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Une étudiante turque défie le blocus israélien en étudiant à Gaza

Rukiye Demir conteste le blocus israélien de Gaza en passant sa maîtrise à l’Université islamique de Gaza
Rukiye Demir, étudiante turque à l’Université islamique de Gaza (MEE/Kholoud Nassar)

BANDE DE GAZA – Ce n’est pas ce dont on a l’habitude de rêver, mais Rukiye Demir, 26 ans, est loin d’être une jeune femme ordinaire. Depuis l’enfance, cette Turque déterminée rêve de poursuivre ses études de maîtrise à Gaza. L’enclave palestinienne assiégée a toujours été proche de son cœur.

Issue d’une famille conservatrice cultivant une forte solidarité avec la Palestine, Rukiye a su apaiser les inquiétudes de ses parents grâce à sa conviction de ne faire qu’une avec le peuple palestinien malgré les risques encourus.

« J’ai embrassé le sable. Je n’arrivais pas à croire que j’étais enfin à Gaza »

– Rukiye Demir

Beaucoup de jeunes Gazaouis aspirent à quitter la bande appauvrie et font tout pour partir étudier à l’étranger. Toutefois, en raison des restrictions à la frontière et du manque de liberté de circulation qui leur est imposé par Israël et l’Égypte, réussir à quitter Gaza est un phénomène rare.

Israël impose un blocus à Gaza depuis 2007 et l’élection du Hamas. En outre, l’Égypte maintient le poste-frontière de Rafah principalement fermé depuis le renversement du président élu Mohamed Morsi à l’issue d’un coup d’État militaire en 2013, n’autorisant le passage aux habitants de Gaza que lors d’intervalles brefs et exceptionnels. Cela contraint de nombreux étudiants à abandonner leur ambition de chercher à obtenir leur diplôme dans des universités étrangères.

Consciente de cette situation et de la lutte des Palestiniens pour faire valoir leur droit à l’éducation, Rukiye a lutté contre vents et marées pour se rendre à Gaza et a vécu personnellement l’expérience de se voir refuser des droits de l’homme fondamentaux.

« J’attendais avec plusieurs Palestiniens qu’un guichet s’ouvre au poste-frontière de Rafah. Nous avons continué d’attendre pendant cinq jours sans le moindre confort : pas d’eau potable, pas de lits. Nous dormions sur le sol gelé. »

Lorsque la frontière a finalement ouvert et qu’elle a fait ses premiers pas sur la terre palestinienne, la souffrance qu’elle avait endurée s’est évaporée. La joie l’a submergée et elle s’est agenouillée pour montrer sa gratitude. « J’ai embrassé le sable. Je n’arrivais pas à croire que j’étais enfin à Gaza », a-t-elle raconté.

Le fait de vivre les souffrances que les Palestiniens endurent quotidiennement et d’être prise au piège en Égypte à attendre l’ouverture du poste-frontière de Rafah « en [valait] vraiment la peine », a-t-elle ajouté.

De la Malaisie à Gaza

Étudiante passionnée d’astronomie à l’université d’Izmir, en Turquie, son ambition d’étudier les étoiles a finalement été interrompue lorsqu’elle s’est rendu compte que ses croyances religieuses et son droit de les exprimer étaient bafoués.

Dans la mesure où les universités turques, en tant qu’institutions d’État, étaient à l’époque censées être « laïques », les femmes étaient obligées de retirer leur voile une fois sur le campus. Si elles ne respectaient pas l’interdiction du port du foulard, elles risquaient d’être expulsées. L’interdiction a été levée dans la quasi-totalité des universités de Turquie en 2010.

Contestant cet ordre officiel, Rukiye Demir a quitté la Turquie pour étudier dans un pays musulman où elle pourrait être complètement elle-même. Elle s’est d’abord inscrite dans une université de Malaisie, où elle a dû recommencer à zéro car il n’y était pas possible de se spécialiser en astronomie. Choisir la psychologie comme matière principale a toutefois représenté un ajustement qu’elle a été heureuse de faire.

« C’est incroyable qu’une fille qui a grandi dans un pays comme la Turquie ait le courage de vivre dans une ville dangereuse comme Gaza »

Alors qu’elle poursuivait ses études en Malaisie, son souhait d’effectuer des études supérieures à Gaza ne faiblissait pas. Ses amis palestiniens étaient étonnés par sa ténacité concernant sa bien-aimée Gaza. Mais ils ne croyaient pas que cela serait aussi facile qu’elle le pensait puisqu’ils n’étaient même pas capables eux-mêmes en tant que Palestiniens de Cisjordanie d’entrer à Gaza en raison des restrictions et des problèmes frontaliers.

« Ils m’ont dit que c’était presque impossible, qu’ils ne pouvaient pas aller à Gaza eux-mêmes », a-t-elle expliqué. Mais heureusement, elle a gardé espoir grâce à des liens établis via des établissements universitaires en Malaisie et à Gaza.

« Je n’ai pas abandonné mon rêve le plus cher et j’ai pu demander de l’aide à ceux qui avaient des liens avec les établissements d’enseignement dans la bande de Gaza », a affirmé Rukiye.

Sur le campus

Après avoir terminé ses recherches, Rukiye a envoyé une lettre à l’ingénieur palestinien Alaa el-Dein al-Haikto, un ami de sa famille qui avait obtenu son diplôme de maîtrise en Turquie. Haikto, qui entretenait des liens solides avec l’Université islamique de Gaza, a été plus qu’heureux d’aider Rukiye dans sa quête.

« Je l’ai encouragée à postuler à l’Université islamique de Gaza [UIG] et je l’ai mise en contact avec l’administration de l’université afin de finaliser le processus d’admission et d’inscription », a raconté Haikto.

L’équipe des admissions de l’université a été ravie d’avoir Rukiye comme candidate à une admission officielle et a fait tout son possible pour faciliter le processus de candidature. Pour le personnel de l’UIG, son souhait était vu comme un message de solidarité adressé au peuple de Gaza. Une lettre officielle d’admission lui a rapidement été envoyée et l’affaire était conclue.

« La démarche de Rukiye a été courageuse et la première de son genre, a souligné Haikto. Elle a envoyé un message manifeste indiquant que les Gazaouis ne sont plus seuls et que leurs frères et sœurs dans le monde arabe et islamique sont sensibles à la misère qu’ils continuent de vivre sur cette terre assiégée. »

Rukiye Demir étudie à l’Université islamique de Gaza (MEE/Kholoud Nassar)

Lorsqu’elle a fini par rejoindre l’UIG, les professeurs se sont montrés très conciliants et ses camarades étudiants ont affiché un large soutien. Même si elle avait appris quelques notions d’arabe coranique par le passé, son arabe n’était pas suffisant pour comprendre les cours magistraux. Afin de faciliter l’apprentissage au début de son premier semestre, le Dr Samir Qouta a donné ses cours de psychologie en anglais et en arabe.

« Il est de notre devoir de nous assurer que ses études au sein de notre université soient aussi faciles et sereines que possible. Nous sommes tellement heureux de son entreprise et fiers que notre université ait reçu une étudiante turque », a affirmé Qouta.

De nouveaux amis

Signe de l’affection dont l’UIG témoigne pour Rukiye, des dispositions ont été prises pour que sa thèse finale puisse être écrite et présentée en anglais.

« Nous attendons avec impatience de recevoir plus d’étudiants internationaux qui sont prêts à exprimer leur soutien pour la juste cause palestinienne et à surmonter le blocus injuste imposé à Gaza par Israël. »

À la fin de son premier semestre à l’UIG, Rukiye s’en sortait manifestement très bien et ses compétences en langue arabe s’étaient sensiblement développées.

« Ils ont ri et m’ont dit qu’il ne m’aurait pas fallu longtemps pour m’habituer à ces raids »

– Rukiye Demir

« L’une des principales choses qui m’ont incitée à étudier à Gaza a été l’occasion en or de perfectionner mes compétences en arabe, puisque je suis complètement immergée au sein d’une communauté arabe », a confié Rukiye.

L’expérience lui a également permis de se faire des amis pour la vie, qu’elle est très reconnaissante d’avoir rencontrés. Reem Ahmed, qui a intégré le même programme de maîtrise à l’UIG, fait partie de ces amis.

« Nous avons tellement de chance d’avoir Rukiye avec nous dans notre cursus. Elle a donné une autre saveur à nos cours. Nous faisons de notre mieux pour que notre sœur turque se sente à l’aise lors des cours magistraux et comprenne ce que disent les professeurs », a-t-elle déclaré à MEE.

Reem n’a pas été surprise d’apprendre que des Turcs sont solidaires des Palestiniens. Cependant, elle a trouvé extraordinaire qu’une jeune Turque renonce à l’opportunité d’étudier dans des universités prestigieuses à l’étranger.

À ses côtés

Si Rukiye est sans sa famille à Gaza, elle est toutefois souvent entourée d’amis et de voisins qui n’ont jamais laissé la solitude s’installer. « Je suis tellement reconnaissante envers mes amis et mes voisins qui me permettent de me sentir chez moi à Gaza. Ils sont toujours à mes côtés », a-t-elle affirmé.

Bien qu’elle n’ait pas vu sa famille depuis plusieurs mois, elle reste régulièrement en contact avec eux par le biais d’appels vidéo. « Ma mère a été stupéfaite lorsqu’elle a remarqué que j’avais pris du poids à Gaza. Elle pense que cela prouve que je suis en bonne santé et satisfaite. »

Une des personnes qui ont pris Rukiye sous leur aile est sa voisine, Tamam Mahani. Mère de cinq enfants, Mahani a accueilli Rukiye comme si elle était son sixième enfant.

« Elle est devenue une membre de notre famille. Nous sommes si heureuses d’être voisines. C’est incroyable qu’une fille qui a grandi dans un pays comme la Turquie ait le courage de vivre dans une ville dangereuse comme Gaza », a déclaré Mahani à MEE.

Ces amis proches sont devenus un soutien émotionnel essentiel pour Rukiye, en particulier quand elle constate à quel point la vie à Gaza peut être difficile.

L’expérience de la guerre

N’ayant pas connu la guerre ou des troubles en Turquie, son premier contact avec la violence ordinaire à Gaza l’a presque paralysée de peur.

Au cours de la première nuit de Rukiye dans le camp de réfugiés de Jabaliya, des raids israéliens ont eu lieu près de son appartement. Elle n’avait jamais vu d’avions militaires ou de bombardements ; heureusement, personne n’a été blessé lors de cette frappe sur une base de résistance palestinienne qui s’est avérée vide.

« Les habitants de Gaza méritent de vivre en paix. Il est injuste qu’ils aient toujours été victimes d’atrocités et de crimes de guerre »

– Rukiye Demir

Le lendemain matin, Rukiye, terrifiée, s’est précipitée auprès de ses voisins pour leur parler de la nuit de terreur qu’elle avait passée, mais a été déconcertée par leur réaction.

« Ils ont ri et m’ont dit qu’il ne m’aurait pas fallu longtemps pour m’habituer à ces raids », a-t-elle raconté.

Rukiye Demir, étudiante turque à Gaza (MEE/Kholoud Nassar)

En effet, leur estimation était juste. « Deux semaines plus tard, j’ai été invitée à déjeuner avec une famille palestinienne et il y a eu trois raids. Mais cela n’a pas contrecarré mes plans et je suis allée déjeuner avec cette famille incroyable », a-t-elle ajouté.

Rukiye a été déçue de découvrir que les Gazaouis s’étaient tant habitués aux bombardements israéliens, à tel point que ces derniers font désormais partie intégrante de leur vie.

« Les habitants de Gaza méritent de vivre en paix. Il est injuste qu’ils aient toujours été victimes d’atrocités et de crimes de guerre » s’est-elle exclamée.

Pendant son temps libre, Rukiye aime visiter l’un des jalons les plus emblématiques de Gaza, le port. Cela l’aide à faire face au mal du pays. « Je suis tombée amoureuse du port de Gaza. La brise rafraîchissante revigore mon corps et me rappelle ma vie à Diyarbakır. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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