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Avion russe abattu : comment comprendre les dernières évolutions en Syrie ?

Qu’est-ce qu’un bouclier antimissile ? Pourquoi l’Iran et la Syrie ne répondent-ils jamais aux attaques israéliennes ? Qui a l’avantage militaire dans la région ? Voici les clés pour comprendre la dernière crise entre Israël et la Syrie

« Un enchaînement de circonstances accidentelles tragiques » : mardi, le président russe Vladimir Poutine a cherché à désamorcer une crise après que les forces syriennes ont abattu accidentellement un Illiouchine-20 russe (Il-20) au large de la Syrie, par erreur selon Moscou.

Quinze membres d'équipage ont été tués, selon le ministère de la Défense russe.

Cet incident inédit est le plus grave entre les deux alliés depuis que Moscou est intervenu militairement fin 2015 en Syrie pour épauler Damas.

L'armée israélienne a mené quelque 200 frappes en Syrie ces dix-huit derniers mois, principalement contre des cibles iraniennes

Mais régulièrement, Israël vise des installations en Syrie : samedi, des missiles israéliens ont même ciblé l’aéroport international de Damas.

Début septembre, dans une rare confirmation israélienne de ses opérations militaires en Syrie, un responsable avait affirmé que l'armée israélienne avait mené quelque 200 frappes dans ce pays ces dix-huit derniers mois, en visant principalement des cibles iraniennes.

Selon ce responsable israélien qui a requis l'anonymat, environ 800 missiles et bombes ont été lancés lors des frappes.

Qu’est-ce qu’un bouclier antimissile ?

Un bouclier de défense aérienne est un ensemble de plusieurs éléments.

D’abord, des radars d’alerte capables de détecter, sur un long rayon d’action, tout mouvement dans le ciel. Certains radars d’alerte couvrent 200 à 300 kilomètres de rayon. D’autres encore marquent les cibles à abattre et les lient aux missiles qui devront les toucher. 

Ensuite, une artillerie antiaérienne, composée de missiles ou de canons antiaériens. Son but est d’endommager la cible. Il existe deux familles de missiles : les missiles guidés par la chaleur émanant de la cible, qui ne nécessitent pas un radar de tir et ont une portée assez réduite ne dépassant pas les quinze kilomètres, et les missiles à guidage radar. 

La défense aérienne syrienne répond à ce que les médias syriens ont déclaré être des missiles israéliens ciblant l’aéroport international de Damas (AFP/SANA)

Ces derniers sont dirigés sur la cible par le radar de tir mais disposent d’un petit radar dans leur nez pour les guider en phase terminale et déjouer les manœuvres de la cible. La portée des missiles à guidage radar peut atteindre jusqu’à 200 ou 300 kilomètres. 

On parle de « bouclier » dans le cas d’un enchevêtrement en cercles concentriques de plusieurs radars et de systèmes de missiles pour couvrir au maximum un espace donné. 

À LIRE ► L’Iran en Syrie : le dilemme d’Israël au nord

Bien évidemment, les capacités des radars et des missiles sont théoriques, ils sont vulnérables aux obstacles élevés comme les montagnes, ou au brouillage adverse.

Pourquoi la défense syrienne a-t-elle abattu un avion russe, allié ?

La défense antiaérienne syrienne a abattu l’appareil russe par accident, selon Moscou, après avoir tiré de nombreux missiles sur de multiples cibles, à la fois des missiles et des appareils qui se trouvaient au large de la Syrie. 

Il est possible que le radar d’un des missiles à longue portée S200 ait accroché par accident l’Iliouchine 20 qui rentrait de mission, à cause de sa grande surface réfléchissant les ondes radar. 

Il est possible aussi que la cause de cet accrochage accidentel soit due à la disparition de sa cible, abattue par un précédent missile, sortie de la zone de couverture du radar ou ayant brouillé son espace environnant, ne laissant que l’Iliouchine 20 comme cible. C’est pour cette raison que lors de batailles aériennes, les avions de transport ne sont pas engagés.

L’Iliouchine 20 permet actuellement à la Russie de monitorer la présence de navires et lorsque c’est possible, de sous-marins occidentaux dans la partie orientale de la Méditerranée

L’Iliouchine 20 est un avion de patrouille maritime, construit sur la base d’un vieil appareil de transport américain. Il est doté d’une panoplie de capteurs optiques, radioélectriques, radars et de détecteurs d’anomalies magnétiques.

Sa mission principale est de couvrir de larges zones maritimes et océaniques pour retrouver et engager des cibles maritimes sous-marines ou de surface. Il permet actuellement à la Russie de monitorer la présence de navires et, lorsque c’est possible, de sous-marins occidentaux dans la partie orientale de la Méditerranée.

Cette attaque est-elle liée à l’offensive sur Idleb ?

Israël a récemment dévoilé un document sur sa plus grande campagne aérienne contre les forces des Gardiens de la révolution iranienne en Syrie, qui a eu lieu le 9 mai dernier. 

Il semble de plus en plus que la priorité principale d’Israël soit de faire la guerre à toute présence iranienne sur le sol syrien, non pas d’intervenir dans le cadre de la coalition syro-russe et celle des pays occidentaux pour la prise de territoire en Syrie.

Pourquoi les Israéliens font-ils voler leurs F-16 au-dessus de Lattaquié, en Syrie ?

Les F-16 israéliens, qui se trouvaient à plusieurs dizaines de kilomètres au large de la Syrie, ont probablement ciblé des regroupements de forces syriennes ou iraniennes dans la région de Lattaquié et certainement des dépôts d’armes.

Quel rôle joue l’Iran dans ce face-à-face ?

L’Iran est probablement la cible principale d’Israël depuis le début de ses frappes en 2016. L’objectif d’Israël, qui martèle qu’il ne permettra pas à l’Iran de se servir de tête de pont contre lui, est de creuser le fossé entre Moscou et Téhéran en Syrie en mettant Moscou en position de neutralité forcée, et de stopper l’aide militaire à l’Armée arabe syrienne et au Hezbollah.

L’objectif d’Israël, qui martèle qu’il ne permettra pas à l’Iran de se servir de tête de pont contre lui, est de creuser le fossé entre Moscou et Téhéran en Syrie en mettant Moscou en position de neutralité forcée

Pourquoi des missiles israéliens sont-ils régulièrement tirés sur la Syrie sans que celle-ci – ou que l’Iran – ne réponde ?

La Syrie ne répond pas aux attaques israéliennes, probablement pour éviter l’escalade sur son flanc occidental et de peur de se retrouver à combattre Israël sur le terrain. 

Quant à l’Iran, la réponse est liée au statut fragile de Téhéran sur le plan international et à la survie des négociations sur le nucléaire iranien. 

À LIRE ► Les Israéliens ont tenté de limiter leurs pertes en Syrie. Ils ont échoué

Téhéran préfère répondre sur le terrain en se contentant de renforcer l’Armée arabe syrienne et l’autorité du président syrien Bachar al-Assad pour préserver sa présence en Syrie.

L’épave d’un char dans le secteur du plateau du Golan occupé par Israël, face au village syrien de Hadar, le 17 avril 2016 (AFP)

Dans la région, qui a l’avantage militaire ?

Israël est le pays qui se trouve dans la position la plus avantageuse dans la région, pour de nombreuses raisons : son armée est la plus forte en nombre et en qualité dans la région. 

Le fait que la Syrie n’ait aucune profondeur stratégique permet à l’aviation israélienne de bombarder des cibles en Syrie à partir de son territoire ou, au pire, au-dessus du ciel paisible du Liban, sans prendre trop de risques. 

Il ne faut pas oublier non plus qu’Israël est un allié objectif de Moscou et qu’ils n’ont pas intérêt à entrer en conflit. 

Israël entretient des relations étroites avec la Russie de Poutine. C’est le premier pays qu’il a visité après sa réélection en 2012, et comme le souligne le correspondant d’Haaretz Anshel Pfeffer : « Tout au long de sa présidence, il a fait en sorte de rencontrer les dirigeants israéliens chaque année ». Depuis 2014, la Russie est le plus grand fournisseur en pétrole brut d’Israël. La Russie compte enfin la plus grande communauté d’expatriés en Israël au monde, presque tous des russophones natifs. Le russe est maintenant la troisième langue la plus parlée en Israël après l’hébreu et l’arabe.

Le président russe Vladimir Poutine accueille le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou lors d’une réunion au Kremlin, à Moscou, le 7 juin 2016 (AFP)

« Il n’y a rien de surprenant à ce que des liens bilatéraux étroits se tissent. Cependant, dépeindre une plus grande implication de la Russie en Syrie comme un obstacle à la puissance et aux ambitions d’Israël relève au mieux de l’ignorance et, au pire, de la tromperie », explique le journaliste Sharif Nashashibi pour Middle East Eye.

Enfin, face à Israël et à l’Iran, la Syrie, qui a souffert depuis cinq ans d’une terrible guerre civile, n’a pas la maîtrise de l’ensemble de son territoire, ni la capacité financière d’entrer en guerre avec Israël.

Ces attaques peuvent-elles déboucher sur une guerre ouverte ?

C’est peu probable. L’Iran n’a pas la volonté de répondre aux provocations, la Syrie n’a pas les moyens d’entrer en guerre contre Israël et la Russie n’est pas un ennemi d’Israël. 

L’Iran n’a pas la volonté de répondre aux provocations, la Syrie n’a pas les moyens d’entrer en guerre contre Israël

En février dernier, alors qu’un drone sans pilote iranien était abattu au-dessus d’Israël, Yossi Melman, commentateur spécialiste de la sécurité et du renseignement israélien, expliquait à MEE qu’Israël ne veut pas « se retrouver dans une confrontation militaire directe avec l’axe tripartite Syrie-Iran-Hezbollah ». « Il est clair pour les commandants militaires israéliens et le Cabinet que, si une nouvelle guerre éclate, elle sera menée sur deux fronts – en Syrie et au Liban – et vu l’énorme arsenal dont disposent ces pays – plus de 100 000 roquettes et missiles –, la population civile israélienne devra payer un lourd tribut. »

Tout le monde va se contenter de panser ses plaies et de renforcer ses capacités de résilience et de résistance aux attaques qui risquent de se poursuivre.

Il y a une semaine, la Russie lançait les plus vastes manœuvres militaires de son histoire, avec notamment des exercices de lutte anti-aérienne. Faut-il y voir un lien avec ce qui se passe au Moyen-Orient ?

Indirectement oui, car c’est une formidable vitrine pour les technologies de défense antiaériennes russes. C’est également une façon de répondre aux projets américains d’installer une division blindée en Pologne et de renforcer la présence de l’OTAN le long de la frontière russe.

- Akram Kharief est journaliste indépendant, spécialisé en défense et sécurité. Il anime le site d’informations menadefense.net sur la défense au Moyen-Orient et en Afrique du Nord depuis 2011.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : photo non datée obtenue le 18 septembre 2018 montrant un avion russe Iliouchine 20M (Il-20M) atterrissant à un endroit inconnu. La Russie a accusé Israël le 18 septembre 2018 d'avoir perdu un avion militaire Il-20M dans un incendie syrien, qui a tué les quinze militaires à bord (AFP).

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