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Le dangereux périple vers l’Europe

Après avoir fui la guerre civile, les réfugiés qui traversent les Balkans sont à la merci des gangs de passeurs, des embuscades et de la brutalité policière
Réfugiés syriens traversant la Macédoine à pied

Si cela vient juste d’attirer l’attention du public, la route vers l’Europe qui traverse les Balkans est toutefois dangereuse depuis longtemps.

En juin, le gouvernement macédonien a introduit un laissez-passer de 72 heures permettant aux réfugiés de traverser librement le pays. Avant cela, les vastes étendues de champs et de forêts qui s’étendent de la Grèce à la Macédoine étaient sous le contrôle des gangs de passeurs. Les passages à tabac, les agressions et les enlèvements étaient fréquents. La complicité de la police était un secret de polichinelle pour les réfugiés et la population locale.

Pour beaucoup de réfugiés, cependant, payer des passeurs pour les emmener en Europe était la seule option. Ils ont marché pendant des kilomètres, se frayant un chemin le long des voies ferrées européennes. Plusieurs dizaines d’entre eux ont été blessés ou tués par le passage des trains. Ceux qui ont survécu ont été chargés dans des trains et parqués comme du bétail.

Fayçal et Marwan ont tenté de franchir la frontière gréco-macédonienne en mai.

Fayçal, ancien combattant de l’Armée syrienne libre, a quitté la Syrie pour le bien de sa famille et a tenté de traverser la frontière à plusieurs reprises.

Un jour, après trois heures de randonnée à travers la dense forêt macédonienne avec onze autres réfugiés syriens, son groupe a été pris en embuscade par un groupe armé.

« Ils ont tout pris à mon ami, ils voulaient nous tuer. Mais nous nous sommes battus. Je ne voulais pas mourir ici après avoir survécu dans mon pays. »

Le gang était armé, et lorsque le groupe a fui, un des Syriens a été blessé par une balle qui a frôlé sa tête. Ils se sont cachés dans le creux d’un arbre pendant six heures, avant de se risquer finalement à en sortir.

Après des heures de marche, le groupe est tombé sur des policiers macédoniens, qui ont indiqué avoir déjà entendu parler de l’embuscade, a raconté Fayçal à Middle East Eye.

Les réfugiés ont supplié la police de les aider, en vain. Ils ont décidé de retourner en Grèce afin d’y demander une aide médicale pour leur ami blessé.

Après de nombreuses nouvelles tentatives, Fayçal a finalement atteint la Suède début juillet.

Marwan a également eu du mal à passer la frontière.

Il a quitté Falloujah, l’une des villes irakiennes les plus touchées par le conflit, afin de travailler en Turquie. Après avoir vécu et travaillé pendant deux ans dans le sud de la Turquie, il a décidé de fuir vers l’Europe.

Il est arrivé en Grèce en mars.

Pendant deux mois, Marwan a tenté de franchir la frontière gréco-macédonienne, mais il a été capturé à chaque fois et battu, soit par des gangs s’attaquant aux réfugiés, soit par la police.

Finalement, Marwan a trouvé un passeur qui a promis de l’emmener en Serbie avec un groupe d’autres réfugiés. Il est monté à bord du train de marchandises contrôlé par les passeurs à Gevgelija, dans le sud de la Macédoine.

Cela coûtait 700 euros par personne.

Marwan et de nombreux autres réfugiés sont restés enfermés pendant dix heures dans le wagon sans air et sans fenêtres. Avant le départ du train, la porte s’est ouverte et un policier macédonien, muni d’une lampe de poche, a regardé les réfugiés terrifiés qui se trouvaient à l’intérieur. Satisfait, il a fermé la porte ; Marwan a expliqué à MEE que l’homme faisait semblant d’observer un wagon vide.

Après quelques heures, le train est arrivé à sa destination : la gare d’Idomeni, soit un retour en Grèce. Les réfugiés avaient été arnaqués.

Marwan est finalement arrivé en Autriche au bout de sa 26e tentative.

En juin, l’existence d’un gang de kidnapping de réfugiés opérant en Macédoine a été révélée par la presse ; leur activité aurait été facilitée par les autorités et la police locales, a-t-on rapporté.

Face aux critiques des ONG locales et à l’attention portée par la communauté internationale sur les dangers rencontrés par les réfugiés, la Macédoine a délivré un permis de 72 heures permettant aux réfugiés de voyager en sécurité.

Toutefois, la décision prise par la Hongrie de sécuriser ses frontières avec la Serbie avec un mur de 175 km a eu un résultat immédiat, mais pas celui escompté, puisque les réseaux de passeurs et les criminels se sont déplacés vers le nord, pour répondre aux besoins des réfugiés recherchant d’autres moyens de traverser la frontière.

Pour certains, comme Zahraa et Motaz, qui sont arrivés à la frontière gréco-macédonienne en juin, les problèmes n’ont commencé que plus tard au cours de leur voyage.

Intégrés dans un groupe de neuf personnes, Zahraa et son cousin ont traversé la frontière grecque en août.

Ils ont connu des difficultés en Serbie, où ils se sont séparés du groupe et où un chauffeur leur a demandé 2 800 euros pour soi-disant les conduire en Hongrie. Après avoir pris leur argent, il les a enfermés dans des toilettes publiques et leur a promis de revenir. Il n’est jamais réapparu.

Ils ont été coincés pendant un jour et une nuit, jusqu’à ce qu’une famille turque en route vers l’Allemagne vienne à leur secours. La famille a emmené Zahraa et son cousin à Budapest, où ils ont retrouvé le reste du groupe.

Dans la capitale hongroise, Zahraa a essayé de rester éloignée autant que possible de la grille, de peur d’être arrêtée.

Son cousin et son fils n’ont pas eu la même chance : la police hongroise les a arrêtés et a pris leurs empreintes digitales. Trois jours et 500 euros plus tard, ils sont montés à bord du train pour l’Allemagne. Zahraa est arrivée en Suède quatre jours plus tard.

Motaz, un Syrien de 19 ans, a quitté son pays d’origine en août. Il est arrivé à la frontière gréco-macédonienne fin août. Motaz a traversé la Macédoine et la Serbie sans encombre… sa plus grande peur, c’était la Hongrie.

Il était au courant de la présence de gangs à la frontière serbo-hongroise, mais il ne voulait pas recourir à un passeur pour l’aider à la traverser : il s’est fié à son GPS.

Arrivé à proximité de la frontière, il avait surtout peur de la police hongroise, plus que des criminels.

Motaz et ses amis se sont cachés pendant six heures dans les champs à la frontière serbo-hongroise, survolée par des hélicoptères de police.

Lorsqu’ils étaient sûrs d’être en sécurité, ils ont couru pendant près de trois kilomètres jusqu’à la station-service la plus proche, où ils ont pris un taxi pour Budapest.

Trois jours plus tard, Motaz a rencontré un passeur qui l’a amené à la frontière allemande avec ses amis ; ils ont payé 500 euros chacun.

Répondre au chaos

Toutes ces histoires sont des cas classiques.

La route des Balkans est truffée de dangers qui changent au gré de la politique de ces pays. Le blocus de la frontière macédonienne en août, le mur hongrois, l’hospitalité initiale inattendue de la part de l’Allemagne suivie soudainement de contrôles temporaires à la frontière autrichienne, ont mis en évidence l’absence d’une ligne commune entre les acteurs au centre de la crise.

Cependant, ces politiques ambivalentes ont pour résultat direct les risques rencontrés par les demandeurs d’asile en tentant d’atteindre l’Europe et le déploiement d’activités criminelles près des frontières de chaque pays.

« L’Europe est en train de semer le chaos », a déclaré Annette Groth, membre du parti allemand Die Linke. « Cette crise est une honte pour l’Europe. » Groth considère que la crise des réfugiés est une catastrophe et que l’Europe, incertaine au sujet de la solution, est incapable d’agir.

La majorité de ceux qui traversent les Balkans fuient les conflits au Moyen-Orient et ont connu des conditions bien pires que celles qu’ils trouvent en Europe.

Selon Giorgos Tsarbopoulos, directeur du HCR en Grèce, le fait que les réfugiés risquent leur vie et leur intégrité physique en traversant la Méditerranée et la mer Égée, recourent à des réseaux criminels et passent par des routes dangereuses pour atteindre leur destination, fait de la crise des réfugiés une question politique.

Tsarbopoulos insiste sur le fait que la crise ne peut pas être résolue uniquement par un pays ou deux pays voisins.

« Il manque une politique à l’échelle européenne », a-t-il affirmé.

Lors du discours sur l’état de l’Union de 2015, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a admis l’incapacité de l’UE à répondre à la crise des réfugiés ; toutefois, le sommet d’urgence qui a suivi, organisé le 14 septembre, n’a pas non plus donné de résultat, les ministres de l’Intérieur de l’UE ne s’étant pas accordés sur les quotas de réfugiés proposés par la Commission.

Selon le Dr Zenonas Tziarras, analyste spécialiste de la sécurité et de la Turquie à l’Académie diplomatique de l’université de Nicosie (Chypre), l’UE est incapable de trouver une solution à la crise en raison d’un manque de consensus sur les mesures concrètes à adopter.

Il attribue cela à l’incapacité de l’UE à concilier les différents intérêts politiques et économiques de ses États membres, souvent conflictuels.

En plus des considérations politiques et économiques, le Dr Tziarras a expliqué à MEE que les risques en matière de sécurité découlant de l’instabilité géopolitique au Moyen-Orient, associés à la montée en puissance de partis politiques nationalistes dans de nombreux États membres de l’UE, contribuent à créer les conditions qui empêchent une gestion plus efficace et plus collective de la crise des réfugiés.

Après l’échec du sommet d’urgence et la mise en œuvre par la Hongrie de nouvelles lois strictes sur les réfugiés, Angela Merkel a appelé ce lundi à l’unité et à l’organisation d’un nouveau sommet d’urgence.

La réponse tardive et sans doute inepte de l’Europe, combinée aux mesures unilatérales de ses États membres, pourrait entraîner une catastrophe de plus grande ampleur.

*Certains noms ont été modifiés.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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