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Hirak : les Marocains, sur la même longueur d’onde que les Algériens !

Si la Tunisie a pu se débarrasser de son satrape et si l’Algérie arrive à effacer son régime ploutocratique, pourquoi le Maroc ne ferait-il pas de même avec son indécrottable makhzen ?
Manifestation au centre-ville d’Alger, le 21 juin 2019 (AFP)

Pendant que les Algériens, ivres de liberté, cherchent par un ultime effort à se débarrasser des restes du clan de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, plus à l’est, du côté de cette indéchiffrable frontière, les Marocains sont dubitatifs, inquiets, voire euphoriques.

Certains espèrent que le nouveau régime qui va sortir de la convulsion en cours va permettre de normaliser les relations avec le Maroc, mettre fin au soutien algérien au Front Polisario et s’atteler à la construction de ce vieux serpent de mer qu’est le Grand Maghreb.

Rêves secrets 

D’autres par contre, assis sur un gisement de peur, espèrent en silence que la révolution tranquille qui se déroule aux portes de leur pays va finir par déteindre sur le peuple marocain et l’aider à sortir de son sommeil.

Qu’est-ce qui différencie la Tunisie de Ben Ali et l’Algérie de Bouteflika du Maroc sinon la géographie et la forme du régime ?

Ces derniers sont confiants. Si la Tunisie a pu se débarrasser de son satrape et si l’Algérie arrive à effacer son régime ploutocratique, pourquoi le Maroc ne ferait-il de même avec son indécrottable makhzen ? 

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En fin de compte, qu’est-ce qui différencie la Tunisie de Ben Ali et l’Algérie de Bouteflika du Maroc sinon la géographie et la forme du régime ? Pour le reste, c’est du kif kif.

Les scandales dans les deux pays se ressemblent

Ben Ali ne confondait-il pas les caisses de l’État avec sa tirelire ? L’entourage de Bouteflika ne se remplissait-il pas les poches avec la rente pétrolière ? Les scandales financiers n’éclaboussent-ils pas directement le roi du Maroc, sa famille et son entourage, direct et indirect ?

Quelle serait donc cette extraordinaire particularité qui ferait du Maroc, que certains adulateurs intéressés appellent « le plus beau pays du monde », une contrée différente de son entourage géographique immédiat ? 

Il suffit de quelques clics dans la case recherche de n’importe quel moteur de recherche pour relever que les scandales qui touchent nos dirigeants des deux côtés de la frontière se ressemblent.

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Les noms de Marocains et d’Algériens se retrouvent côte à côte comme de bons collègues en turpitudes passées et présentes dans les documents révélés par Wikileaks.

Les mêmes pouvoirs finalement

Pratiquement les mêmes sont présents sur les listes des détenteurs des comptes illégaux suisses de la banque HBSC ou dans celle des fraudeurs des Panama Papers

Nos deux pays ont des modes d’organisation politique, sociale et économique différents, monarchie pour le Maroc, république pour l’Algérie, mais la finalité des pouvoirs en place est la même. Une Sainte Trinité : contrôle des institutions de l’État, contrôle de l’économie du pays, contrôle de la rue.

Quant à nos Parlements respectifs, ils ne sont point le lieu où doit s’épancher l’expression de la souveraineté nationale mais des chambres d’enregistrement des desiderata du chef de l’État, en babouches ou en costume-cravate.

Nos armées sont plus outillées pour casser du dissident local, activiste, journaliste ou politique, que pour défendre le territoire national. Une qualité qu’on peut étendre au reste des pays arabes.

En attendant la « contamination »

Pour ce qui est de nos puissants et choyés services secrets, considérés depuis toujours comme un État dans l’État, ou si voulez un « État profond » qui n’a de compte à rendre à personne, leur seule véritable mission, outre la lutte contre l’islamisme radical qui se nourrit des injustices et de la dictature, est la préservation de l’ordre établi. 

Il n’est pas nécessaire ici d’étaler la très longue liste des noms de ceux qui par leur activisme, politique, humanitaire ou journalistique, Marocains et Algériens, chatouillent la susceptibilité de l’autocrate local. Ils subissent le même sort, persécutés, diffamés, noyés sous une pluie de procès téléguidés, incarcérés ou exilés. 

C’est donc pour toutes ces raisons que nous regardons, nous autres Marocains, la saine colère qui s’exprime à nos portes

C’est donc pour toutes ces raisons, et pour d’autres encore, que nous regardons, nous autres Marocains, tristes sujets d’un roi absolu de droit divin, accaparateur de la terre, des cieux et de l’économie du pays, la saine colère qui s’exprime à nos portes.

Avec l’espoir que cela puisse un jour « contaminer » notre esprit et le rendre jaloux de ce que font nos frères de l’autre côté de la frontière.

Une accélération de l’histoire

Car, pour la première fois de notre histoire, les manifestations qui ont lieu en Algérie, pays que nos dirigeants s’évertuent depuis des décennies à présenter comme l’ennemi ancestral, semblent être les nôtres, comme si elles se déroulaient chez nous, dans nos villes, nos avenues et nos rues.

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Les slogans clamés avec un jargon et des accents qui ressemblent à s’y méprendre aux nôtres peuvent parfaitement être entonnés, après changement des noms des destinataires, à Rabat, Casablanca ou Fès. Nous sommes absolument sur la même longueur d’onde. Un trait horizontal qui va de l’océan atlantique jusqu’aux confins tunisiens. 

Nous sommes les spectateurs directs d’une accélération de l’histoire qui est en train de balayer bien des idées reçues.

Premièrement, la légitime colère des Algériens n’est pas le fait d’un « complot ourdi par l’étranger », construction syntaxique chère à nos oppresseurs.

Même si, il faut le dire, Rabat et Paris, dont les intérêts se confondent souvent, s’agitent en coulisses et ne verraient pas d’un mauvais œil l’installation à El Mouradia (présidence algérienne) d’un homme proche de leurs intérêts. 

Lutter pour les droits fondamentaux

Deuxièmement, la menace de « fitna », agitée comme un épouvantail par le régime algérien au début de la crise, a fait long feu. Personne n’a de vocation de martyr.

Les manifestants s’exhibent pacifiquement dans la rue et le font souvent avec un haut degré d’humour. Et même les islamistes, grande phobie des Occidentaux, sont aux abonnés absents. 

Enfin, troisième et dernier point, les Algériens n’ont apparemment pas très envie de quitter en masse leur pays.

Que la révolution algérienne réussisse, dans la persévérance et la gaieté, et surtout sans débordement

Il suffit qu’ils puissent vivre décemment chez eux grâce à un meilleur partage des richesses, et sous l’ombrelle protectrice d’un État de droit, pour ne pas s’aventurer dans une périlleuse odyssée à travers les mers.

Et pour une fois soyons pragmatiques. Personne n’exige une démocratie parfaite car elle n’existe pas, et la dérive autoritaire d’Emmanuel Macron en France est là pour nous le rappeler. Mais un État où les droits fondamentaux de tout un chacun seraient respectés est une condition non négociable. 

En conséquence, que la révolution algérienne réussisse, dans la persévérance et la gaieté, et surtout sans débordement. Afin qu’elle devienne un exemple pour tous ceux qui attendent leur tour.

Et surtout pour faire taire tous ces oiseaux de malheur, ces démocraties occidentales soutiens indéfectibles de nos victimaires, qui machinalement identifient la soif de liberté avec de l’irresponsabilité. Elles croient encore au XXIe siècle que nous ne pourrons jamais régenter nos destins sans le fouet du maître.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Ali Lmrabet est un journaliste marocain, ancien grand reporter au quotidien espagnol El Mundo, pour lequel il travaille toujours comme correspondant au Maghreb. Interdit d’exercer sa profession de journaliste par le pouvoir marocain, il collabore actuellement avec des médias espagnols. Ali Lmrabet is a Moroccan journalist and the Maghreb correspondent for the Spanish daily El Mundo.
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