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Libye : Tripoli divisée et dévastée suite à la répression

Alors que l'armée fidèle à Tobrouk affirme se rapprocher de la capitale depuis l'est, les forces de sécurité basées à Tripoli ont lancé une répression contre les partisans de l'opposition
Six personnes ont été tuées et des locaux ont été gravement endommagés dans le quartier de Fachloum, à Tripoli, au cours des trois jours d'affrontements (MEE/Tom Wescott)

TRIPOLI – La fumée s’élève d’un camion incendié au bord d'un rond-point vide dans le centre du quartier de Fachloum, à Tripoli, où des hommes masqués en uniforme militaire et armés de kalachnikovs quadrillent le bitume brûlé dans des véhicules équipés d'armes anti-aériennes de l'époque soviétique.

Quelques habitants locaux sont sortis des habitations aux volets clos pour constater les dégâts causés par trois jours d'affrontements violents qui ont éclaté vendredi dernier, et qui ont atteint leur paroxysme lors d'une fusillade incessante que toute la capitale a pu entendre pendant huit heures.

Fachloum est un quartier modeste de la ville rendu célèbre en 2011 lorsqu'il est devenu l'un des premiers à soutenir la révolution destinée à évincer Mouammar Kadhafi du pouvoir.

Malgré ces références révolutionnaires, depuis que le mouvement Aube de Libye a pris le contrôle de la capitale en août dernier et mis en place un gouvernement rival, la zone est considérée par les nouvelles forces au pouvoir comme un foyer de dissidence. Au cours d'une semaine de répression brutale dans les quartiers encore fidèles au parlement basé à Tobrouk, dans l'est du pays, Fachloum a payé un lourd tribut et a été le théâtre d'affrontements parmi les plus violents à Tripoli. Six personnes ont été tuées tandis que des magasins, des bâtiments et des voitures ont été gravement endommagés.

« Tous les problèmes actuels en Libye sont causés par les nombreuses cellules dormantes à Tripoli qui sont fidèles à la prétendue opération Dignité », a déclaré le ministre de l'Intérieur du gouvernement de Tripoli, Mohamed Shaiter, en référence à une opération militaire lancée à Benghazi par le général Khalifa Haftar, qui fait maintenant partie de l'Armée nationale libyenne fidèle à Tobrouk.

« Dans le quartier de Fachloum, les meurtriers et les criminels qui soutiennent Haftar et l'opération Dignité ont fermé des routes et ont commencé à tirer sur des travailleurs et des gens ordinaires, dont des révolutionnaires », a-t-il ajouté.

Maintenant, les véhicules incendiés sont tout ce qui reste des défenses de fortune installées par les habitants de Fachloum, qui affirment qu'ils étaient visés en raison de leur allégeance politique et ne faisaient que défendre leur quartier contre les attaques.

Le dispositif de sécurité était considérable à l'occasion d'une visite du ministre de l'Intérieur du gouvernement de Tripoli dans le quartier de Fachloum (MEE/Tom Westcott)

La tension dans le quartier monte depuis des semaines, en parallèle avec les tentatives du gouvernement de Tobrouk et de ses alliés qui cherchent à avancer vers la capitale avant les nouveaux pourparlers de paix négociés sous les auspices de l'ONU. Selon des sources sur le terrain, cette manœuvre avait pour but de contribuer à stimuler le pouvoir de négociation de Tobrouk lors des négociations visant à mettre fin à la scission entre les deux parlements et à endiguer la violence dans le pays.

Prudents vis-à-vis de la presse, les habitants locaux évoquent néanmoins, à voix basse, un enfant mort et un jeune homme qui a perdu la vue, en soins intensifs, le corps parsemé d'éclats d'obus tirés par des lance-roquettes.

Bien qu'il soit difficile de corroborer ces déclarations, presque tout le monde a évoqué la brutalité de la dernière nuit d'affrontements lorsque, dans le cadre d'une répression massive, des hommes armés et masqués ont semé la terreur dans plusieurs zones résidentielles. Cet assaut aurait eu, semble-t-il, l’approbation du gouvernement basé à Tripoli et ciblait les personnes soupçonnées de soutenir le parlement de Tobrouk, la Chambre des représentants.

Un homme a raconté que les agents de sécurité sautaient par-dessus les murs extérieurs et entraient dans les maisons par la force, procédant à de multiples arrestations et saisissant des véhicules soupçonnés d'appartenir à des partisans de la Chambre des représentants. « Les gens étaient terrifiés », a-t-il indiqué à Middle East Eye. « Il y en avait une quinzaine dans ma rue, et ils emmenaient les gens de force. »

Le ministre de l'Intérieur, Mohamed Shaiter, a insisté sur le fait que l'offensive contre le quartier de Fachloum était « une solution définitive » apportée à la crise. Selon lui, les forces de sécurité de Tripoli (une alliance de groupes militaires locaux) ont été contraintes de prendre des mesures drastiques après plusieurs semaines d'affrontements sporadiques, au cours desquelles Aube de Libye a poursuivi le dialogue local et exhorté les habitants à rendre les armes, a-t-il indiqué.

L'offensive contre Fachloum est survenue après plusieurs nuits de violence dans la ville de Tadjourah, à la périphérie de Tripoli, où les forces soutenant la Chambre des représentants ont lancé une offensive vers la capitale depuis l'est. Celle-ci a aussi été écrasée par les forces d'Aube de Libye, à l'issue de plusieurs nuits de combat au cours desquelles vingt-deux personnes auraient péri. Le commandant de l'insurrection à Tadjourah, Abdullah Sassi, a également été capturé. Des photos de Sassi, le nez et la tête en sang, avec des slogans victorieux écrits au marqueur sur son visage, ont été largement diffusées sur les sites de médias sociaux.

« Nous riposterons fermement contre le terrorisme et les partisans d’Haftar qui essaient de compromettre la sécurité à Tripoli », a déclaré Mohamed Shaiter, qualifiant d'« assassins » ceux qui ont été tués et arrêtés à Fachloum et à Tadjourah.

Fachloum est l'une des zones de la capitale considérées comme étant fidèles à la Chambre des représentants et à l'Armée nationale libyenne. Depuis l'arrivée du mouvement Aube de Libye à Tripoli, ces allégeances ont été largement exprimées à travers des graffitis dessinés sur de nombreux murs du quartier. Après les affrontements, toutefois, une grande partie de ces graffitis ont été recouverts à la peinture rouge, pour rappeler aux habitants qui gouverne désormais, aussi bien idéologiquement que physiquement.

« Des mots de travers peuvent vous coûter la vie à Tripoli, et personne ne s'en souciera. Peut-être que votre famille s'en souciera, mais les autres ont peur », a tweeté un activiste libyen après la fin des combats. Un sentiment partagé par les habitants locaux, qui se sont montrés prudents à l'idée de parler à la presse.

« La peur est partout en Libye. »

Des véhicules militaires des forces affiliées au gouvernement basé à Tripoli quadrillent les rues calcinées suite aux affrontements violents entre des groupes fidèles aux deux gouvernements rivaux de Libye (MEE/Tom Westcott)

Mohamed Shaiter a cependant souligné que la liberté de parole et d'expression ne sont pas un problème à Tripoli, tant que l'opposition reste non violente. « Il n'y a pas de problème si les gens souhaitent soutenir un autre camp et participer à une manifestation pacifique ici, à Tripoli, a-t-il affirmé. Cependant, il n'y a pas de place pour la liberté d'expression si elle se fait avec des fusils, des tirs, des fermetures de routes et des incendies. »

Alors que les traces des affrontements ont commencé à être effacées et que la machinerie lourde est arrivée pour déblayer les débris des voitures renversées et incendiées, on pouvait voir des travailleurs migrants en uniforme orange balayer les douilles de balles et les engins pyrotechniques qui avaient été allumés au début du week-end pour soutenir la Chambre des représentants, puis à la fin du week-end pour signaler la victoire des forces basées à Tripoli, une fois que le quartier dissident avait été asphyxié.

Mais tandis que la dernière série d'affrontements dans la capitale pourrait être terminée, les divisions subsistent et la reprise des combats reste dans toutes les têtes.

Au son des tirs sporadiques, les balayeurs s’agenouillent derrière une carcasse de voiture blanchie par la chaleur. Des Toyota militaires, sur lesquelles sont peints au spray les noms des brigades affiliées au gouvernement de Tripoli, parcourent les rues à toute allure, brandissant des drapeaux libyens.

A l'extrémité du quartier de Fachloum, des membres des forces de sécurité en tenue civile se font fièrement prendre en photo tout en montant la garde devant le bâtiment. « Nous sommes avec Kara », crie l'un d'entre eux, en référence à Abdel Raouf Kara, qui dirige une unité puissante de lutte contre la criminalité dans l'est de Tripoli. « Désormais, il n'y a plus de milice ici. »

Un graffiti, maintenant criblé de balles, exhorte les belligérants à déposer les armes dans le quartier agité de Tripoli (MEE/Tom Wescott)

Traduction de l'anglais (original) par VECTranslation.

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