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Sauver les macaques du Maroc : plus que de simples singeries

Des défenseurs de l’environnement espèrent contribuer à inverser le déclin connu par les macaques au cours des dernières décennies
Un Marocain tient ses macaques enchaînés sur la place Jemaa el-Fna de Marrakech, une place publique du Maroc (avec l’aimable autorisation de BMAC) (Alex Kühni/alexkühni.com)

MONTAGNES DU RIF, Maroc – Les membres de l’équipe effectuaient des allers-retours, entre leur paire de jumelles et leur appareil photo, et prenaient de courtes pauses pour griffonner dans leur cahier. Aux abords d’une ouverture herbeuse de la forêt de Bouhachem, sur les hauteurs des montagnes marocaines du Rif, ils examinaient des macaques de Barbarie, des singes originaires d’Afrique du Nord. À cette occasion, ils ont compté un total de 60 macaques qui ont traversé la route qui cerne le périmètre du parc.

Un jeune macaque traverse l’unique route qui parcourt la forêt de Bouhachem (MEE/Matthew Greene)

« Selon nos estimations, environ 2 000 macaques vivent dans cette zone », a indiqué le Dr Sian Waters, de Barbary Macaque Awareness and Conservation (BMAC), un groupe qui surveille la population de macaques du Maroc. « Mais il est difficile de savoir exactement combien d’entre eux sont ici, parce qu’ils sont si méfiants des gens et que le terrain est si difficile. »

Le macaque de Barbarie est la seule espèce de macaque dont l’habitat se trouve en dehors de l’Asie. Aucun autre primate n’est originaire du nord du désert du Sahara.

Au Maroc, leurs communautés sont concentrées dans le Moyen Atlas et les montagnes du Rif, dans le nord du pays, bien que l’on pense qu’ils ont vécu autrefois dans tout le Maroc lorsque le nombre de macaques était plus élevé. Les macaques vivent également dans l’Algérie voisine et ont été introduits dans la péninsule de Gibraltar en 1740.

Les 57 hectares de la forêt de Bouhachem sont l’une des zones d’habitat où les macaques ne sont pas socialisés à la présence humaine, ce qui fait qu’il est rare de les rencontrer. Contrairement aux forêts d’Ifrane, où les singes se sont habitués aux visiteurs, les macaques de cette région s’enfuient lorsque l’on s’approche d’eux. Pourtant, leur isolement de la colonisation humaine dans le cœur dense du terrain montagneux rugueux du Rif n’a pas empêché le déclin du nombre de macaques.

Cette zone de forêt dense n’a pas encore examinée de manière approfondie par BMAC, mais le groupe pense que des macaques y vivent (MEE/Matthew Greene)

Les macaques de Barbarie sont considérés comme menacés d’extinction par la Liste rouge des espèces menacées de l’UICN. En 1975, la population de macaques au Maroc était d’environ 17 000 représentants, mais en 2004, ce chiffre est tombé à moins de 10 000. Aujourd’hui, leur nombre a chuté à à peine 5 000, bien qu’il n’existe pas de chiffres exacts. Et la tendance actuelle est à une poursuite de la chute de la population de macaques en raison de menaces telles que la déforestation et le braconnage.

Un groupe de jeunes macaques exposés sur la place Jemaa el-Fna de Marrakech (BMAC)

La lutte contre le commerce de macaques

L’interdiction internationale du commerce de macaques de Barbarie a été instaurée l’été dernier, ce qui a renforcé la législation existante visant à mettre fin au marché entourant l’espèce, qui demeure une espèce favorite parmi les collectionneurs d’animaux exotiques.

« Nous avons vu des macaques de Barbarie gardés comme animaux de compagnie en Égypte jusqu’à Dubaï », explique Waters, qui ajoute qu’une grande partie du commerce s’effectue par le biais de bazars animaliers en ligne et même sur des pages Facebook et Instagram. La plupart sont capturés très jeunes et sont vendus en moyenne entre 100 et 200 euros.

Au cours des dernières années, le Haut commissariat aux eaux et forêts du Maroc a renforcé la législation nationale marocaine en matière de conservation de macaques. Il a accordé aux macaques un statut de protection qui interdit « la capture, la chasse, la possession, la vente et le colportage » de l’animal. Les plans d’action étudient également la manière d’améliorer les écosystèmes locaux, de sensibiliser le public et de mettre en œuvre des programmes de restauration.

Mais au Maroc, où les macaques sont des éléments incontournables des places publiques fréquentées par les touristes, comme la place Jemaa el-Fna de Marrakech, les autorités ne sont pas toujours cohérentes dans l’application de ces réglementations. Elles considèrent les macaques comme faisant partie de l’histoire culturelle du Maroc et sont donc moins susceptibles de sévir contre les individus opportunistes qui font le tour des centres-villes avec des macaques pour prendre des photos et proposer d’autres formes de divertissement.

Un homme veille sur ses deux macaques en attendant que des visiteurs s’arrêtent pour prendre des photos (Moroccan Primate Conservation)

Un animateur de Meknès a affirmé à Middle East Eye que les autorités n’ont pas encore confisqué ses macaques malgré la violation de la loi qu’il commet et qui l’expose à une amende de 1 000 dirhams marocains (environ 93 euros). Il a toutefois ajouté qu’il serait assez facile de les remplacer s’ils lui étaient retirés.

« Il est facile d’acheter ces singes ici si vous connaissez les bonnes personnes. Vous pouvez même le faire vous-même si vous savez ce que vous faites et si vous faites attention. »

C’est pour cette raison que Waters et ses collègues sont revenus sur leur position sur la confiscation des macaques qui servent d’accessoires de photo, craignant de contribuer de cette manière au commerce de macaques.

« Nous avons commencé à nous inquiéter face au fait qu’en confisquant des macaques, nous créions une plus grande demande pour qu’ils soient capturés ou vendus. »

« Nous avons commencé à nous inquiéter face au fait qu’en confisquant des macaques, nous créions une plus grande demande pour qu’ils soient capturés ou vendus »

Elle ajoute que les gens commettent souvent l’erreur de penser qu’en achetant des macaques à des commerçants ou à des animateurs, ils font une faveur aux animaux.

« Les gens voient les conditions de vie des macaques en captivité et pensent qu’en les emportant, ils les aident ou les secourent alors qu’ils pourraient en réalité aggraver le problème, car ils augmentent la demande. »

Beaucoup de propriétaires de macaques cherchent à les vendre avant qu’ils n’atteignent leur taille adulte et ne deviennent ingérables. Les macaques qui ne trouvent pas d’acheteur compatissant sont alors généralement renvoyés dans la forêt.

Un berger local discute des macaques avec le Dr Sian Waters et Ahmed el-Harrad, membres de BMAC (BMAC)

En dehors de quelques exceptions, les macaques déchargés ne s’acclimatent pas au retour à la vie sauvage après avoir passé un certain temps en captivité. Ceux qui les relâchent dans la nature les condamnent à une mort inévitable qui peut être lente et cruelle. Dans certains cas, les anciens macaques captifs deviennent même agressifs et hostiles, ce qui suscite des accrochages avec leurs congénères et les êtres humains.

Le rôle crucial joué par les villageois

Convaincre les habitants de ces villages de montagne du besoin pressant de mettre fin au braconnage et au trafic de macaques a d’abord été un défi. BMAC a dû faire attention à éviter une erreur commune commise par les groupes de protection de la faune, qui semblent valoriser davantage les espèces fauniques menacées que les communautés locales.

« Nous ne pouvons pas aborder les gens et leur dire qu’ils doivent faire ceci ou cela. Ce n’est pas efficace et cela peut aussi paraître un peu colonialiste », remarque Waters.

« Nous ne pouvons pas aborder les gens et leur dire qu’ils doivent faire ceci ou cela. Ce n’est pas efficace et cela peut aussi paraître un peu colonialiste »

La méthode qui a fonctionné a été une approche patiente consistant à établir des relations avec les ruraux par le biais de programmes publics qui répondent aux besoins des communautés rurales.

Jeune macaque enchaîné, exposé sur une place publique marocaine (BMAC)

Le travail avec les communautés

Le groupe met aujourd’hui en place des cliniques en déployant une équipe médicale dans les villages où les services de santé sont inexistants. Il a également mené des programmes de vaccination des chiens errants afin de protéger les habitants et les animaux domestiques contre la rage et proposé une série d’ateliers visant à renforcer la capacité des villageois à améliorer eux-mêmes leurs conditions de vie.

Aujourd’hui, les villages qui partagent les forêts avec les macaques jouent un rôle essentiel pour aider BMAC à remplir ses objectifs de conservation. Le groupe emploie une poignée de bergers locaux qui surveillent des zones à travers le parc tout en élevant leurs chèvres et leurs moutons.

Les bergers montent la garde

En plus de la connaissance intime que les bergers ont de la région environnante, ces derniers sont formés pour compter les macaques qu’ils rencontrent en fonction de leur âge et de leur sexe et pour les localiser à l’aide d’un système GPS. Les données qu’ils collectent donnent à la petite équipe de BMAC les informations dont elle a besoin pour concentrer son étude de la région sur des zones spécifiques de la forêt, qui est trop vaste pour que la petite équipe puisse la scruter seule.

Aujourd’hui, les villages qui partagent les forêts avec les macaques jouent un rôle essentiel pour aider BMAC à remplir ses objectifs de conservation

Le jour de la visite de Middle East Eye, l’équipe s’est rendue dans le petit village de Slalem dans l’espoir de recruter un nouveau berger pour une zone d’une montagne dont l’équipe sait qu’elle abrite des macaques. C’est un site que l’équipe a rarement étudié, où les nombreux arbres et les pentes raides rendent la zone presque impénétrable à moins qu’elle ne soit explorée à pied. Les bergers connaissent intimement ces zones, et plus il y aura de bergers employés, plus la superficie pouvant être couverte sera vaste et plus le nombre de groupes de macaques pouvant être surveillés sera élevé.

En contrepartie des connaissances et du soutien des bergers, BMAC leur verse un salaire pour compléter leur revenu annuel.

« Cela leur donne, à eux et à leur famille, un revenu supplémentaire régulier, ce qui peut faire une grande différence dans ces villages marginaux plus pauvres », explique Waters.

Le groupe se montre optimiste quant à la capacité de ses programmes ruraux à continuer de développer des relations positives avec les communautés villageoises. Beaucoup de choses ont changé depuis une décennie, dans la mesure où auparavant, les tentatives d’amorçage de discussions sur les macaques suscitaient en réponse des plaisanteries et des railleries.

« Parfois, on se moquait de moi parce que je m’intéressais aux singes », se souvient Ahmed Chetwan, un ancien berger qui est aujourd’hui assistant de projet pour BMAC.

« Mais les choses s’améliorent peu à peu. Les gens de cette région entretiennent une relation importante avec la nature et l’environnement, et lorsqu’ils commencent à voir que la faune est en danger, ils commencent à comprendre que d’autres changements se produisent autour d’eux. »

Éveiller les consciences

Pendant ce temps, dans la ville voisine de Tétouan, où la connexion quotidienne avec la nature est plus éloignée chez les citadins, l’équipe a appris que le simple fait d’informer le public au sujet des macaques était le meilleur moyen d’éveiller les consciences.

« Un villageois ne prendrait probablement jamais un macaque comme animal de compagnie, mais ils le font dans les villes. Ils ignorent à la fois le mal que la captivité cause aux macaques et ce que la captivité implique réellement. Ils acceptent de prendre un macaque comme animal de compagnie en pensant qu’il restera dans les parages pendant seulement quatre ou cinq ans, sans savoir qu’ils peuvent vivre jusqu’à vingt ans », explique Waters.

Deux jeunes macaques en cage, sur la place Jemaa el-Fna de Marrakech (BMAC)

Pour combattre ces idées fausses au sujet des macaques très répandues dans les villes, BMAC organise des tournois de football locaux, des expositions publiques et des visites dans les écoles à travers le pays dans le but d’éveiller les consciences et de donner des informations générales. Ces campagnes ont rencontré un succès surprenant qui a dépassé les attentes du groupe, explique Waters, dans la mesure où le groupe supposait au départ que le public trouverait ces informations sans intérêt.

« Il y a un intérêt réel partout où nous allons. Non seulement à Tétouan mais aussi dans tout le Maroc, des personnes ne savent parfois même pas que les macaques sont spécifiques au pays ; certains Marocains commencent alors à se montrer plus fiers de ces créatures après nos événements. »

Le groupe estime que sensibiliser l’opinion publique dans les zones urbaines et rurales est essentiel pour que leurs initiatives de conservation se concrétisent de manière durable. S’il a fallu près d’une décennie de patience et de dévouement, le groupe a néanmoins été témoin d’un revirement important au sein de l’opinion publique, affirme Waters.

Les petits macaques aiment jouer et grimper dans les arbres (BMAC)

« Nous pensons sincèrement que tout notre travail acharné a fait la différence. Nous avons atteint beaucoup des objectifs que nous nous sommes fixés, même si cela a nécessité plusieurs années. »

Le groupe espère désormais voir ses efforts commencer à inverser le déclin connu par les macaques au cours des dernières décennies, pour un avenir plus radieux sur le long terme.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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