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Khaled Ali est-il le sauveur de la gauche égyptienne – ou est-il manipulé ?

Participer à cette élection, sous quelque forme que ce soit, n’est pas une manifestation de proactivité politique dans un processus démocratique – c’est une trahison de l’esprit fondamental du soulèvement de janvier

Lorsque l’avocat des droits de l'homme et ancien candidat à la présidence, Khaled Ali, annonça le premier, le 6 novembre, sa candidature à l’élection présidentielle égyptienne, prévue vers avril 2018, il fut difficile de s’enthousiasmer à la perspective de l’alternance traditionnellement associée à ce genre de compétition.

Ali est l’un des rares candidats, jusqu’à présent, à avoir annoncé son intention de prendre part à la course à la présidence. Mercredi, Ahmed Chafik, ancien pilote de l’armée de l’air et dernier Premier ministre de Moubarak – qui a perdu dans une course très disputée contre Mohammed Morsi aux élections de 2012 – a annoncé sa candidature après s’être exilé aux Émirats arabes unis (EAU).

Comment garantir la transparence d’une élection si l’on a affaire à un président sortant qui contrôle toutes les institutions de l’État ?

Étrangement, Chafik a également affirmé – dans une vidéo diffusée sur plusieurs médias, dont Al Jazeera – que les Émirats arabes unis (où il vit réfugié depuis cinq ans pour éviter d’être confronté à des enquêtes sur la corruption en Égypte) lui avaient interdit de quitter le pays pour l’empêcher de se présenter contre le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi.

Entre-temps, Sissi n’a pas encore annoncé s’il allait se présenter à nouveau, bien qu’il ait réaffirmé son soutien à une limitation à deux mandats du poste de président. 

Le troisième candidat est l’ancien officier militaire, Ahmed Qunsuh, qui a déclaré son intention de se présenter à la présidence, dans une vidéo diffusée mercredi sur les réseaux sociaux.

Khaled Ali a annoncé qu’il se présenterait avec un programme socialiste (Reuters)

Une situation absurde

Le drame qui se déroule en Égypte depuis le coup d’État militaire de 2013 a jeté le pays au fond du plus sombre terrier à lapin absurde à la Lewis Caroll, là où « rien n’est ce qu’il paraît et où tout est différent de ce qu’il est ».

Rien n’incarne plus ce royaume absurde que lorsqu’on parle d’élection présidentielle. Et rien n’est plus frustrant que de voir les icônes du soulèvement de 2011 en Égypte, ainsi que les participants sincères à la seule course présidentielle véritablement démocratique du pays (en 2012), contribuer activement à cette mascarade.

Il a fallu 60 ans aux Égyptiens pour se débarrasser d’une dictature militaire déguisée en un système de gouvernance civile et démocratique… et moins de deux ans de chaos, d’effusion de sang et de propagande à grande échelle pour replonger le pays dans le pire abîme de répression que l’Égypte ait jamais connu dans son histoire moderne.

Cette apathie est en partie liée à la situation particulièrement absurde d’Ali

En janvier dernier, un tribunal pour délits mineurs s’est prononcé sur un appel déposé par Ali pour contester une peine de trois mois d’emprisonnement pour atteinte à la « décence publique », l’accusation omniprésente que le gouvernement dégaine systématiquement pour faire taire les opposants politiques au président Sissi.

Ali soutient que l’affaire est politiquement motivée et que les vidéos soumises à l’accusation comme éléments de preuve contre lui ont été falsifiées. L’accusation prétend que les vidéos le montrent en train de faire un geste obscène au moment où est tombée l’une des décisions du Conseil d’État concernant l’annulation d’un accord sur la ligne de démarcation maritime, transférant deux îles égyptiennes, Tiran et Sanafir, à l’Arabie saoudite.

Le rejet de l’appel pourrait éventuellement empêcher Ali de se porter candidat à une charge publique, car certaines interprétations juridiques classent les condamnations pour indécence en public parmi les délits d’« immoralité », privant donc leurs auteurs du droit civil et politique de se présenter, voire même voter, aux élections nationales.

Toute cette situation est d’une colossale absurdité, et à plusieurs niveaux. Quand il était au pouvoir, Sissi a fait exécuter en public des centaines de personnes, emprisonner des dizaines de milliers de d’autres sans procédure régulière, et muselé les médias par une répression sans précédent, mais il tente maintenant de faire taire l’un de ses critiques en l’accusant de « grossièreté ». On croit rêver.

Tout cela mis à part, un examen plus attentif des conditions dans lesquelles Ali a annoncé sa candidature à la présidence ajoute une nouvelle dimension à cette tragi-comédie. Quelques heures à peine avant l’événement – organisé, comme par hasard, par le parti d’opposition al-Dostour, puisqu’aucun autre lieu dans la capitale n’aurait osé l’accueillir par crainte de représailles de la part des forces de sécurité – la police a fait une descente dans une imprimerie qu’Ali avait mandatée pour préparer la distribution de tracts.

Lors de la conférence de presse, que toutes les chaînes locales de télévision par satellite, sauf une, se sont fait un devoir de ne pas suivre, Ali promit de coordonner ses efforts avec « tous les acteurs politiques » pour « sauver l’Égypte d’un sombre et triste sort ».

C’est du déjà-vu. L’opposition égyptienne a le don de se mettre d’accord pour ne pas être d'accord.

Cela s’est vérifié lors des élections les plus critiques de toutes celles de 2012, où l’opposition non islamiste n’a pas réussi à se rallier derrière un seul candidat. Ce mouvement a fragmenté le vote et laissé les coudées franches à Ahmed Chafik et au candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi – qui ont remporté légalement le seul scrutin démocratique jamais organisé en Égypte, mais qui a finalement perdu contre l’État profond.

Les gens passent devant une affiche de campagne du président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, intitulée « Alashan Tabneeha » « Alors vous pouvez la construire (Reuters)

De réelles assurances

En 2018, il est peu probable que l’opposition parviendra à aplanir toutes ses divergences, surtout quand on pense à l’ « éléphant que tout le monde refuse de voir dans le salon » : la quasi-absence de garanties sur l’intégrité des élections. « Soit nous recevons de réelles garanties quant à la transparence d’élections démocratiques, soit toutes les forces politiques auront une position unifiée sur la question », aurait déclaré Ali lors de la conférence de presse.

Ses paroles ouvrent une autre boîte de Pandore. Comment garantir la transparence des élections si l’on a affaire à un candidat sortant qui contrôle toutes les institutions de l’État, y compris un parlement béni-oui-oui.

Le comble, c’est que la Commission électorale nationale (NEC) – organe habilité à superviser référendums ainsi que les élections présidentielles, parlementaires et municipales – est également réglementée par une loi que Sissi a approuvée en août dernier.

Traduction : « Dernière nouvelle : #L’Égyptien Khaled Ali annonce qu’il se présente à la présidentielle de 2018. La meilleure chose qui soit arrivée à #Sissi depuis longtemps ! »

Cette loi stipule que les dix membres du conseil d’administration – qui prépare et examine les bases de données électorales et prend les décisions sur l’éligibilité des candidats – sont nommés par les juges du Conseil supérieur (HCJ), en attendant l’approbation du président.

À première vue, on peut croire qu’il s’agit-là d’un organe indépendant, mais, dans la pratique et d’après certains précédents prouvant la cooptation du pouvoir judiciaire par l’autorité exécutive, c’est une indépendance extrêmement douteuse.

Même en présumant que le président sortant ne jouera aucun rôle dans les nominations du HDJ, il a toujours du pouvoir d’opposer son veto aux propositions du Conseil pour garantir la présence d’une commission qui fera ses quatre volontés.

Un processus de mascarade

Une fois de plus, les forces politiques égyptiennes se trouvent à la croisée des chemins : doivent-elles participer à une forme absurde de jeu de rôle, comme l’a fait Hamdeen Sabbahy en 2014, lorsqu’il s’est présenté contre Sissi lors d’une soi-disant élection – dont les résultats incontestés seraient évidemment acquis d’avance ? Ou doivent-ils d’entrée boycotter le processus, afin de ne pas légitimer un simulacre d’élections, dépourvues des principes fondamentaux d’une compétition démocratique, libre et équitable ?

Pour moi, la réponse est claire. Parfois, il faut bien jeter le bébé avec l’eau du bain, ne serait-ce que pour affirmer qu’on refuse la perpétuation d’un statu quo illégitime.

Deux maux ne font pas un bien. Participer à cette élection, sous quelque forme que ce soit, n’est pas une manifestation de proactivité politique dans un processus démocratique.

Au mieux, c’est une démonstration de naïveté sur la réalité du cloaque politique égyptien ; au pire, c’est une trahison de l’esprit fondamental du soulèvement de janvier, dont l’objectif était de sonner le glas du pouvoir militaire et de garantir l’alternance pacifique des futurs gouvernements civils.

Avec tout le respect que je dois à Ali, cela ne s'est pas produit en 2014 et cela ne se produira pas en 2018. Cessons d’attendre Godot.

Rania Elmalky est l’ancienne rédactrice en chef (de 2006 à 2012) du journal Daily News Egypt, basé au Caire, qui était le partenaire local de l’édition de l’International Herald Tribune. Elle est actuellement collaboratrice pigiste pour diverses publications.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Un électeur trempe son doigt dans la traditionnelle encre violette (AA)

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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