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Une réforme du secteur de l'eau au Liban est-elle possible ?

Le secteur de l'eau au Liban a besoin d'une réforme radicale vue la raréfaction des ressources causée notamment par l'afflux de plus d'un million de réfugiés
La capitale libanaise Beyrouth (AFP)

ZAHLE, Liban - Dans un petit bureau de l’entrepôt de la ferme située à la périphérie de la ville de Zahlé, dans la région de la Bekaa, Bachar Berro, directeur général de Berro Farms, rappelle en grimaçant l'effet négatif de la sécheresse qui a sévi l'été dernier – la pire que le Liban ait subit depuis quatre-vingts ans – sur la productivité de l'entreprise familiale. Au dehors, les chauds rayons du soleil illuminent la propriété de Berro qui s’étend sur 75 hectares et produit des fruits et des légumes à destination des marchés locaux et étrangers. Au loin, la neige recouvre les sommets de la chaîne montagneuse qui sépare le Liban et le sud de la Syrie.

« C’était très difficile. Nous avons deux puits ici, dans ce domaine », dit Bachar Berro, pointant vers une zone de la ferme derrière l'entrepôt.

« Ils ont quarante ans. Avant l'année dernière, nous n’avions jamais eu de problème. Mais en septembre, nous ne pouvions plus obtenir une seule goutte d'eau. Nous avons cessé de cultiver certaines parcelles de terres. Et durant la saison automne-hiver, nous n’avons pas pu cultiver du tout. L’entreprise a beaucoup souffert ».

L'année dernière, la vague de sécheresse qui a frappé le Liban a été précédée par un hiver exceptionnellement doux, au cours duquel seulement 431 mm de pluie sont tombés, à peine plus de la moitié de la moyenne annuelle.

Fawzi Kharajeh, un haut responsable du secteur des ressources hydriques et de l’irrigation à l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), note que les effets de la sécheresse ont diminué les exportations agricoles de 4,3 %, tandis que les marges de profit pour les agriculteurs libanais ont encore chuté, avec des rendements sur les cultures pluviales réduits de près de 50 %.

En dehors du secteur agricole – qui utilise entre 60 et 70 % de l'approvisionnement en eau du Liban – d'autres secteurs ont également été touchés.

Alors que les cultures flétrissaient, les ménages et les entreprises à travers le Liban sont devenus excessivement dépendants des détaillants privés qui vendent le mètre cube d’eau entre 5 et 10 dollars, poussant ainsi certains hommes politiques du pays à discuter de la perspective d'acheter de l'eau à la Turquie.

Cette année, grâce à une série de tempêtes hivernales, le Liban a reçu une quantité de précipitations conforme aux moyennes de saison. Pour beaucoup, l’expérience de l'été dernier est désormais un lointain souvenir. Cependant, le secteur de l'eau du Liban a besoin d'une réforme radicale vue la raréfaction des ressources hydriques causée par l'afflux de plus d'un million de réfugiés et d'autres facteurs, notamment l'urbanisation et le changement climatique.

Cependant, la confiance en la capacité des institutions étatiques à engager une réforme fait défaut.

Claire Kfouri, une experte en eau et assainissement à la Banque mondiale, note que malgré les investissements étrangers qui, depuis 1990, dépassent les 1,4 milliard de dollars, le niveau de la prestation de services liés à l'eau au Liban n’atteint toujours pas celui des pays aux conditions socio-économiques similaires.

« En raison d’une infrastructure désuète et chancelante, d’un report des investissements dans de nouvelles infrastructures essentielles et d’un problème hérité de mauvaise gestion des ressources en eau existantes, les populations n’ont accès, en moyenne, qu'à trois heures d'approvisionnement en eau publique par jour tout au long de la saison estivale, qui dure six mois », indique-t-elle.

En 2012, le ministère libanais de l'Energie et de l'Eau avait établi la Stratégie nationale du secteur de l'eau (NWSS), avertissant qu’en l’absence de réforme, le Liban subirait des « pénuries chroniques à longueur d’année » d’ici 2020. En collaboration avec la Banque mondiale, le projet s’est concentré sur la construction de douze barrages à travers le Liban afin de créer une capacité de stockage d'eau supplémentaire excédant les 316 millions de mètres cubes par an. Des plans ont également été réalisés pour une mise à jour radicale de l'infrastructure de traitement des eaux usées du Liban et la création d’un conseil national de l'eau visant à mieux réguler la coopération entre les municipalités locales, souvent vues comme opérant selon leurs propres intérêts.

Cependant, les divisions sur la question syrienne entre les blocs politiques rivaux du 8 et 14 mars [les coalitions politiques formées lors des grandes manifestations des 8 et 14 mars 2005 organisées respectivement par les camps politiques rivaux du pays suite à l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri], exacerbées par l'intervention du Hezbollah aux cotés du régime de Bachar al-Assad, ont conduit à un vide présidentiel de onze mois et à une situation d'immobilisme politique. Tous les plans visant à mettre en œuvre les réformes essentielles dont le Liban a besoin, y compris le NWSS, ont été mis en suspens.

Pour Bachar Berro, il s’agit là d’une histoire bien trop familière.

« Personne au Liban ne pense à long terme, mais seulement année par année et pour ses propres intérêts », constate-t-il.

« Il n’y a pas de gouvernement fonctionnel pour mettre en œuvre un plan à long terme, mais uniquement des groupes de partis politiques qui disent [lorsqu'ils doivent former un gouvernement] : ‘’Cette année vous prenez ces ministères, et la prochaine fois on échange’’ ».

Selon Kharajeh, avant que la guerre civile n’éclate en Syrie, on disait du Liban qu’il disposait de la quatrième plus importante richesse en eau par habitant de la région Afrique du Nord et Moyen-Orient (MENA) – avec 1 095 mètres cubes par an.

Or depuis 2011, avec l'arrivée de populations de réfugiés, ce chiffre est tombé à moins de 800 mètres cubes, estime Nadim Farajallah, professeur d'agriculture à l'université américaine de Beyrouth.

Outre ces changements démographiques qui engendrent une pression supplémentaire sur les ressources, les problèmes liés au secteur de l’eau au Liban sont principalement dus à une infrastructure défaillante. Selon une enquête réalisée en 2012 par la Banque mondiale, le Liban est capable de stocker seulement 6 % de l’ensemble de ses ressources en eau, ce qui place le pays en bas de l’échelle en termes de capacité de stockage par système de barrage dans la région MENA.

Dans la plaine de la Bekaa, la pollution et la surexploitation de la rivière Litani – qui s’étend du nord au sud à travers la vallée – ont conduit les agriculteurs locaux à creuser des puits pour exploiter les aquifères souterrains nourris à la fois par l'eau de pluie et la fonte des neiges qui tombent sur les sommets des montagnes durant l'hiver. Ces puits restent souvent non réglementés par les autorités locales.

« Les agriculteurs demandent rarement de permis, ils en font à leur guise », observe Farajallah. « Le problème est qu'il n’existe aucune réglementation détaillant la profondeur à laquelle ils forent, le matériel qu'ils utilisent ou la quantité d’eau pompée. Il n'y a aucun suivi ».

Frustré par le contrôle du secteur de l'eau par l'Etat libanais, en 2012, un groupe de lobbying composé de chefs d'entreprise, la Civic Influence Hub (CIH), qui dispose du soutien de plus de quarante experts en eau, a créé le Blue Gold Projet (BGP). Ce plan ambitieux vise à réformer le secteur de l'eau au Liban en recourant au reboisement et à la construction de nouvelles usines de recyclage de l'eau, ainsi qu’à la réparation du système de distribution du pays, au forage de puits publics et à la construction de nouveaux barrages. Le CIH prévoyait initialement la mise en œuvre du plan entre 2015 et 2020.

Ziad el-Sayegh, directeur général du CIH, affirme que le secteur de l'eau au Liban a souffert en raison d'un manque de planification nationale. Dès lors, un élément clé du BGP implique la mise en place d'un conseil national de l'eau dont le rôle est de réunir politiciens, universitaires et représentants du secteur privé et du milieu associatif.

« Tout est maintenant résolu localement ; il n’y a pas de plan directeur mis en œuvre », précise Sayegh.

« Qu’il pleuve peu ou en abondance en hiver, cela n'a plus aucune importance ; en été il y aura toujours une crise de l'eau. L’Arabie saoudite et le Qatar investissent sérieusement et convenablement pour avoir de l'eau. Ici, nous avons de l'eau naturellement, mais le secteur souffre d’une mauvaise gestion. »

Précédé d’une fastueuse campagne de relations publiques promettant de transformer l'eau d'un simple produit de consommation en une richesse nationale, de réduire les factures d'eau des ménages et d’augmenter l'offre, le projet BGP a été critiqué comme étant une tentative de privatisation du secteur de l'eau au Liban.

« Les promoteurs du BGP ont adopté la stratégie du gouvernement, ils ont identifié certains domaines où ils peuvent apporter de l'argent et avoir des rendements garantis à hauteur de 15 % en retour sur investissement », affirme le professeur Farajallah avec une note d'incrédulité.

« Ils disent qu’il faut confier cela au secteur privé, mais beaucoup de Libanais ne font pas plus confiance au secteur privé qu’aux politiques ».

Berro et Sayegh soutiennent que l'absence de planification nationale concernant le développement de l'infrastructure de l'eau au Liban découle d'une rivalité entre les différents groupes politiques. Tous deux affirment que les partis politiques tentent continuellement de monopoliser les subventions gouvernementales ainsi que l'aide étrangère, et canalisent les investissements vers les zones habitées par leurs partisans respectifs. Ce processus conduit à des déséquilibres régionaux en matière de développement.

« C’est ce qui se passe dans tous les secteurs », note Bachar Berro d'un ton pragmatique, faisant référence à une subvention d’une agence d'aide américaine visant à soutenir les agriculteurs de la plaine de la Bekaa à travers l’approvisionnement en bétail.

« Ils voulaient que les agriculteurs créent des coopératives de dix à quinze personnes pour, par la suite, leur fournir entre trente et quarante vaches, dans un premier temps. A l’époque, le ministère de l'Agriculture était dirigé par un membre du Hezbollah et a commencé à rassembler des gens du parti », explique Berro.

« Finalement, il a créé 55 coopératives et a réussi à obtenir près de 3 000 vaches, d'une valeur de 1 500 dollars chacune. Puis, il les a toutes vendues pour 5 ou 6 millions de dollars ».

Nadim Farajallah note, cependant, que la féodalité joue aussi un rôle dans les déséquilibres en matière de développement.

« Dans certaines régions, l'effet résiduel de la féodalité est encore très présent et les dirigeants locaux ne sont pas remis en cause pour autant », explique-t-il.

« Mais il y a aussi la compétitivité négative. Parfois, un bloc parlementaire s’oppose à un projet simplement parce qu’il a été proposé par le camp adverse. Le NWSS était un bon plan, pas le meilleur, mais un point de départ », juge Farajallah.

« Jusqu'à présent, ce plan n'a pas été mise en œuvre, et c’est évidemment une source d’inquiétude », conclut-il.


Traduction de l'anglais (original).

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