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« Si vous repérez quelqu’un, tirez » : des soldats israéliens décrivent la guerre de Gaza

Plus de soixante soldats israéliens ayant servi lors de l’offensive sur Gaza de l’été 2014 témoignent
Un enfant assis sur un amas de décombres à la suite de l’offensive israélienne de cinquante jours au cours de l’été 2014 (AFP)

Une organisation de défense des droits de l’homme en Israël a publié lundi un rapport de 237 pages contenant les témoignages de plus de soixante soldats. Ils apportent la preuve que l’armée israélienne aurait commis de « graves violations » du droit international au cours de l’offensive qu’elle a lancée sur Gaza l’été dernier.

Des soldats anonymes ont révélé à l’organisation Breaking the Silence (« Rompre le silence »), qui est composée d’anciens combattants israéliens et de soldats en service, que tous les Palestiniens — aussi bien civils que militaires — étaient des « cibles » potentielles et que les forces armées israéliennes avaient détruit sans raison des zones de quartiers résidentiels de Gaza.

Plus de 2 100 Palestiniens ont été tués pendant la guerre de 50 jours entre Israël et le Hamas — dont 70 % de civils — et quelque 18 000 habitations ont été détruites ou gravement endommagées. Du côté israélien, le nombre de victimes s’élève à 66 soldats et 6 civils.

Selon les différents témoignages qu’a recueillis Breaking the Silence, cette guerre s’est livrée en l’absence totale de règles de conduite. Des allégations viennent même révéler que les civils palestiniens étaient considérés comme des terroristes à Gaza.

« Les règles de conduite que devaient suivre les troupes au sol consistaient à ouvrir le feu, ouvrir le feu à tout moment, dès que vous entriez dans les zones de combat », précise un soldat d’infanterie déployé dans la ville de Gaza.

« On partait du principe qu’à l’instant où nous entrions [dans Gaza], quiconque osait pointer le bout de son nez était un terroriste. »

D’après d’autres sources, des hauts gradés auraient donné l’instruction aux troupes israéliennes d’ouvrir le feu sur tous les individus qu’elles croisaient dans l’enclave palestinienne.

« Il ne s’agissait pas vraiment de règles de conduite. Mais plutôt de protocoles à observer », précise un autre sergent d’infanterie, dont l’unité se trouve dans le nord de Gaza.

« On nous a prévenus : “Normalement il ne devrait pas y avoir de civils dans les parages. Si vous apercevez quelqu’un, tirez”. Qu’il représente une menace ou non, là n’était pas la question, tout ça me paraissait logique. Si vous tiriez sur quelqu’un à Gaza, ce n’était pas un problème. »

Selon Breaking the Silence, les règles de conduite militaires « n’avaient jamais été aussi permissives ».

Malgré les nombreuses victimes parmi les civils, les hauts gradés auraient évoqué, lors de séances de débriefing, les « exploits » accumulés au cours des attaques sanglantes.

« On peut dire qu’ils [les hauts gradés] considéraient la plupart des actes commis comme des exploits », raconte un sergent des renseignements militaires en poste au nord de Gaza.

« Ils faisaient référence à des nombres : 2 000 morts et 11 000 blessés, 500 000 réfugiés, des décennies de destruction […] Ils nous disaient que cela avait pour effet de redorer l’image d’un peuple [israélien], au sommet de sa gloire, ils parlaient de consensus [national], d’unité civile ».

Les soldats croyaient qu’il ne restait plus aucun civil dans les zones urbaines de Gaza – l’une des régions les plus peuplées au monde – parce que les forces israéliennes avaient largué des prospectus dans la zone et informé par téléphone les résidents qu’ils devaient quitter leur maison.

Selon certains témoignages, pour les soldats, l’offensive de Gaza, baptisée « Opération bordure protectrice » en Israël, était simplement une occasion de frapper les Palestiniens.

« Pour la plupart d’entre nous, le mot d’ordre était : “Nous allons leur montrer ce dont nous sommes capables”, se souvient un lieutenant qui servait au nord de la ville Rafah. “De toute évidence, c’est comme ça que ça a démarré. De nombreux soldats qui étaient réservistes avec moi n’ont aucune pitié envers [les Palestiniens] ».

« Là-bas, ils étaient nombreux à détester profondément les Arabes. Vraiment, ils les haïssaient. Ils avaient le regard rempli de haine. »

Des soldats expliquent également qu’après avoir pris part aux combats pendant plusieurs semaines à Gaza, « vous ne savez plus vraiment distinguer le bien du mal, vous n’avez plus réellement conscience du sens moral, puis vous finissez par perdre toute éthique, c’est comme si vous faisiez partie en quelque sorte d’un super jeu vidéo, vous n’êtes plus dans la réalité. »

Un sergent s’est interrogé sur l’acte qu’il avait commis en tirant à la mitraillette sur un homme à bicyclette.

« J’ai vu passer un homme à vélo qui pédalait tranquillement sous mes yeux », se souvient-il. « Je me suis dit : ce type, je le descends. J’ai ajusté mon arme, puis j’ai tiré, mais je ne l’ai pas touché – la balle est passée juste au-dessus de lui. Il s’est mis soudain à pédaler comme un fou, au milieu des tirs. Là-dessus, tout l’équipage du tank a éclaté de rire, “Waou, vous avez vu comme il va vite” ».

Les dirigeants israéliens ont toujours refusé d’admettre que les forces militaires du pays avaient enfreint le droit international au cours de l’offensive de 2014 sur Gaza. Selon eux, l’attaque était destinée à mettre fin aux tirs de roquettes sur Israël déclenchés par le Hamas et d’autres organisations militantes de l’enclave palestinienne.

Deux avocats américains à qui l’on avait autorisé « un accès privilégié » au sein de l’armée israélienne ont récemment publié un rapport concluant que l’offensive sur Gaza s’était déroulée dans le respect du droit international. Les investigations de Breaking the Silence laissent toutefois apparaître des résultats contradictoires.

Selon l’organisation israélienne, ces témoignages jettent « un discrédit troublant » sur les actions perpétrées par les soldats israéliens à Gaza et mettent sérieusement « en doute l’éthique des Forces de défense israéliennes [l’armée israélienne]. »

« Les témoignages livrés par ces officiers et soldats donnent l’impression troublante d’une politique de bombardements aveugles qui a entraîné la perte de civils innocents », souligne Yuli Novak, directeur de Breaking the Silence.

« Au fil des révélations, nous avons appris que les règles d’engagement militaire des Forces de défense israéliennes sont largement déficientes d’un point de vue éthique, et que cela provient des sphères dirigeantes de la chaîne de commandement et pas simplement de quelques mauvais éléments en bas de l’échelle. Nous savons, en tant qu’officiers et soldats, que les enquêtes qui sont menées au sein de l’armée prennent souvent de simples soldats comme boucs émissaires au lieu de se concentrer sur la politique adoptée.

« Le peuple [israélien] doit être informé des missions sur lesquelles sont envoyés leurs fils, et des règles que les Forces de défenses israéliennes s’engagent à suivre en son nom. Nous demandons donc la création d’une commission d’enquête indépendante des Forces de défense israéliennes, qui aura pour mission d’enquêter sur la politique à l’origine des règles de conduite en vigueur pendant l’offensive ‘’Bordure protectrice’’ ainsi que sur les normes et les valeurs sur lesquelles repose cette politique. »

En réponse au rapport de Breaking the Silence, l’armée israélienne a publié une déclaration qui remet en cause l’exactitude du rapport.

« Les Forces de défenses israéliennes s’engagent à examiner en bonne et due forme toutes les allégations crédibles qui sont présentées par les médias et les ONG », précise-t-elle.

« Malheureusement, comme par le passé, Breaking the Silence a refusé d’apporter les preuves de ses allégations aux Forces de défenses israéliennes. Pour des raisons évidentes, ce refus rend impossible toute investigation par les organes compétents des Forces de défenses israéliennes. »

L’armée israélienne enquête actuellement sur les allégations de mauvaise conduite la concernant, notamment sur le bombardement d’une école des Nations unies.

La semaine dernière, un rapport de l’ONU a jugé Israël responsable d’avoir pris pour cibles les écoles administrées par les Nations unies à sept reprises au cours de l’été dernier. Les frappes avaient entraîné la mort d’une dizaine de Palestiniens qui avaient trouvé refuge dans ces établissements.

Traduction de l’anglais (original) par Julie Ghibaudo.

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