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Cologne : un vieux parfum de racisme

Il reste difficile de comprendre ce que les médias pourraient gagner à attiser les tensions raciales à ce point – mais les vieilles habitudes ont, semble-t-il, la vie dure

Vous souvenez-vous de l’édition 2012 du célèbre festival de la bière allemand lorsqu’une femme a été violée le premier jour et 91 autres ont été agressées sexuellement par les festivaliers ?

Probablement pas, l’information est à peine parue dans les journaux locaux à l’époque. Plus de deux semaines après les événements de la Saint-Sylvestre à Cologne en Allemagne, lorsque 30 hommes qui seraient d’origine arabe ont été accusés d’avoir agressé sexuellement des dizaines de femmes présentes, l’histoire ne se calme pas.

Les nombreux attouchements qui ont été attribués aux réfugiés ont déclenché une vague de débats souvent racistes à travers l’Allemagne et les capitales occidentales, ce qui aurait semblé impensable dans un pays encore sous le choc de son douloureux passé nazi.

Le ton des débats empestait le racisme séculaire qui considère les crimes des autres comme inhérents à leur culture étrangère. Des incidents concernant des réfugiés interdits dans les espaces publics continuent d’être signalés, les responsables reconnaissant fièrement la nécessité de mesures aussi strictes.

Près de trois semaines après les attaques notoires du réveillon du Nouvel An, les informations sur ce qui s’est réellement passé restent obscures.

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Les premiers articles faisaient état de 1 000 hommes agressant sexuellement autant de femmes. Ce titre choquant s’est révélé très efficace évoquant des images de viols collectifs dans les rues allemandes, rappel des attaques de Vikings au XIIe siècle. En y regardant de plus près, une trentaine d’hommes – des petits délinquants pour la plupart – ont décidé de profiter de l’ambiance festive en volant et harcelant les femmes présentes sur la place de la ville de Cologne, où les fêtards se rassemblent pour célébrer le passage à la nouvelle année.

Lynchages dans l’Amérique des années 1930

Aussi désagréable et inacceptable que puisse être ce type de criminalité, les grands rassemblements sont connus pour les vols et les agressions sexuelles.

Lancer un débat on ne peut plus nécessaire sur les raisons pour lesquelles les femmes ne devraient plus être victimes de ce type de comportement aurait été une réponse naturelle. Au lieu de cela, l’Allemagne a été prise de frénésie anti-immigration, ce dont elle ne veut plus s’extraire.

Du questionnement des véritables intentions des réfugiés à l’hypothèse d’un comportement prédateur inhérent aux hommes arabes, les viols et agressions sexuelles en Allemagne semblent avoir commencé dans la nuit du 31 décembre 2015. Jusque-là, l’Allemagne était un refuge pour les femmes où aucune n’aurait jamais à subir une quelconque forme d’agression sexuelle. Puis, les hommes à la peau brune sont arrivés en « hordes » s’attaquant sauvagement à leur vulnérabilité occidentale.

Il n’y a rien de nouveau dans cette représentation des femmes blanches convoitées par des « sauvages » à la peau sombre. De nombreux lynchages dans l’Amérique des années 1930 aux mains des suprématistes blancs ont été commis parce que des jeunes hommes noirs ont été accusés parfois simplement de regarder une femme blanche.

Les crimes des coupables à Cologne ne doivent pas être minimisés ; ils sont graves et méritent une réponse forte du système judiciaire allemand, mais les crimes de 30 voyous ne sont pas et ne doivent pas être le reflet de l’ensemble de la population arabe en Allemagne.

Ils « se ressemblent tous »

Il y a bien sûr de nombreux points d’interrogation sur ces incidents interprétés constamment par les médias occidentaux. Tout d’abord comment les victimes peuvent dire que leurs assaillants étaient en effet Arabes ou des réfugiés ? En Allemagne, de nombreuses communautés ont des caractéristiques méditerranéennes et donc arabes : des Turcs et Kurdes aux Roms, toutes ces minorités pourraient aussi bien passer pour des Arabes.

Est-ce que cela suggère que tous les hommes à la peau mate se « ressemblent » ?

Certes, il faut admettre le harcèlement des femmes dans certaines sociétés arabes, mais pas toutes. Autour du bassin méditerranéen – comme en Italie il n’y a encore pas si longtemps – les sifflements et les approches verbales ne sont malheureusement pas rares. Bien que ceux-ci aient été condamnés à juste titre, ils ne représentent pas le comportement général de tous les hommes arabes. De la même manière, les dizaines d’Allemands voyageant à Marrakech chaque année en tant que touristes sexuels et qui paient pour avoir des relations sexuelles avec des garçons d’à peine 8 ans ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la population masculine de l’Allemagne.

Il est bien sûr affligeant que de tels crimes inacceptables ne justifient pas les mêmes réactions internationales lorsque les coupables sont des Occidentaux souvent riches.

Les célébrations de la Saint-Sylvestre à Manchester ont été décrits comme un « carnage » par la presse britannique, des photos de femmes à moitié nues jonchant les rues de la ville sont devenues virales. L’idée qu’aucune de ces femmes n’a été agressée sexuellement serait difficile à croire, mais leurs tripoteurs ne venaient sans doute pas de minorités visibles, leur comportement n’a ainsi pas été rapporté et présenté simplement comme une conséquence naturelle de l’ivresse dans le cadre de la fête.

La « satire » de Charlie Hebdo

Naturellement, les incidents de Cologne ont été repris par diverses sources. Le magazine « satirique » français controversé Charlie Hebdo, qui a gagné une notoriété internationale l’année dernière lorsque son équipe éditoriale a été victime d’une brutale attaque terroriste dans ses bureaux, n’a pas manqué de revenir sur l’histoire. Mélangeant le sentiment anti-réfugiés à l’imagerie raciste classique, le magazine a publié une caricature représentant le petit Syrien qui s’est noyé sur une plage turque en tentant de fuir son pays déchiré par la guerre. Selon le dessinateur, cet enfant angélique serait devenu en grandissant un cochon attaquant lubriquement les Allemandes.

Tandis que beaucoup ont condamné cette image on ne peut plus offensante qui est à la fois grossière et profondément raciste, la caricature capte avec précision le ton hargneusement raciste qui prévaut aujourd’hui dans de nombreuses sociétés européennes. L’idée est de présenter tous les étrangers – en ce moment les musulmans/Arabes – comme étrangers aux normes civilisées et incapables de s’adapter à un Occident plus avancé.

Les experts mêmes qui réclamaient de leurs gouvernements des guerres inutiles contre des nations stables du Moyen-Orient, les transformant en États déstabilisés, promeuvent désormais l’idée que les réfugiés fuyant ces conflits sont incompatibles avec l’Occident plus éclairé. Cet Occident dont les soldats ont commis des agressions sexuelles par centaines en Irak et en Afghanistan, ou plus récemment en République centrafricaine.

Touristes sexuels occidentaux

Ces soldats sont mauvais, disent-ils, mais ils ne sont que des fruits pourris dans un verger par ailleurs en bonne santé. Peu importe que les prédateurs sexuels au Royaume-Uni et aux États-Unis soient principalement des hommes blancs indigènes ou que la plupart des touristes sexuels qui voyagent au Maroc ou en Thaïlande pour avoir des relations sexuelles avec des enfants soient des Occidentaux blancs. Le criminel blanc est toujours l’exception alors que l’homme brun est à l’inverse intrinsèquement pervers.

Lorsque ce type d’information trompeuse est continuellement diffusée, il est peu surprenant que les Allemands blancs, hommes et femmes, prennent sur eux d’aller ensuite attaquer des « étrangers » ou des personnes ayant l’air « étranger » pour venger leurs « sœurs ».

Les attaques contre des mosquées, contre des centres de réfugiés ou des attaques « d’honneur » pour laver la réputation des victimes blanches ont doublé au cours des trois semaines écoulées depuis les incidents de Cologne, alimentées par les débats sans fin dans les médias qui ont transformé les agressions du réveillon du Nouvel An en propagande pour les opérations de nettoyage contre les minorités ethniques à travers l’Europe.

Des attaques terroristes contre des cibles occidentales ont déjà enflammé les tensions intercommunautaires : les musulmanes ont déclaré une augmentation de 60 % des attaques verbales et physiques rien que pour l’année dernière.

Les événements de Cologne ne feront qu’exacerber les tensions communautaires. Il reste difficile de comprendre ce que les médias pourraient gagner à attiser les tensions raciales à ce point – mais les vieilles habitudes ont, semble-t-il, la vie dure.

Les caricatures antisémites infâmes de Der Stürmer ont été à juste titre condamnées en raison de l’atmosphère qu’elles créaient dans laquelle le sentiment anti-juif devenait la norme. Attribuer les crimes d’un banquier juif corrompu à l’ensemble du peuple juif est devenu une référence pour les horreurs qui ont frappé l’Europe lors de la Seconde Guerre mondiale.

On dit que l’histoire se répète. En Allemagne, il y a lieu de se demander pourquoi on devrait prendre la peine de l’apprendre.

- Hafsa Kara-Mustapha est une journaliste, analyste politique et commentatrice qui se concentre particulièrement sur le Moyen-Orient et l’Afrique. Elle a travaillé pour le groupe FT et Reuters et son travail a été publié dans le Middle East Magazine, le Jane's Foreign report et de nombreuses publications internationales. Apparaissant régulièrement comme experte à la télévision et à la radio, Hafsa peut être vue sur RT et Press TV.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Des manifestants du mouvement PEGIDA (Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident) défilent lors d’un rassemblement à Leipzig, le 11 janvier 2016 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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