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EXCLUSIF : La « note libre » des États-Unis sur la Syrie présentée par Bolton à la Turquie

Les autorités américaines n’ont donné aucun détail sur leur plan de sortie de Syrie lors de la visite du conseiller à la Sécurité nationale John Bolton à Ankara, mais ont présenté une « note libre » pour en discuter
John Bolton (à gauche) et Ibrahim Kalin pendant leur rencontre mardi à Ankara (Reuters)

ISTANBUL, Turquie – Les diplomates et responsables militaires américains n’ont pas fourni de détails précis à leurs homologues turcs concernant le projet de Washington de retirer ses forces du nord de la Syrie lors de la visite du conseiller à la Sécurité nationale John Bolton à Ankara mardi, a appris Middle East Eye.

Les autorités turques s’attendaient à ce que Bolton et son entourage apportent avec eux une ébauche de projet pour le retrait des quelque 2 000 soldats déployés dans le cadre de la campagne menée par les États-Unis contre les militants de l’État islamique (EI) après l’annonce par le président américain Donald Trump le mois dernier de son intention de leur faire quitter la Syrie.

Or, la délégation américaine a présenté ce que les responsables turcs ont qualifié de « note libre », une note diplomatique non officielle énumérant la position d’un pays sur certaines questions, qui est ouverte à la discussion.

Le document en cinq points proposait une solution négociée répondant aux préoccupations sécuritaires turques concernant les YPG, la milice kurde syrienne accusée par Ankara d’être liée au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) interdit, mais qui a joué un rôle de premier plan contre l’EI en tant qu’allié des États-Unis sur le terrain.

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Il a également réitéré que le retrait américain serait « délibéré et ordonné », mais les responsables américains n’ont donné aucune information opérationnelle ni discuté d’un calendrier ou d’une planification post-retrait au cours des deux heures de réunion mardi au palais présidentiel, a déclaré un responsable turc à MEE, parlant sous couvert d’anonymat en raison du protocole gouvernemental.

Parmi les participants à la réunion avec Bolton figuraient le général Joseph Dunford, chef d’état-major des armées, officier le plus haut gradé de l’armée américaine et principal conseiller militaire de Trump et de hauts fonctionnaires, ainsi que James Jeffrey, envoyé spécial américain auprès de la coalition contre l’EI.

Les responsables turcs présents aux discussions étaient sous la direction d’Ibrahim Kalin, porte-parole de la présidence turque.

Inquiétudes vis-à-vis des YPG

Leur principal message, a indiqué le responsable turc, était de souligner leurs inquiétudes concernant la sécurité des combattants des YPG après le retrait des forces américaines.

La Turquie dispose déjà de forces sur le terrain dans les zones tenues par les rebelles à l’ouest de l’Euphrate, dans le nord de la Syrie, où elle considère les milices kurdes comme une menace pour la sécurité de sa frontière sud. Elle a menacé de lancer des opérations à travers l’Euphrate dans des zones actuellement sous le contrôle des YPG et de ses alliés.

Un haut responsable de l’administration Trump, au courant des objectifs définis lors de la réunion, a confirmé à MEE que cinq conditions avaient été présentées aux responsables turcs.

Premièrement, les États-Unis ont répété que le retrait de ses forces de lutte contre l’EI dans le nord-est de la Syrie se ferait de manière délibérée, ordonnée et forte.

« Les États-Unis s’opposent à tout mauvais traitement des forces de l’opposition ayant combattu à leurs côtés »

- Un haut responsable de l’administration Trump

Deuxièmement, les États-Unis se sont engagés dans cette note libre à vaincre les vestiges de l’EI et à continuer à nuire au groupe tout au long de la période de retrait.

Bien que les combattants de l’EI aient été évincés des grandes villes dont ils s’étaient emparés, les combats entre les forces soutenues par les États-Unis et les militants de l’EI se poursuivent dans la moyenne vallée de l’Euphrate, les États-Unis continuant de lancer des attaques aériennes régulières pour soutenir les forces alliées.

« Comme l’a annoncé le président, les États-Unis maintiendront toutes les capacités indispensables aux opérations nécessaires pour empêcher la résurgence de l’EI », a déclaré un responsable de l’administration.

Troisièmement, les États-Unis ont déclaré qu’ils souhaitaient une solution négociée aux inquiétudes sécuritaires de la Turquie vis-à-vis des YPG.

Le responsable a précisé : « Les États-Unis vont coopérer avec la Turquie et les autres membres de la coalition pour la poursuite des opérations [contre l’EI] et la pacification de l’espace aérien au nord-est de la Syrie. Les États-Unis s’opposent à tout mauvais traitement des forces de l’opposition ayant combattu l’EI à leurs côtés. »

Retrait des forces soutenues par l’Iran

Quatrièmement, le responsable a précisé que les États-Unis poursuivraient les objectifs du retrait des forces soutenues par l’Iran de Syrie et d’une solution politique en Syrie.

Le président syrien Bachar al-Assad a largement fait appel au soutien de l’armée iranienne, notamment des unités du Corps des gardiens de la révolution ainsi que des combattants de la milice du Hezbollah soutenue par l’Iran, pendant les huit années de guerre civile dans le pays. 

« Les États-Unis ne se retirent pas de la base d’al-Tanf pour le moment », a déclaré ce responsable, faisant référence au seul site militaire américain situé dans le sud de la Syrie qui offre actuellement un refuge à certains membres de l’Armée syrienne libre.

Cette base, qui est proche des frontières irakienne et jordanienne, est considérée comme un puissant levier contre les forces pro-Assad et iraniennes dans la région.

Soldats turcs et américains en discussion lors d’une patrouille conjointe à Manbij (Syrie) en novembre (Reuters)

Enfin, les États-Unis ont clairement indiqué que la libération des militants de l’EI capturés – qualifiés de « terroristes étrangers » par le responsable américain – détenus par les Forces démocratiques syriennes dirigées par les YPG était « inacceptable ». Une gestion appropriée de ces prisonniers est une priorité absolue, a souligné le responsable.

Les dirigeants des FDS ont menacé au cours des dernières semaines de libérer ces prisonniers parce que leurs forces étaient en sous-effectif et en raison de la menace d’attaques turques dans le nord.

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Une source informée des discussions a déclaré que lors de la réunion à Ankara, des responsables turcs avaient accepté de ne pas mener d’opérations militaires contre des cibles YPG tant que les forces américaines restaient en Syrie, mais a réitéré la position d’Ankara selon laquelle les YPG sont une organisation terroriste que la Turquie a parfaitement droit d’expulser de ses frontières.

La source a également déclaré que Bolton s’était enquis de l’avancée des négociations entre la Turquie et la Russie sur ce qu’il se passerait après le retrait américain. En réponse, les responsables turcs ont refusé de révéler les détails de leurs conversations diplomatiques.

120 jours

Les responsables turcs s’attendent à ce que le retrait se fasse dans 120 jours et, selon la source, les responsables américains doivent faire preuve de bonne volonté pour répondre aux inquiétudes de la Turquie.

C’est la raison pour laquelle les responsables turcs ont exhorté leurs homologues à respecter la feuille de route de Manbij déjà convenue et à opérer rapidement un retrait des éléments appartenant aux YPG de la ville et de son conseil militaire. Autrement, ont-ils déclaré, le gouvernement syrien ou les forces russes alliées pourraient prendre le contrôle de Manbij.

« Les responsables turcs ne veulent rien faire qui puisse se retourner contre eux et pousser Trump à revenir sur sa décision de se retirer »

- Murat Yeşiltaş, analyste

La police militaire russe a déjà commencé à patrouiller dans la zone proche de la ville de Manbij, ont rapporté mercredi les médias russes.

Après la réunion au complexe présidentiel, Joseph Dunford a rencontré séparément le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, et son homologue turc, le général Yaşar Güler.

Les communiqués turcs et américains à propos de la discussion entre les chefs militaires portaient spécifiquement sur la nécessité de mettre rapidement en œuvre les éléments restants de la feuille de route de Manbij.

Murat Yeşiltaş, directeur des études de sécurité au think-tank SETA, basé à Ankara, a expliqué à MEE que Manbij pourrait être le premier domaine dans lequel des progrès pourraient être accomplis vers une résolution plus large.

« Il y a une entente entre la Turquie et la Russie à propos de Manbij », a-t-il déclaré. D’autres signes dans les médias turcs suggèrent qu’un accord sur Manbij est probable.

Le tombeau de Suleiman Chah

Hasan Basri Yalçın, un éditorialiste du journal Sabah, aligné avec le gouvernement turc, a écrit dimanche que la Turquie devrait faire pression en faveur d’une opération militaire dans le cadre de laquelle le tombeau historique de Suleiman Chah pourrait être ramené à son emplacement d’origine, près de Manbij.

Ce tombeau, qui est considéré comme une enclave turque selon un traité entre la Syrie et la Turquie, a été déplacé de la rive est de l’Euphrate à la frontière turque près de la ville syrienne de Kobané en 2015.

L’administration Trump, en revanche, a continué à envoyer des signaux contradictoires concernant ses plans de retrait mercredi.

Le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a répété que la décision de Trump était claire et que les menaces turques contre les Kurdes syriens n’empêcheraient pas le retrait.

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Interrogé à Erbil pour savoir si l’opposition du président turc Recep Tayyip Erdoğan à la protection des Kurdes mettait en danger le retrait, Pompeo a déclaré aux journalistes : « Non. Nous discutons avec eux en ce moment même de la manière dont nous allons procéder pour protéger nos forces.

« Il est important que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour veiller à ce que les personnes qui se sont battues à nos côtés soient protégées et Erdoğan a pris des engagements, il comprend cela », a ajouté Pompeo », selon Reuters.

« Les responsables turcs ne veulent rien faire qui puisse se retourner contre eux et pousser Trump à revenir sur sa décision de se retirer », a pour sa part commenté l’analyste Murat Yeşiltaş.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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