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Bachar al-Assad : de la victoire militaire à la perte du pouvoir

Bien que le président syrien semble remporter la partie sur le plan militaire, il est en réalité fragilisé par les divisions croissantes entre ses alliés et n’a plus aucun contrôle sur les crises qui secouent son pays

Sur le plan militaire, Bachar al-Assad est sorti grand gagnant de la guerre civile syrienne. Les différentes factions rebelles sont aujourd’hui incapables de menacer le régime tant leurs pertes ont été importantes. Le nombre de groupes rebelles a considérablement diminué, tout comme l’étendue des territoires qu’ils contrôlent.

Si le nord-est de la Syrie est sous l’emprise des Kurdes (YPG, YPJ et FDS) et l’ouest, dans un rayon de 50 km autour de la ville d’Idleb, sous celui de l’Armée syrienne libre (ASL) et d’Ahrar al- Sham, le régime de Bachar al-Assad contrôle aujourd’hui la majorité du territoire alors qu’en 2015, les observateurs prévoyaient sa chute aux alentours de Noël de la même année.

Naturellement, c’est l’intervention des alliés du régime – au premier rang desquels les Russes et les Iraniens – qui a permis de sauver le régime et de renverser la tendance sur le terrain. C’est uniquement cette coopération entre l’armée régulière syrienne, les milices pro-iraniennes et l’aviation russe qui a permis au régime la reconquête de portions importantes du territoire syrien.

Des convergences d’intérêts aux divergences stratégiques

L’intervention des Russes, des Iraniens et du Hezbollah répondait naturellement à des intérêts stratégiques propres.

Au gré de l’évolution du conflit, la convergence des intérêts à court terme des différents acteurs a laissé place à une divergence stratégique à long terme. Celle-ci fragilise la coopération entre la Russie, l’Iran et la Syrie, qui est à la source des précédentes victoires militaires du président syrien

Il s’agissait, pour la Russie, de garder un pied au Moyen-Orient et de garantir son accès aux mers chaudes. Pour l’Iran, l’objectif était de maintenir la Syrie sous influence iranienne dans la longue guerre par procuration qu’elle livre à l’Arabie saoudite. Enfin, pour le Hezbollah, il s’agissait de garantir son approvisionnement logistique par l’Iran via la Syrie. La présence de la milice libanaise dans le sud de la Syrie lui confère en outre un atout géostratégique en cas de nouveau conflit avec Israël.

L’ensemble de ces objectifs a été réalisé au moyen d’une base navale pour la Russie dans la ville de Tartous, du déploiement du Hezbollah dans le sud de la Syrie et de l’installation de bases militaires iraniennes dans le pays.

Le président syrien Bachar al-Assad salue ses troupes lors d'une visite à Daraya le 1er août 2013 (AFP)

Néanmoins, au gré de l’évolution du conflit, la convergence des intérêts à court terme des différents acteurs a laissé place à une divergence stratégique à long terme. Celle-ci fragilise la coopération entre la Russie, l’Iran et la Syrie, qui est à la source des précédentes victoires militaires du président syrien.

En effet, pour Bachar al-Assad, la priorité est de reconquérir militairement l’ensemble des territoires contrôlés par l’Armée libre syrienne et Ahrar al-Sham, d’affaiblir politiquement les Kurdes des YPG en vue de passer un accord avec le PYD (le parti politique kurde syrien dont les YPG sont le bras armé), et enfin d’éviter que de nouveaux acteurs n’entrent dans le conflit syrien.

Un certain nombre de changements survenus ces derniers mois dans la République islamique poussent Téhéran à accélérer son emprise sur le territoire syrien, au détriment des Russes et du régime syrien

Or, cet agenda entre en confrontation directe avec les nouvelles priorités stratégiques de l’Iran. En effet, un certain nombre de changements survenus ces derniers mois dans la République islamique poussent Téhéran à accélérer son emprise sur le territoire syrien, au détriment des Russes et du régime syrien.

Tout d’abord, le régime iranien est dans une certaine mesure fragilisé par la crise économique qui parcourt le pays et qui s’est mue en crise sociale. Pendant que le président Rohani instaure une vraie politique d’austérité pour les Iraniens, le guide suprême, l’ayatollah Khamenei, finance massivement l’intervention des Gardiens de la révolution islamique en Syrie via l’armement de milices et l’envoi d’équipements.

Ce deux poids, deux mesures a fait de l’intervention iranienne en Syrie une décision hautement impopulaire, comme en témoignent les slogans de manifestants scandant « Mort au Hezbollah  ! ». L’impopularité de l’engagement en Syrie, couplée à une forme de libéralisation de la parole en Iran, pousse les Gardiens de la révolution à accélérer leur offensive pour mettre fin au plus vite à ce sentiment de frustration au sein de la population.

L’autre grande raison qui pousse les Iraniens à accélérer leur domination en Syrie est la certitude des cercles du pouvoir à Téhéran que l’accord sur le nucléaire sera avorté. En effet, le président américain Donald Trump veut farouchement y mettre fin et, dans la mesure où Téhéran ne concède rien sur son programme balistique, les Européens sont peu enclins à engager un bras de fer avec Washington à ce sujet.

À LIRE : Le dilemme iranien : des émeutes du pain à la remise en cause de la légitimité du régime

Pour l’establishment iranien, la fin de l’accord sur le nucléaire et l’influence du prince héritier saoudien Mohammed ben Samane sur l’actuel locataire de la Maison-Blanche sont autant d’éléments menaçants pour la sécurité de l’Iran. La République islamique veut donc pouvoir compter sur sa présence en Syrie au cas où la situation tournerait à son désavantage.

Or, c’est précisément cette présence et ces installations militaires iraniennes en Syrie qui représentent un danger pour Assad, dans la mesure où elles renforcent la menace d’une intervention israélienne contre l’Iran sur le territoire syrien.

Le président syrien Bachar al-Assad (de dos) et son homologue russe Vladimir Poutine (AFP)

Enfin, concernant la Russie, un certain nombre d’analystes s’interrogent sur les intérêts de son engagement en Syrie qui, jusqu’à présent, n’a fait qu’aider les Iraniens à atteindre leurs propres objectifs.

Moscou, qui en 2015 a compris que l’administration Obama n’interviendrait pas dans le conflit syrien, a vu l’opportunité de sauver le régime tout en s’imposant dans le jeu moyen-oriental, dont il a été longtemps absent.

Le soutien aérien de la Russie a été décisif et, très vite, sa présence est devenue incontournable dans la région du fait de sa proximité avec l’ensemble des acteurs. L’annonce du retrait de la majeure partie des troupes russes de Syrie en décembre 2017 devait, selon le plan de Moscou, déboucher sur des négociations de paix et un compromis politique dont la Russie serait le parrain.

Vladimir Poutine a compris que […] le règlement du conflit par les voies politiques et diplomatiques remettrait Moscou au centre du jeu syrien, et assurerait ses intérêts et son influence au détriment des Iraniens

Aujourd’hui, la diplomatie russe, poussée par ses intérêts contradictoires, entrevoit une solution politique à la crise au détriment de la volonté des Syriens et des Iraniens, qui préfèrent maintenir le conflit sur le terrain militaire. En effet, l’internationalisation du conflit a poussé la Russie dans ses contradictions entre la volonté de maintenir de bonnes relations avec Israël, l’inquiétude face à l’influence grandissante des Iraniens et de leur méfiance croissante à son encontre, le partenariat stratégique avec la Turquie et la nécessité de protéger Damas.

Le vote au Conseil de sécurité de la résolution 2401, qui exigeait une cessation des hostilités sans délai sur l’ensemble du territoire syrien pendant un mois, n’est que l’illustration du début de l’infléchissement de la position russe.

Vladimir Poutine a compris que la politique du tout militaire aurait pour conséquence une Syrie coupée des pays occidentaux et des pays arabes, ce qui profiterait davantage à l’influence iranienne. Le règlement du conflit par les voies politiques et diplomatiques remettrait en revanche Moscou au centre du jeu syrien, et assurerait ses intérêts et son influence au détriment des Iraniens, qui subissent eux-mêmes une forme d’isolement diplomatique.

Les conséquences de ces divisions pour le clan Assad

De la même manière que l’étroite coopération de la Syrie avec les Russes et les Iraniens était profitable à Bachar al-Assad, la divergence stratégique des acteurs sur le terrain lui est fortement dommageable.

La récente intervention de la Turquie à Afrin l’illustre. Ainsi, lorsque le président Erdoğan planifiait d’entrer militairement en Syrie en vue d’affaiblir les forces kurdes des YPG, qu’il considère comme terroristes, des contacts ont été immédiatement noués entre les hauts gradés russes et turcs. Le 18 janvier, Erdoğan a envoyé à Moscou son chef des renseignements et son chef d’état-major pour négocier les modalités de l’intervention avec les Russes, lesquels ont donné leur accord alors que le pouvoir syrien y était totalement hostile.

L’intervention iranienne a poussé la Syrie à entrer elle aussi également en confrontation directe avec Israël, contre son gré

Bien qu’allié du régime de Damas, Vladimir Poutine a donc ignoré la souveraineté syrienne, qui pesait faible dans la balance face à un président Erdoğan promettant en contrepartie de renforcer le projet en cours de construction du gazoduc Turkish Stream. Le 19 janvier, soit la veille de l’intervention turque, le président Erdoğan signait l’autorisation pour la construction par la société russe Gazprom du second tronçon de Turkish Stream.

Peu de temps après, c’était au tour des alliés iraniens de mettre le régime syrien dans une position très risquée en envoyant un drone militaire au-dessus d’Israël à partir du territoire syrien – sans en informer Damas – et en entrant ainsi en confrontation quasi directe avec Israël.

La réponse de l’armée israélienne a été le bombardement de cibles militaires iraniennes, mais également syriennes, par un F-16 israélien que l’armée syrienne a dû abattre. L’intervention iranienne a ainsi poussé la Syrie à entrer elle aussi également en confrontation directe avec Israël, contre son gré.

Restes du F-16 israélien abattu par l'armée syrienne dans le nord d'Israël le 10 février (AFP)

Les Gardiens de la révolution poursuivent donc leurs objectifs stratégiques au détriment des priorités du régime syrien, lequel se retrouve à subir les bombardements israéliens sur son territoire, qui plus est avec l’accord de Moscou vu qu’un canal de communication a été mis en place entre l’aviation israélienne et le commandement militaire russe en Syrie.

Alors que l’armée syrienne est désormais en mesure de gagner la guerre seule du fait de la dissipation de nombreux groupes rebelles, l’activisme iranien en Syrie est maintenant davantage perçu par le régime syrien comme une menace plutôt qu’un soutien. Toutefois,  Bachar al-Assad est maintenant bien incapable de demander aux Iraniens de quitter son pays du fait de la nature de leur relation, totalement déséquilibrée à son désavantage.

Quels sont les risques pour Bachar al-Assad?

Naturellement, à l’heure actuelle, le régime syrien n’est pas menacé, mais il se trouve toutefois fragilisé par ces divisions.

Bachar al-Assad est maintenant bien incapable de demander aux Iraniens de quitter son pays du fait de la nature de leur relation, totalement déséquilibrée à son désavantage

La méfiance grandissante entre Iraniens et Russes d’une part, et la divergence des intérêts entre la Syrie et ses alliés d’autre part, affaiblissent le clan Assad, qui n’a plus aucun contrôle sur les crises successives qui se déroulent dans son pays.

De plus, le risque d’une plus grande internationalisation du conflit peut modifier le rapport de forces sur le terrain.

Au nord, l’intervention turque pour éliminer les YPG dans une région majoritairement peuplée de Kurdes écarte la thèse d’une intervention courte et ciblée. Tout porte à croire au contraire qu’une fois les YPG mis hors d’état de nuire, les forces turques resteront présentes pour s’assurer que la menace kurde ne reprend pas sous une autre forme et afin d’installer la zone tampon qu’ils ont toujours réclamée.

La zone contrôlée par l’armée turque aura ainsi une frontière directe avec le territoire contrôlé par l’Armée syrienne libre. Or, Ankara a toujours soutenu l’ASL, qui est d’ailleurs basée à Istanbul. La nouvelle présence de l’armée turque laisse par conséquent présager que l’acheminement de matériel militaire aux rebelles par la Turquie sera dorénavant plus important.

À LIRE : La guerre en Syrie est loin d’être terminée

Au sud, les déclarations des officiels israéliens, qui ont mainte fois précisé qu’ils ne laisseront jamais les Iraniens s’installer à leur frontière septentrionale, rappellent d’une certaine façon les déclarations du président Erdoğan concernant les YPG juste avant son intervention à Afrin. Les nombreux déplacements de Netanyahou à Moscou et les récents incidents avec les Iraniens à la frontière syrienne suggèrent qu’une intervention israélienne est inéluctable.

Si l’entrée en guerre d’Israël contre la République islamique en territoire iranien est hautement improbable, des frappes israéliennes concentrées sur des installations militaires iraniennes et de l’armée régulière syrienne en Syrie, spécialement dans le sud, entrent en parfaite cohérence avec la doctrine stratégique israélienne.

Dans ce scénario, la présence des milices proche du régime syrien et de son armée se retrouverait affaiblie dans le sud du pays, ce qui pourrait donner l’avantage aux rebelles déjà présents dans les régions d’al-Musayfirah et d’al-Harrah – et ainsi fragiliser le pouvoir de Bachar al-Assad, cette fois sur le plan militaire.

- Anas Abdoun est un analyste géopolitique spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Il a publié de nombreuses analyses sur les enjeux internationaux au Moyen-Orient. Il est également contributeur régulier auprès de nombreux sites spécialisés en analyse prospective et en risque politique, tel que Global Risk Insight.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président syrien Bachar al-Assad en février 2015 (AFP).

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