Aller au contenu principal

Un pas en avant pour la communauté LGBT tunisienne

Le premier groupe officiel de défense des droits LGBT et la première gay pride semblent prometteurs, mais la discrimination et l'emprisonnement restent de vraies menaces
Un graffiti anti-homophobie sur un mur de la vielle ville de Tunis. L'article 230 du Code pénal tunisien criminalise l'homosexualité (MEE / Thessa Lageman)

TUNIS - Il y a environ sept organisations en Tunisie qui luttent pour les droits de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre (LGBT), mais vous ne pourriez le deviner, à première vue, une seule de ces organisations se présente ouvertement comme telle.

« Les autres organisations n’ont pas même le courage d'essayer d'obtenir une reconnaissance officielle », a déclaré Belhassen Azaiez, un étudiant en droit de 21 ans avec un sourire, assis dans un café enfumé à Tunis. Son organisation Shams a reçu une reconnaissance officielle en mai dernier comme groupe de défense des minorités sexuelles.

D’autres organisations LGBT prétendent lutter pour les droits de l'homme ou des minorités en général, en dépit de se concentrer exclusivement sur les droits des homosexuels. « Si nous nous référons à nous-mêmes comme une organisation LGBT, nous ne serions pas en mesure d'en faire autant et les conditions de sécurité ne seraient pas remplies », a expliqué Ramy Ayari, 22 ans, sur la  terrasse d’un des cafés « gay-friendly » de Tunis.

L'étudiant en informatique est un membre actif de Without Restrictions une autre organisation pour les droits des homosexuels. « Pendant la dictature vous ne pouviez pas faire grand-chose. Il était presque impossible de créer des associations », a-t-il dit.

Peu de temps après la Révolution de jasmin de 2011, il y a eu une explosion de nouvelles associations de défense contre les problèmes tels que la pollution, la torture et pour les droits des femmes. Suite à la mise en œuvre d'une nouvelle loi, il est finalement devenu possible de constituer des associations officielles pour telle ou telle cause. La communauté LGBT a embrassé cette opportunité à bras ouverts.

Lorsqu’il était adolescent, Azaiez ne connaissait pas d'autres personnes homosexuelles, et les organisations LGBT n’existaient pas encore en Tunisie. « Je me suis enfermé dans ma chambre et je suis tombé dans une dépression sévère. Je suis militant maintenant parce que je ne veux pas que d'autres vivent ce que j’ai vécu. »

Les groupes de défense, dont la plupart opèrent dans la capitale, utilisent les médias sociaux pour aider la communauté LGBT, pour les informer de leurs droits et lutter contre la discrimination. Ce n’est pas une tâche facile ; selon les militants, la grande majorité de la population tunisienne est homophobe. Lors d'une interview à la télévision, l'ancien ministre aux droits de l'homme, Samir Dilou, a définit l'homosexualité comme une « perversion qui doit être traitée médicalement ».

Les organisations se battent aussi pour l'abolition de l'article 230 du Code pénal tunisien, qui interdit les relations homosexuelles. En prenant en compte cette interdiction, vous pourriez vous demander pourquoi Shams a été reconnu par la loi tunisienne. « Avoir des relations sexuelles avec une personne du même sexe est interdit », Azaiez a expliqué, « mais de faire partie d'une minorité sexuelle ne l’est pas ».

Les groupes de défense agissent dans différents domaines et essayent d'atteindre leurs objectifs de différentes manières. « C’est une bonne chose qu’il y ait plusieurs organisations », a déclaré Ali Bousselmi, 26 ans, de l'organisation Mawjoudin (nous existons). « Il serait plus facile pour le gouvernement de nous arrêter s’il n’y avait qu’une seule organisation. »

« J’ai de la chance que mes parents soient ouverts d'esprit », a-t-il ajouté, parlant de sa maison de famille dans la vieille ville de Tunis. Bousselmi a déjà été bénévole pour Amnesty International en Tunisie, mais comme avec les autres organisations de droits civiques dans le pays, il n'y avait pas de place pour les questions LGBT à l'époque.

L’Etoile du Nord est un café « gay-friendly » au centre de Tunis (MEE/Thessa Lageman)

Menacés par les salafistes

La reconnaissance de Shams a été suivie avec beaucoup d’attention par les médias, et la communauté LGBT a reçu beaucoup de critiques et de commentaires négatifs. L'association « Progression des Jeunes Tunisiens » ainsi que le chef religieux de la Tunisie, le Moufti Hamda Said, ont exigé que le gouvernement annule cette reconnaissance, affirmant qu'elle menaçait les valeurs de l'islam et les principes de la société tunisienne.

« Nous encourageons les apparitions dans les médias parce que c’est la clandestinité qui vous rend plus peureux et plus faibles », a expliqué Azaiez, l'étudiant en droit. Au cours d'une émission de télévision, un autre membre de Shams a affirmé que 40 % de la population tunisienne était gay. Ensuite, il a été menacé par les salafistes qui ont exigé qu'il soit décapité. On a approché son père dans son café pour lui demander de tuer son fils. La famille a finalement été contrainte de déménager dans une autre maison à Hammamet, une ville côtière située à quelque 40 kilomètres de Tunis, alors que le jeune homme a emménagé chez un ami dans la capitale.

« Ce n’était pas très intelligent », a déclaré Azaiez, qui lui-même a reçu plusieurs menaces sur Facebook après l’incident. « J’ai invité les gens à avoir une conversation avec moi et j’en ai même rencontré quelques-uns dans un café. A la fin ils pensaient toujours que j’irai en l'enfer, mais au moins ils étaient prêts à m’écouter. »

D'autres militants LGBT n’étaient pas très heureux de la couverture médiatique. Plusieurs personnes ont été menacées et battus dans les villes du sud de Sfax et de Gabès. « Malheureusement, après toute cette agitation, l’homme politique qui avait promis de discuter de l'article 230 au parlement nous a dit que le moment n’était pas bien choisi », a déclaré Bousselmi. « Notre organisation ainsi que d’autres militants avons décidé de faire profil bas pendant un certain temps », a ajouté Ayari de Without Restrictions. « Il est trop dangereux d'organiser quoi que ce soit en ce moment ».

Gay pride

Les six derniers mois ont été tumultueux pour la communauté LGBT de Tunisie. En mars un festival de la gay pride a été organisé, peut-être pour la première fois dans ce pays d'Afrique du Nord. L'événement modeste de plusieurs jours a eu lieu sur un campus universitaire à Tunis.

« Nous avons pris un parapluie arc en ciel », a raconté Ayari, « et des panneaux avec des textes comme ‘L'amour est pas un crime’ et ‘Mon corps, ma sexualité, mon droit’. La plupart des passants étaient perplexes ».

« L’amour n’est pas un crime » est peint sur le mur en arabe à La Marsa (MEE/Thessa Lageman)

Azaiez était présent aussi. « Quelqu'un m'a demandé ce que signifie le drapeau arc-en-ciel. Je lui ai expliqué et il m'a demandé si j’étais l’un d’entre eux. Je lui ai répondu que c’était le cas et il est parti sans dire un mot. »

Bousselmi a également assisté à l'événement. « A la fin, des islamistes et des personnes issues d'organisations d'étudiants de gauche sont venus nous déranger. Ils ont dit est que nous devrions partir et que ce que nous faisions était contre nature ».

Le 17 mai, pendant la journée internationale contre l'homophobie, plusieurs activités ont été organisées par la communauté LGBT à Tunis. Chouf, qui se bat pour les droits des femmes qui appartiennent à une minorité sexuelle, a organisé un festival qui a eu beaucoup de succès. Pour des raisons de sécurité, il a été appelé « festival d’art féministe » et l'emplacement, dans le quartier chic et plutôt de gauche de Carthage, une banlieue de Tunis, a été choisi avec soin.

Un « festival d'art féministe » s’est tenu à Carthage, une banlieue de Tunis, le 17 mai, la journée internationale contre l'homophobie (MEE / Thessa Lageman)

Selon Ramy Ayari et d'autres militants, la police écoutait leurs appels téléphoniques. « Quand cela arrive, vous entendez soudain d’autres sons sur la ligne », a-t-il dit, ajoutant qu'il recevait parfois des tentatives de connexion sur son compte Facebook à partir d'une ville qu'il n'a jamais visité.

Il nous a montré un message Facebook, qu’il avait reçu quelques jours plus tôt. Le message, qui contenait une variété de menaces obscènes, avait été écrit par quelqu'un qui porte un uniforme de police. « Je l’ai immédiatement bloqué », a déclaré Ayari avec un soupir. « Je voudrais informer la police, s’il n'y avait pas tant d’homophobes dans leurs bureaux. »

Prison

Un Suédois et un Tunisien ont été emprisonnés en février pour avoir commis des « actes homosexuels ». Le Suédois a été libéré depuis, mais l'homme tunisien est toujours en détention. La plupart du temps, la police tend des pièges aux gens ou les voisins cherchent à les dénoncer comme homosexuels. Les conditions de vie en prison sont atroces, les prisonniers homosexuels devenant souvent les victimes de viol et contractent le VIH.

Ali Bousselmi a passé beaucoup de temps à tenter de savoir combien de personnes homosexuelles sont actuellement emprisonnées en Tunisie, mais il n'a pas encore réussi. « Ces derniers mois, plusieurs membres de la communauté LGBT ont été arrêtés, environ sept au total », a-t-il dit. « Je me demande pourquoi tant de personnes sont arrêtées en ce moment. »

Un autre de ses objectifs est de créer un refuge pour la communauté LGBT. L'argent n’est pas le plus grand obstacle, car il peut attirer des fonds étrangers, ni les musulmans extrémistes. « La plus grande menace », explique-t-il, « c’est la police ».

Il pense que les gens prendront le risque de venir de toute façon, car beaucoup de gens ressentent le besoin de discuter des problèmes auxquels ils sont confrontés, comme le mariage forcé et le sentiment de ne pas être acceptés par la société. « Le suicide est un problème réel », a-t-il ajouté.

Without Restrictions envisage aussi de louer un bâtiment pour offrir un foyer temporaire aux personnes qui ont été chassées de leurs familles après avoir révélé leur sexualité. « Ces gens deviennent souvent sans-abri et certains sont contraints à la prostitution pour survivre », explique Ayari.

Mais pour parvenir à tous ces changements, les militants tunisiens savent qu'ils ont un long chemin à parcourir. « Nous devons nous battre pour nos droits », a déclaré Ayari. « Sinon, rien ne va changer. N’est-ce pas comme ça qu’ils ont fait bouger les choses ailleurs dans le monde ? »

Traduit de l’anglais (original) par Margaux Pastor.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].