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Jordanie : les manifestations annoncent-elles une nouvelle phase du Printemps arabe pour 2019 ?

Les récentes violences marquent un glissement sérieux dans la vague d’agitation sociale du pays, déclenchée par des préoccupations économiques et politiques

Ce fut une année difficile pour la Jordanie. Marquée par une vague sans précédent de manifestations contre des conditions économiques difficiles, 2018 a vu le retour des scènes observées lors de la vague du Printemps arabe qui avait frappé la région en 2011.

Après des semaines sans affrontements entre manifestants et forces de sécurité, en décembre, les manifestations sont devenues violentes.

La crise économique s’est aggravée ces derniers jours, accentuant les tensions dans les rues. Le mois dernier, les services de sécurité jordaniens ont utilisé la force pour disperser les manifestants qui tentaient d’atteindre le bureau du Premier ministre à Amman, mais les protestataires ont promis de continuer à manifester pour contraindre le gouvernement à annuler une loi controversée relative au régime de l’impôt sur le revenu.

Les manifestants réclament également au gouvernement d’annuler la loi sur la cybercriminalité, qui impose des sanctions sévères aux militants actifs sur les réseaux sociaux, et de libérer les détenus qui ont participé aux précédentes manifestations.

Pas de solution en vue

Si les protestations en Jordanie s’intensifient en 2019 et renversent le gouvernement du Premier ministre Omar al-Razzaz ou produisent plus de violence, cela pourrait ouvrir la voie à une nouvelle vague de changement dans la région – peut-être même à une deuxième phase du Printemps arabe, commencé en Tunisie en 2010 et terminé en Syrie, où la révolution a largement échoué.

Bien que le roi Abdallah II de Jordanie soit intervenul’été dernier en réponse aux demandes des manifestants, la récente détérioration de la situation marque un sérieux changement dans cette vague de troubles sociaux, et cela, pour plusieurs raisons.

À la lumière des protestations en cours, le gouvernement court un risque réel d’être révoqué

Premièrement, les manifestations se déroulent à un rythme accéléré et avec des niveaux de violence plus élevés, malgré les amendements apportés à la loi relative à l’impôt sur le revenu. Cela signifie que les manifestants n’ont pas accepté les concessions du gouvernement.

La loi relative à l’impôt sur le revenu fait partie des mesures imposées par le Fond monétaire international (FMI)pour continuer à soutenir la Jordanie. La crise financière est bien partie pour durer, sans autre solution en vue que la perception de toujours plus de taxes sur les citoyens jordaniens.

Deuxièmement, les manifestations de décembre ont eu lieu deux jours seulement après une rencontre entre le Premier ministre et un certain nombre de militants. Mais la réunion a été boycottée par certains leaders de la contestation et n’a pas réussi à apaiser les tensions actuelles, comme en témoigne la récente flambée de violence.

Des dizaines de détenus

Par ailleurs, la loi sur la cybercriminalité n’a pas réussi à contenir la dissidence en ligne, qui s’est répandue dans la rue.

L’arrestation des militants n’a pas contenu les protestations. « Des dizaines de personnes sont toujours en détention. Le nombre de manifestants en garde à vue est élevé », a déclaré à Middle East Eye l’activiste Fakher Daas. Le gouvernement jordanien, quant à lui, a déclaré qu’il ne détenait pas de prisonniers politiques : « Tous les manifestants en garde à vue sont accusés de violation de la loi ».

Bien que la nouvelle loi relative à l’impôt sur le revenu fasse rentrer 180 millions de dinars jordaniens (220 millions d’euros) dans les caisses de l’État, rien n’indique que la crise politique et économique du pays soit en passe de s’achever.

Des manifestants brandissent un drapeau jordanien lors d’une manifestation à Amman le 5 juin (AFP)

Les raisons de la crise financière sont nombreuses, mais le facteur le plus important est que l’aide financière des pays du Golfe est interrompue depuis près de deux ans maintenant. Un programme d’aide quinquennal des États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à la Jordanie, d’une valeur de près de 3,6 milliards de dollars (4,45 milliards d’euros) a pris fin en janvier 2017, mais aucune autre aide n’a été offerte.

Pour comprendre l’importance de l’aide financière du Golfe à la Jordanie, il faut savoir que le budget général de la Jordanie est estimé à 9 milliards de dinars jordaniens (11 milliards d’euros).

Exigences sociales et politiques

Le désastre politique s’aggrave en raison d’une crise économique qui s’accélère. La loi relative à l’impôt sur le revenu, qui a suscité des protestations parmi les classes pauvres et moyennes, ne générera qu’un quart de milliard de dollars pour le trésor de l’État jordanien, soit une fraction seulement des fonds annulés par les États du Golfe. 

À LIRE ► Jordanie : les manifestants en veulent aussi à leur roi, ce « demi-dieu »

Au regard des protestations en cours, le gouvernement court un risque réel d’être révoqué. De plus, la vague actuelle de troubles en Jordanie pourrait inciter l’opinion publique arabe à se soulever à nouveau pour formuler des revendications sociales et politiques, ce qui pourrait provoquer une deuxième phase du Printemps arabe en 2019.

- Mohammad Ayesh est un journaliste arabe actuellement basé à Londres.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des manifestants se rassemblent à Amman le 5 juin (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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