérées par les bombardiers américains ouvrant la voie aux FDS. 

Les convois des forces spéciales occidentales avancent sur les routes défoncées qui mènent jusqu'au front. Le plus grand secret est maintenu au sujet de leur rôle dans la région. Les médias ont interdiction de les approcher.

Ashton Carter, secrétaire américain à la Défense, a annoncé l'envoi de quelque 200 forces spéciales supplémentaires ainsi que des munitions en soutien aux FDS, portant à environ 500 le nombre de forces spéciales américaines présentes dans le nord de la Syrie.

« La coalition soutient les FDS par le biais d’entraînements et de conseils et en appuyant les opérations. Nous fournissons également un soutien matériel et aérien en frappant les positions djihadistes », a-t-il déclaré. Cinquante tonnes de munitions ont été livrées aux FDS pour cette opération, notamment des mortiers de 120 mm de fabrication américaine.

Portrait d’un groupe de soldats YPG dans le village de Shebher qui se trouve à quelques kilomètres de Raqqa. Ce dernier a été libéré la nuit précédente. Syrie, le 16 décembre 2016 (MEE/Chris Huby/Agence Le Pictorium)

Le stratégique barrage de Tabqa à portée de canon

Dans l'hiver syrien, les cadavres des combattants de l’EI sont conservés à température ambiante et exhibés comme des trophées. « Ce porc de Daech [l’EI] était le commandant de son unité. Nous avons d'abord libéré ce village, baptisé Shebher, sur la route de Raqqa », explique à Middle East Eye Ahmed Hussein, jeune combattant arabe exhibant fièrement sa mitrailleuse lourde vers le ciel, ceinture de balles en bandoulière.

« Lors de notre arrivée, nous avons tué quatre combattants, a-t-il ajouté. Ils essayaient de convoyer des véhicules. Nous avons mis la main sur de nombreux documents. »

Farhan Abou Asker, un commandant de Liwa Thuwar al-Raqqa, l'assure : « Nous avons d'ores et déjà avancé de 50 kilomètres. Il reste moins de 5 kilomètres avant que nous arrivions au barrage ».

La prise du barrage de Tabqa constitue une étape fondamentale avant l'entrée dans la ville de Raqqa. C'est lui qui fournit l’EI en électricité dans son bastion.

Depuis le village de Jabaar, bourgade composée d'une dizaine de maisons de terre battue, les combattants observent ce barrage qui constitue leur prochain objectif. « Nous sommes ici sur notre dernière position avant les lignes de Daech, explique à MEE Farhan Abou Asker. Nos camarades ont libéré ce village la nuit dernière et demain, nous continuerons notre avancée vers le barrage ».

Le barrage de Tabqa est le second plus grand barrage du Moyen-Orient et représente un enjeu stratégique majeur. Situé à 40 kilomètres à l'ouest de la capitale syrienne de l'auto-proclamé État-islamique, il est d’une importance cruciale et difficile à conquérir. Le bombardement de cette infrastructure constituerait une catastrophe écologique pour les territoires irakiens situés en aval du fleuve, et une catastrophe humanitaire pour la Syrie. En effet, en cas de destruction du barrage, de vastes territoires en Irak seraient inondés, alors que l'est de la Syrie serait privé d'électricité.

Dans les villages isolés, les combattants de l’EI ont systématiquement, avant leur fuite, détruit les infrastructures hydrauliques, notamment les châteaux d'eau. Cette destruction n'est pas anodine et prouve l'enjeu majeur que constitue la maîtrise de l'eau dans cette région. Les territoires traversés par l'Euphrate dépendent du fleuve, qui fournit l'eau nécessaire à l'agriculture dans l'ensemble de la région. En détruisant les châteaux d'eau, l’EI s'assure de compliquer le retour des habitants.

Un jeune soldat YPG regarde le corps d’un combattant de l’EI à quelques kilomètres de la ville de Raqqa. Syrie, janvier 2017 (MEE/Chris Huby/Agence Le Pictorium)

Le contrôle de l'eau est ainsi une arme politique. Le nom de code des opérations est à ce titre évocateur : l'opération « Colère de l'Euphrate » entre en concurrence avec « Bouclier de l'Euphrate », l'opération lancée le 24 août dernier par l'armée turque qui tente actuellement de conquérir la ville d'al-Bab, située à l'est d'Alep, avec l’appui de rebelles syriens issus de l'opposition à Bachar al-Assad et le soutien aérien de l'armée russe – soutien qui lui avait été refusé par la coalition internationale, provoquant une crise diplomatique majeure qui avait notamment vu Ankara remettre en cause l'utilisation de la base aérienne d’Incirlik par l'aviation américaine.

Depuis le lancement de l'opération contre la capitale syrienne de l’EI, les FDS ont conquis 97 villages situés au nord et à l'ouest de Raqqa. Vendredi 6 janvier, elles avaient mis la main sur la citadelle de Jabaar, vestige datant du XIe siècle.

Peu à peu, les troupes encerclent le bastion des militants de toute part. On peut donc s'attendre à une grande offensive sur la ville de Raqqa au printemps prochain. 

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