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L’Arabie saoudite utilise son siège au conseil des droits de l'homme de l'ONU pour cacher ses abus

Le Royaume siège toujours au Conseil : c’est un affront à la mission de cette institution, censée promouvoir et protéger les droits de l’homme dans le monde entier

Cette semaine, l’Arabie saoudite sera pour la quatrième fois réélue au Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDH), après sa nouvelle élection, guère étonnante, à l’Assemblée générale des Nations unies.

Tout en servant son troisième mandat au Conseil, l’Arabie saoudite a fait obstacle à des demandes d’enquêtes internationales relatives à ses violations des droits de l’homme et a sanctionné des citoyens qui collaboraient avec le CDH. Le royaume a également, suite à des accusations de violations des droits des enfants à son endroit, menacé de supprimer son financement de l’ONU, d’une importance critique pour l’organisation.

La présence de l’Arabie saoudite au Conseil dénature totalement la mission du CDH

Étant donnée la tradition de répression jamais démentie du royaume, la présence de l’Arabie saoudite parmi les membres du Conseil constitue un affront à la mission du CDH, censé promouvoir et protéger « tous les droits de l’homme, partout dans le monde ».

Il est notoire que les valeurs de l’Arabie saoudite vont à l’encontre de celles du Conseil. Intolérance religieuse, inégalité des sexes et un penchant marqué pour les exécutions publiques sont contraires aux critères exigés par l’ONU pour les États membres du Conseil.

L’effet inverse

Pire encore : loin d’inciter le royaume à engager des réformes afin de réduire la fréquence des abus et favoriser une plus grande responsabilisation de ce pays, l’entrée de l’Arabie saoudite au Conseil s’avère avoir l'effet inverse.

Le nombre des exécutions dans le royaume a grimpé de façon spectaculaire depuis la dernière élection de l’Arabie saoudite au Conseil – 2015 se distingue comme l’année la plus brutale des deux dernières décennies (157 exécutions), tandis que 2016 en était à 124 exécutions fin septembre.

Pendant ce temps, le pays ne tient aucun compte des requêtes du CDH, exigeant de procéder à des inspections sous « procédures spéciales » – en clair, la visite d’experts indépendants en droits de l’homme, chargés de présenter leur rapport au conseil. À l’heure actuelle, restent en suspens sept demandes de visite signifiées à l’Arabie saoudite, dont les demandes de rapporteurs spéciaux désignés pour mener des enquêtes d’établissement des faits relatives à torture, à la liberté d'expression et d’opinion, ainsi qu’à des exécutions.

En plus d’entraver les enquêtes liées aux droits de l’homme par des experts de l’ONU, l’Arabie saoudite a cherché à empêcher ses citoyens de communiquer avec le Conseil et toute autre organisation internationale.

En 2014, le gouvernement a promulgué une interdiction de voyager à l’encontre de l’activiste Samar Badawi, qui avait pris la parole à la 27e session du Conseil au nom de Waleed Abu al-Khair, activiste incarcéré en Arabie saoudite. Les autorités ont empêché Samar Badawi de se rendre à Bruxelles pour assister à un forum de l’UE sur les droits de l’homme.

Plusieurs défenseurs saoudiens des droits de l’homme qui ont coopéré avec le CDH ont été poursuivis pénalement

En vertu de la loi anti-terroriste de ce pays, entrer en contact avec des organisations internationales, dont le CDH, peut être taxé de délit terroriste. Plusieurs défenseurs saoudiens des droits de l’homme ont été poursuivis pénalement pour avoir coopéré avec le CDH, dont des membres de l’Association saoudienne pour les droits civils et politiques (ACPRA), désormais dissoute.

Mohammed al-Qahtani, co-fondateur d’ACPRA, a contribué à de nombreuses communications aux procédures spéciales du CDH, et surtout à son groupe de travail sur la détention arbitraire. Les responsables saoudiens l’ont accusé d’ « inciter des organisations internationales à adopter des positions contre le royaume ». Al-Qahtani ainsi que d’autres co-fondateurs d’ACPRA, purgent actuellement de longues peines de prison pour avoir œuvré en faveur des droits de l’homme.

Brouiller les pistes

Alors que l’Arabie saoudite devrait être disqualifiée de postuler à un siège au Conseil – pour avoir empêché tant les responsable de l’ONU que ses propres citoyens de s’attaquer aux violations des droits de l’homme dans le royaume – ses actions au Yémen au cours des dix-neuf derniers mois constituent des atteintes encore plus graves à la mission du CDH.

À présent, il est de notoriété publique que les frappes aériennes de la coalition menée par l’Arabie saoudite sont responsables de la majorité des quelque 4 000 victimes civiles au Yémen. Hôpitaux, écoles, marchés, fêtes de mariage, et usines ont été et restent des cibles valides de frappes aériennes aux yeux de la coalition.

Le 9 octobre, la coalition a lancé l’attaque aérienne sans doute la plus meurtrière de ce conflit : elle a ciblé une cérémonie funèbre à Sanaa, faisant plus de 140 victimes et plus de 500 blessés.

Ces incidents sont hautement répréhensibles, et les tentatives de l’Arabie saoudite pour cacher au  reste du monde comment et pourquoi ces atrocités ont été commises aggrave encore la situation.

L’Arabie saoudite utilise sa position au Conseil pour bloquer les enquêtes internationales sur le rôle de toutes les parties prenantes dans les combats qui dévastent le Yémen

Au lieu de coopérer avec les mécanismes de l’ONU pour réformer sa campagne militaire et alléger la crise humanitaire qu’elle provoque, l’Arabie saoudite utilise sa position au Conseil pour dissimuler ses traces et éviter d’assumer ses responsabilités. Elle a lutté bec et ongles pour empêcher tout effort international d’enquêter sur le rôle de tous les combattants participant à la dévastation du Yémen.

Le mois dernier, lors de la 33e session du CDH, l’Arabie saoudite a, pour la deuxième année consécutive, réussi à bloquer une résolution de l’UE visant à mandater une enquête internationale. En lieu et place, les membres du conseil ont voté une résolution, parrainée par l’État arabe, visant à apporter un soutien supplémentaire à une enquête en cours par la Commission d’enquête nationale yéménite.

La Commission nationale yéménite, créée l’an dernier par le Bureau du Haut Commissaire aux Droits de l’homme (HCDH) des Nations unies – suite à l’échec d’une résolution d’enquête internationale – a été largement critiquée pour partialité et inefficacité.

Le Haut Commissaire adjoint des Nations Unies pour les Droits de l’homme, Kate Gilmore, estime que l’enquête yéménite « manque d'impartialité, ne respecte pas les normes fondamentales de protection » et que son mandat, sa composition et sa méthodologie ne répondent pas aux normes internationales.

Exiger une plus grande responsabilité

La défaite d’une enquête internationale n’est que le plus récent exemple de la façon dont l’Arabie saoudite contrarie les efforts du Conseil pour résoudre la crise au Yémen.

En juin, l’Arabie saoudite a exercé un chantage sur l’ONU. Le pays a menacé de ne plus contribuer à son financement si la coalition menée par le royaume n’était pas enlevée d’une liste de contrevenants aux droits des enfants.

Les fonctionnaires de l’ONU sous supervision saoudienne ont interdit aux journalistes étrangers et aux militants des droits de l’homme l’accès aux vols à destination et à partir du Yémen

Ce conflit avait commencé depuis à peine deux mois que les responsables de l’ONU, sous contrôle saoudien, interdisaient déjà aux journalistes étrangers et aux travailleurs des droits de l’homme d’emprunter des vols à destination et à partir de ce pays, de plus en plus isolé.

Des fonctionnaires de l’ONU et des travailleurs humanitaires, parlant sous condition d’anonymat, ont déclaré que cette interdiction avait été instituée après le rejet par les autorités saoudiennes d’un manifeste de vol comportant des reporters du New York Times et de la BBC ainsi que d’autres journalistes.

Le CDH a été créé pour promouvoir les droits de l’homme et demander des comptes aux contrevenants. La présence de l’Arabie saoudite au Conseil dénature totalement la mission de cette institution.

Il est grand temps que les États membres réagissent contre les menaces et les manœuvres d’obstruction des Saoudiens, en exigeant que ce membre du Conseil rende des comptes et fasse preuve d’une plus grande transparence. Faute de quoi, ils risquent de se rendre de plus en plus complices des violations que le CDH a précisément vocation à éradiquer.

- Leah Schulz participe aux plaidoyers de l’association Americans for Democracy & Human Rights in Bahrain (ADHRB, Américains pour la démocratie et les droits de l’homme à Bahreïn).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : New York le 21 Septembre 2016 : Le Prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Nayef ben Abdelaziz Al-Saoud, pendant son discours devant la 71e session de l’Assemblée générale des Nations unies au siège de l’ONU (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par [email protected]

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