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Daech puise dans une culture de la violence

Dans une culture où la violence est un divertissement, le groupe État islamique attire une jeunesse insatisfaite de vivre ses fantasmes à l’écran

Un an après la Seconde Guerre mondiale, le général de brigade américain Samuel Marshall a mené une étude sur la réticence naturelle de l’homme à tuer. Ayant mené des centaines d’entrevues après-combat, Marshall est parvenu à une conclusion remarquable : jusqu’à 85 % des soldats n’ont pas tiré sur l’ennemi, même lorsque leur vie ou la vie de leurs camarades en dépendait.

« La grande majorité des combattants semblent avoir été incapables de tuer ou réticents à le faire », écrit Marshall dans Men Against Fire.

La leçon à tirer de l’étude de Marshall concernant la psychologie militaire était la suivante : jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les soldats avaient été formés à utiliser leurs armes, mais n’avaient pas été formés à tuer. Exit donc les cibles avec des cercles et des numéros, remplacées par des cibles plus réalistes dont jaillissait de la peinture rouge ou qui tombaient lorsqu’elles étaient touchées. L’exposition à des images violentes a également fait son entrée en scène. Pensez au film Orange mécanique.

Cette inflexion de la formation des soldats américains sur la façon de tuer, plutôt que de simplement charger et tirer, a abouti à un taux de tir de 55 % lors de la guerre de Corée et à un taux de tir de près de 95 % au Vietnam. Aujourd’hui, les soldats américains sont les forces de combats les plus formées à tuer de l’histoire de la guerre.

En bref, une exposition constante à des images violentes et une boucle de rétroaction positive de mise à mort fictive a transformé les soldats américains de tueurs réticents en assassins enthousiastes et capables.

Des années 50 aux années 70, seule l’armée disposait de ces techniques de formation militaire. Depuis lors, la violence est devenue plus réaliste dans les films hollywoodiens, et les jeux vidéo qui simulent des combats constituent la première forme de divertissement à domicile – les jeux vidéo se vendent désormais mieux que les films.

Surmonter la réticence à tuer

En 2015, une étude sur le lien entre la violence et les jeux vidéo a conclu que « Jouer à des jeux vidéo peut augmenter les comportements et pensées agressifs, tout en diminuant l’empathie et la sensibilité à l’agression. »

Qu’est-ce que tout cela signifie ? Non seulement que l’armée a réussi à surmonter la réticence d’un soldat à tuer, mais aussi que les médias en ont fait de même avec les civils. Désormais, nous avons tous le potentiel d’être des tueurs nés.

L’augmentation exponentielle des fusillades de masse aux États-Unis relève de ce phénomène. Le taux de possession d’armes à feu n’a vraiment pas beaucoup évolué au cours des cinquante dernières années. Lorsque notre réticence à tuer était plus élevée, les armes restaient à la maison. Jusque dans les années 90, dont la fin est marquée par la tuerie de Columbine, on apportait des couteaux, des battes de baseball et des marteaux à l’école ou sur le lieu de travail pour régler les injustices perçues. Aujourd’hui, on apporte des armes.

Lorsqu’on diminue la réticence d’une société à tuer dans son ensemble, on finit par produire des individus qui désirent réellement et aiment tuer.

Cela nous amène à l’État islamique (EI), également connu sous l’acronyme Daech.

L’identification du problème de la radicalisation et la lutte contre ce dernier ont embrouillé tout le monde, des gouvernements occidentaux aux activistes communautaires, des soi-disant « spécialistes » du terrorisme au complexe industriel de la sécurité nationale. Le gouvernement australien a mis en garde contre l’écoute de musique alternative qui pourrait conduire votre enfant à la « radicalisation », tandis que les dirigeants britanniques ont suggéré que l’activisme environnemental était un signe révélateur. L’absurde est devenu sublime.

Le public exige des réponses. Les parents inquiets d’adolescents très impressionnables et à risque veulent des réponses. Toutefois, alors que l’EI recrute jusqu’à 2 000 étrangers par mois, les réponses ne semblent pas venir.

Culte de la violence

La réponse peut se trouver dans la religion, mais pas dans une religion reposant sur une théologie et une philosophie anciennes. Il s’agit d’un culte plus récent : la violence. Les études de lutte contre l’extrémisme violent et les récits de la vie au sein de l’autoproclamé État islamique suggèrent que ce n’est pas l’idéologie ou même la politique qui alimente ce groupe terroriste, mais la puissance et la violence.

Les transfuges de Daech évoquent régulièrement le fait que la vie au sein de l’État islamique ne correspond pas aux attentes fixées par les recruteurs en ligne. Abo Hamza al-Tunisi a dit aux journalistes qu’il avait adhéré à la propagande et avait cru qu’il participerait à un effort visant à améliorer la société irakienne par l’islam. Cependant, il a rapidement compris que le groupe n’éprouvait aucun intérêt réel pour les principes islamiques et s’intéressait à la violence pour la violence.

« Au début, je pensais qu’ils se battaient pour Allah, mais j’ai découvert plus tard qu’ils sont loin de suivre les principes de l’islam », a déclaré Hamza à The Independent. Il a ajouté que les combattants de l’EI étaient plus préoccupés par les viols, les exécutions et les assassinats « aveugles ».

D’autres transfuges ont expliqué comment les décapitations sont devenues à la fois un « rite de passage » et même une forme de divertissement en soi. Lorsque le groupe EI n’a plus d’otages chiites à exécuter, un musulman sunnite, souvent pris au hasard, sert de remplacement, ce qui met également en évidence la façon dont l’envie de violence remplace l’idéologie.

Grand Theft Auto – pas le Coran

Les journalistes occidentaux qui ont été libérés par Daech ou qui se sont échappés ont raconté qu’ils n’avaient vu aucune preuve d’une quelconque pratique de l’islam, pas même ne serait-ce qu’une copie visible du Coran. Une musulmane britannique qui a passé dix mois avec l’État islamique a déclaré qu’il y avait un « état d’esprit de type gangster, même parmi les femmes célibataires là-bas », ajoutant qu’elles passaient toute la journée à parler de violence, de guerre et de tuer « blotties autour de leurs ordinateurs portables à regarder ensemble des vidéos de l’EI ».

De façon disproportionnée, la plupart de la propagande en ligne de Daech est tournée vers les Occidentaux – avec des messages subliminaux : « Venez en Irak et en Syrie et reproduisez les actes de violence qui vous ont fait fantasmer en jouant à Call of Duty ou Grand Theft Auto, et terrorisez ceux qui vous ont intimidé et discriminé au lycée ».

Ce n’est vraiment pas plus sophistiqué que cela et ce message fonctionne pour deux raisons : d’une part, les jeunes musulmans sont marginalisés dans leurs communautés dominées par les hommes blancs, occidentaux, judéo-chrétiens, et d’autre part, comme mentionné précédemment, notre réticence à tuer a diminué – jusqu’à se diluer chez ceux qui désirent les effusions de sang et la violence.

Comparer les messages d’al-Qaïda et de l’organisation EI est révélateur. Alors que la propagande d’al-Qaïda appelle les musulmans à redresser les torts impérialistes des États-Unis en Arabie saoudite, en Israël, en Palestine, et de la Russie en Tchétchénie, Daech fait appel aux pulsions et aux élans violents. Alors que le thème du message d’al-Qaïda est « Rejoignez vos frères musulmans pour combattre les oppresseurs coloniaux occidentaux », celui de l’EI est plutôt : « Tirez, tuez, torturez et décapitez ».

« Avec son grisant mélange médiatique de violence explicite et d’idylles utopiques, le groupe EI cherche des recrues et des partisans qui s’engagent davantage sur la voie de la radicalisation idéologique ou sont plus enclins, par disposition personnelle, à la violence », observent Jessica Stern et J.M. Berger dans ISIS: The State of Terror.

En ce qui concerne la radicalisation, il existe de nombreux chemins qui mènent au bas de la montagne, pour ainsi dire. Alors qu’une trop grande attention a été accordée aux écritures islamiques, et pas assez à ce que l’ancien djihadiste Mubin Shaikh m’a décrit comme un processus de radicalisation « en quatre étapes » – selon lequel les terroristes de tous bords intériorisent le mantra suivant : « Ce n’est pas normal. Ce n’est pas juste. C’est votre faute. Je dois faire quelque chose » –, il semble que la motivation de base de la violence ait été totalement ignorée.

Ignorée – enfin, sauf par Daech. Cet appétit actuel pour la violence a contribué à le transformer en l’organisation terroriste la plus prospère au monde. Il nous serait bien utile de comprendre ce qu’ils savent déjà.

CJ Werleman est l’auteur de Crucifying America, God Hates You. Hate Him Back et Koran Curious. Il est également l’animateur du podcast « Foreign Object ». Vous pouvez le suivre sur Twitter : @cjwerleman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : photo d’Abdelhamid Abaaoud, « cerveau des attentats de Paris du 13 novembre, publiée sur le magazine web de l’État islamique Dabiq.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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