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Retour à Alep : « Je ne m’attendais pas à tant de destructions »

De nombreuses familles qui avaient fui la guerre reviennent dans la ville d’Alep, autrefois contrôlée par les rebelles, et découvrent les maisons, les écoles, les mosquées et les églises en ruines
Un garçon syrien marche au milieu des bâtiments en ruines à Alep en juillet (AFP)

ALEP, Syrie – Chaque matin, dans la fraîcheur des rues, des habitants d’Alep se rendent dans l’antique citadelle de la ville pour prendre des selfies ou des photos les uns des autres.

Les bâtiments alentour, notamment la mosquée des Omeyyades, sont gravement endommagés ou, comme les souks couverts, autrefois les plus grands du Moyen-Orient, complètement détruits. La zone a été disputée pendant une grande partie de la guerre.

Toutefois, la citadelle, centre symbolique de la ville, est restée relativement intacte, les marches de pierre de l’entrée escarpée sont toujours accessibles.

Près de 290 000 personnes sont revenues à Alep-Est depuis janvier, selon les responsables du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies

L’armée syrienne est parvenue à en garder le contrôle, bien que sa garnison ait été encerclée et assiégée pendant plusieurs mois. Le seul lien ténu avec l’ouest d’Alep sous le contrôle du gouvernement se faisait via des tunnels souterrains.

L’intérieur de la citadelle est toujours interdit aux civils mais les soldats permettent aux visiteurs de monter les marches par-dessus les douves engazonnées jusqu’à la monumentale porte ayyoubide du XIIe siècle.

Un panneau demandant de croire en Alep, sur la place, en contrebas de la citadelle endommagée par la guerre (MEE/Jonathan Steele)

« Je ne sais pas quoi penser. Je ne m’attendais pas à tant de destructions. Nous n’avions jamais imaginé que cela arriverait à notre ville, ni même à la Syrie », témoigne Oum Hamed, une femme d’âge mûr qui prend en photo ses trois filles sur les marches. Toutes les quatre portent des abayas noires. Elles ont quitté Alep-Ouest contrôlée par le gouvernement il y a plusieurs années et viennent juste de revenir en ville.

À proximité, sur la place en contrebas de la citadelle et devant un énorme panneau proclamant #Believe_In_Aleppo (Croyez en Alep), une autre femme, Oum Zakariyeh, conduit une poussette en compagnie de deux de ses filles mariées.

Ce n’est pas un pays pour les jeunes hommes

« Leurs maris sont en Turquie. Ils ne peuvent pas revenir à Alep sinon ils devraient rejoindre l’armée », précise-t-elle. Sa remarque explique l’un des aspects les plus dramatiques de la Syrie d’aujourd’hui. Elle est devenue un pays qui n’est pas fait pour les jeunes hommes. Dans les cafés, les restaurants et les rues, les jeunes hommes en civil ont presque disparu. Pour la plupart, la seule alternative est le service militaire ou l’exil.

Oum Zakariyeh vit à Zahra, la seule partie d’Alep encore en guerre. Les zones les plus détruites se situent dans la partie-Est, que l’armée syrienne et ses alliés ont repris aux rebelles en décembre avec l’aide de trois mois de bombardement russes incessants.

« Leurs maris sont en Turquie. Ils ne peuvent pas revenir à Alep sinon ils devraient rejoindre l’armée »

- Oum Zakariyeh

Cependant, Zahra, en périphérie de ce qui a toujours été la partie-Ouest d’Alep contrôlée par le gouvernement, est quotidiennement attaqué au mortier par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), le groupe de combattants lié à al-Qaïda qui s’est infiltré depuis la province d’Idleb.

Le reste d’Alep montre tous les signes d’une reconstruction graduelle. Pendant trois ans, il n’y avait pas d’électricité, contraignant la population à vivre avec des générateurs dans les rues. En août, l’électricité a été rétablie après que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a installé des pompes submersibles afin de réparer la centrale électrique au barrage de Taqba, sur la route de Raqqa.

Près de 290 000 personnes sont revenues à Alep-Est depuis janvier, selon les responsables du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), qui fournit des bâches en plastique, des couvertures et des articles ménagers de base à la population.

La plupart avait fui la partie occidentale de la ville contrôlée par le gouvernement. Les décombres ont été dégagées des rues principales. Des indications en russe proclamant « Absence de mines » ont été griffonnées sur les bâtiments. Les magasins rouvrent leurs portes.

Ahmed Hijab raconte que sa famille était parmi les premières de leur immeuble à revenir (MEE/Jonathan Steele)

Dans le district de Hanano, la plus grande zone occupée par les rebelles, j’ai trouvé Ahmed Hijab, un conducteur de train à la retraite avec sa femme et un petit-fils, dans un appartement du deuxième étage dans un immeuble qui en comprend cinq. Les fenêtres ont été soufflées et il y a des trous de balle dans les murs, mais la structure du bâtiment semble solide. Les systèmes d’eau et d’égout demeurent intacts.

« Une seule autre famille sur les vingt de cet immeuble est revenue jusqu’à présent, mais nous avons entendu dire que quatre autres allaient revenir de Turquie bientôt », témoigne-t-il.

Lorsque les rebelles sont arrivés à Hanano à la fin de l’année 2012, sa famille et lui sont partis pour Daraa dans le sud de la Syrie, où l’un de ses fils était dans l’armée. Quatre mois plus tard, ils déménageaient à Damas. Quand ils sont rentrés à Alep il y a quelques semaines, ils ont trouvé leur appartement vide, tous les meubles volés.

Il a réparé le système de câblage électrique, relié à un générateur situé à l’extérieur. Le HCR leur a donné deux ventilateurs qui ont apporté un soulagement dans l’inhabituelle vague de chaleur de septembre.

Majjid Zammar, le fonctionnaire du bureau du gouverneur d’Alep, en charge de la reconstruction de la vieille ville historique au sein des anciens murs, a déclaré à Middle East Eye que 50 000 des 110 000 résidents d’origine étaient revenus.

« Nous essayons de réparer si possible les bâtiments plutôt que de les démolir entièrement. Nous voulons utiliser les pierres originales. Les gens nous demandent de les conserver », souligne-t-il.

« Il faudra entre sept et huit ans pour reconstruire les 850 mètres d’allées dans l’ancien souk », estime-t-il. L’agence de développement de la Fondation Aga Khan, qui a contribué à restaurer la citadelle avant la guerre, a promis d’aider.

Dans l’ouest d’Alep, près de ce qui était la ligne de front, 400 garçons et filles ont commencé le trimestre d’automne au Collège Karen Yeppe, une école secondaire pour les Arméniens.

Les mortiers rebelles ont gravement endommagé les deux bâtiments d’enseignement des écoles, Hagob Kiledjian, affirme le directeur alors que nous montons les escaliers de l’un d’entre eux. Les salles de classe restent dans le triste état dans lequel elles étaient après les frappes de mortiers, avec des bureaux et des cadres de fenêtres brisés et de la poussière des décombres partout.

Arez Sharian et ses parents ont passé deux ans en Arménie pour échapper à la guerre (MEE/Jonathan Steele)

Les élèves ont dû déménager dans une autre école dans une zone plus sûre de la ville pendant trois ans, où l’enseignement se faisait en roulement en raison de la surpopulation. L’école comptait 1 200 élèves, trois fois l’effectif actuel. Jusqu’au retour des 800 autres, s’ils reviennent, l’école a le temps de réparer le bâtiment d’enseignement endommagé, à condition que de l’argent arrive grâce à des dons.

De nombreux parents ont fui Alep avec leurs enfants. La communauté arménienne est aisée et beaucoup ont pu quitter la Syrie avec des visas officiels. Arez Sharian, une fillette de 12 ans, a passé deux ans en Arménie pendant le pire des bombardements.

« Nous sommes partis à cause des explosions. Heureusement, personne dans la famille n’a été blessé et notre maison est intacte », confie-t-elle.

George Bebian est professeur d’anglais. Il travaillait comme interprète pour le grand mufti de Syrie, ce qu’il est fier de révéler comme signe de la tolérance religieuse d’avant-guerre en Syrie.

Cathédrale rasée par les tirs de mortier

Bebian nous entraîne dans la cathédrale orthodoxe arménienne où il s’est marié, aujourd’hui gravement endommagée. Un cratère dans le sol de l’allée principale montre où un mortier a atterri, en envoyant des éclats d’obus dans les bancs de bois.  Nos chaussures crissent sur le verre cassé.

Des fragments de roquettes ont été exposés dans la cour de l’église arménienne des Quarante-Martyrs, comme une sombre exposition de ce qui lui est arrivé, comme à de nombreux autres sanctuaires et églises d’Alep.

Les graffitis de l’EI ont été repeints et un nouveau slogan a été ajouté : « Bachar et seulement Bachar »

Alors que la ville d’Alep revient lentement à la vie, neuf mois après que les rebelles en ont été chassés, les campagnes de la province de l’est d’Alep ont profité de la paix pendant quelques semaines seulement. Les combattants de l’EI ont résisté jusqu’à l’été avant de battre en retraite à Raqqa. Cependant, les gens y retournent en grand nombre : 83 000 selon le HCR.

Nous visitons la petite ville de Deir Hafer, où les civils ont été autorisés à revenir seulement en août, une fois que l’armée syrienne a retiré les mines dans les rues principales. La ville n’a toujours pas d’électricité.

Mon guide du ministère de l’Information s’attarde sur une série de pièces sous un virage en béton sur la route principale que l’EI avait apparemment utilisée comme clinique de fortune pour les combattants blessés. Les graffitis de l’EI ont été repeints et un nouveau slogan a été ajouté : « Bachar et seulement Bachar ».

Une ancienne clinique de l’EI dans la ville de Deir Hafer (MEE/Jonathan Steele)

Sur le terrain de la vieille boulangerie de la ville, nous trouvons un engin extraordinaire au travail. Il s’agit d’un four à pain mobile à l’arrière d’un camion. Une machine malaxe de la pâte en boules ensuite aplaties et placées sur un tapis roulant à travers une chaleur intense, avant d’être empaquetées, à raison de huit pains à la fois.

La boulangerie fabrique 45 tonnes de pain toutes les 24 heures, travaillant tout au long du jour et de la nuit, m’a dit avec excitation Ahmed Mustafa, un boulanger local qui venait de rentrer à Deir Hafer après quatre ans au loin.

Il était ravi par la machine qui avait été présentée au salon international de Damas en août. Le président Assad avait ordonné qu’elle soit amenée à Deir Hafer en raison des grands besoins de la région, raconte-t-il.

« Je ne suis pas entré dans une mosquée depuis 1962. Je leur ai dit [à l’EI] que mon dos était douloureux et que je ne pouvais pas prier. Ils m’ont cru »

- Hilal al-Mousa, 72 ans

À l’intérieur de l’ancienne boulangerie, les machines originales ont été carbonisées et détruites, incendiées par l’EI avant son départ. Dans la rue principale de la ville, quelques magasins d’alimentation sont ouverts et vendent principalement des tomates et d’autres légumes cultivés localement.

Abu Naif, avec un plateau de tomates attaché à l’arrière de sa moto, explique qu’il est agriculteur et qu’il est resté pendant toute l’occupation de l’EI. « Ils ont pris 10 % de tous mes produits. »

Une photo de juillet 2017 montrant les dommages causés à la grande mosquée des Omeyyades d’Alep (AFP)

Dans le cabinet du médecin, Hilal al-Mousa, 72 ans, raconte qu’après avoir servi ses patients pendant 40 ans, il n’avait pas voulu les quitter lorsque l’EI est arrivé. « Je suis musulman mais ne pratique pas. Je ne suis pas entré dans une mosquée depuis 1962. Je leur ai dit que mon dos était douloureux et que je ne pouvais pas prier. Ils m’ont cru », dit-il avec un sourire.

Al-Mousa a étudié en Italie et a épousé une Italienne. Il montre son passeport italien. Les hommes de l’EI ont seulement découvert ce lien italien cet été.

« Ils ont demandé au wali [chef d’équipe] la permission de m’exécuter, mais il n’avait pas répondu au moment où la bataille pour la ville a éclaté. Il y avait des obus et des mortiers d’avions et d’artillerie. J’ai fui dans un convoi de voitures à Manbij. Daech nous a tiré dessus. Des personnes ont été tuées. »

Alors que les gens tentent de revenir à une vie normale, les responsables de l’aide humanitaire affirment qu’en plus de reconstruire les maisons et de restaurer les infrastructures et les services publics, la tâche principale consiste à relancer les moyens de subsistance des populations. Les agriculteurs ont besoin de graines et d’animaux. Des dizaines de milliers de moutons ont été abattus pendant la guerre.

À Alep, autrefois capitale commerciale de la Syrie, il faudra longtemps pour relancer les entreprises et les industries de la ville. Le tourisme, une source importante de revenus pendant des années, demandera encore plus de temps. Peu de monuments d’Alep restent intacts.

Traduit de l'anglais (original) par VECTranslation.

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