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La nuit où les forces israéliennes ont pris d’assaut notre Flottille de la Liberté

Le 29 juillet dernier, la marine israélienne a pris d’assaut le navire al-Awda de la Flottille de la Liberté et l’a détourné de Gaza vers Israël. Le Dr Ang Swee Chai, médecin à bord, se remémore ce qui s’est passé cette nuit-là

La dernière étape du voyage d’al-Awda (« le retour ») devait se terminer à Gaza le 29 juillet. Nous étions en bonne voie pour atteindre Gaza ce soir-là. Il y avait 22 personnes à bord, équipage compris, ainsi que 15 000 dollars d’antibiotiques et de bandages destinés à Gaza. À 0 h 31, nous avons reçu un appel manqué d’un numéro commençant par +81… Mikkel dirigeait le bateau à ce moment-là.

Le téléphone a sonné à nouveau avec un message indiquant que nous pénétrions dans les eaux israéliennes. Mikkel a répondu que nous étions dans les eaux internationales et que nous avions un droit de passage inoffensif en vertu du droit maritime.

L’accusation d’intrusion a été répétée à plusieurs reprises, tandis que Mikkel répétait que nous naviguions dans les eaux internationales. Cela a duré environ une demi-heure, alors qu’al-Awda était à 42 milles marins de la côte de Gaza.

Des actions non violentes

Avant le début de cette dernière étape, nous avions passé deux jours à apprendre à mener des actions non violentes et nous nous étions préparés à une invasion israélienne de notre bateau.

Les personnes vulnérables, en particulier celles qui souffraient de problèmes médicaux, devaient s’asseoir à l’arrière du pont supérieur, les mains sur la table du pont. Ce groupe était dirigé par Gerd, une athlète d’élite norvégienne de 75 ans. Gerd était aidée par Lucia, une infirmière espagnole de son groupe.

Ceux qui devaient constituer une barrière non violente face aux Israéliens censés arriver sur le pont et prendre possession du bateau formaient trois rangées – deux rangées de trois et une troisième rangée de deux personnes chargées de bloquer aussi longtemps que possible la porte de la timonerie. Il y avait des messagers entre la timonerie et l’arrière du pont. Zohar, qui dirigeait le bateau, ainsi que moi-même étions aux deux extrémités du couloir des toilettes, où nous regardions à l’horizon et informions tout le monde en cas d’apparition de bateaux armés.

Je devais également pouvoir apporter mon aide en tant que messagère et avoir accès à toutes les parties du pont pour servir de médecin à bord. Nous avons rapidement aperçu au moins trois grands navires de guerre israéliens à l’horizon avec au moins cinq Zodiacs qui filaient à toute vitesse en notre direction. 

Lorsque les Zodiacs se sont approchés, j’ai vu qu’ils transportaient des soldats avec des mitraillettes et que de grosses mitrailleuses étaient montées sur les bateaux. J’ai vu le premier soldat israélien monter à bord au niveau de la cabine et grimper l’échelle du bateau jusqu’au pont supérieur.

Son visage était masqué par un linge blanc et beaucoup d’autres, tous masqués, le suivaient. Ils étaient tous armés d’une mitraillette et équipés d’une petite caméra sur la poitrine. Ils se sont immédiatement dirigés vers la timonerie, passant la première rangée de personnes en tordant leurs bras avant de soulever Sarah et de la jeter sur le côté.

Flottille de femmes à destination de Gaza, en octobre 2016 (@Malakamohammed)

Joergen, le chef cuisinier, était trop costaud pour être malmené : il a donc été tasé avant d’être soulevé. Ils ont attaqué la deuxième rangée en s’en prenant à Emelia, une autre infirmière espagnole, qu’ils ont écartée pour briser la ligne. Ils se sont ensuite approchés de la porte de la timonerie et ont tasé Charlie, le second, ainsi que Mike Treen, qui bloquaient l’entrée de la timonerie. Charlie a également été passé à tabac. 

Par la force et la coercition

Mike, qui n’a pas cédé après avoir été tasé au niveau des membres inférieurs, a alors été touché au cou et au visage. Plus tard, j’ai vu que Mike saignait du côté gauche du visage. Il était à moitié conscient lorsque je l’ai examiné. Ils ont fait irruption dans la timonerie en coupant le verrou, forcé l’arrêt du moteur et enlevé le drapeau de la Palestine, avant de retirer le drapeau norvégien et de le piétiner.

Ils ont ensuite chassé par la force et la coercition tous les gens qui se trouvaient sur la moitié avant du bateau, autour de la timonerie, les jetant à l’arrière du pont. Tous ont été forcés de s’asseoir par terre à l’arrière, sauf Gerd, Lucy et les personnes vulnérables, qui ont été assises autour de la table, sur des bancs en bois. Les soldats israéliens ont ensuite formé une ligne pour bloquer les gens à l’arrière et les empêcher de retourner à l’avant du bateau.

Lorsque nous sommes arrivés à l’arrière du pont, nous avons tous été fouillés et avons reçu l’ordre de remettre nos téléphones portables, faute de quoi ils nous les prenaient de force. Cette opération de fouille et de confiscation a été effectuée sous le commandement d’une femme soldat. Outre les téléphones portables, les médicaments et les portefeuilles ont également été confisqués. À ce jour – le 4 août –, personne n’a récupéré son téléphone portable. Je suis allée examiner Mike et Charlie.

Traduction : « En plus de se rendre à la barrière pour protester contre le siège israélien, les habitants de Gaza vont également en mer en solidarité avec les pêcheurs palestiniens et les activistes de la Flottille de la Liberté et pour attirer l’attention du monde sur ce blocus mortel, inhumain et illégal. #GrandeMarcheDuRetour”

Charlie avait repris conscience et ses poignets étaient attachés avec des colliers de serrage en plastique. Mike, qui n’était pas encore tout à fait conscient, saignait sur le côté du visage. Ses mains étaient liées très fermement par des colliers de serrage : la circulation sanguine dans ses doigts était coupée et ses doigts ainsi que la paume de ses mains commençaient à gonfler. À ce stade, tous les gens assis par terre ont crié en demandant que les colliers de serrage soient coupés.

C’est environ une demi-heure plus tard que les liens des deux hommes ont finalement été coupés. À peu près à ce moment-là, Charlie, le second, s’est vu remettre le drapeau norvégien. Visiblement contrarié, il nous a dit que le drapeau norvégien avait été piétiné. Charlie a réagi davantage à la vue du drapeau norvégien piétiné qu’à son passage à tabac et aux coups de taser qu’il avait reçus.

« Arrêtez, ils sont en train de battre Herman ! »

Les soldats ont ensuite commencé à demander le capitaine du bateau. Les garçons se sont alors mis à répondre que tous étaient capitaines. Finalement, les Israéliens ont compris que Herman était le capitaine et ont exigé qu’il soit emmené à la timonerie. Herman a demandé que quelqu’un l’accompagne, ce pour quoi je me suis proposée. Mais lorsque nous nous sommes approchés de la timonerie, j’ai été repoussée et Herman a été forcé d’entrer seul dans la timonerie.

Pendant ce temps, Divina, la chanteuse suédoise bien connue, s’était échappée de l’arrière pour rejoindre l’avant et regarder par la fenêtre de la timonerie. Elle s’est mise à crier : « Arrêtez, arrêtez, ils sont en train de battre Herman, ils lui font mal ! » Nous ne pouvions pas voir ce que Divina a vu, mais nous savions que c’était quelque chose de très perturbant.

Plus tard, lorsque Divina et moi partagions la même cellule de prison, elle m’a expliqué qu’ils projetaient Herman contre le mur de la timonerie et qu’ils lui donnaient des coups de poing dans la poitrine.

Divina a été délogée de force par les soldats, qui lui ont tordu le cou et l’ont ramenée à l’arrière du pont. J’ai été une nouvelle fois repoussée à l’arrière du bateau. Au bout d’un certain temps, le moteur du bateau a démarré. Gerd, qui a pu entendre Herman raconter l’histoire au consul de Norvège en prison, m’a indiqué plus tard que les Israéliens voulaient que Herman démarre le moteur et le menaçaient de le tuer s’il ne s’exécutait pas.

Mais ils n’avaient pas compris qu’une fois le moteur arrêté, ce bateau ne pouvait être redémarré que manuellement dans la salle des machines, au niveau de la cabine, à l’étage inférieur. Arne, le machiniste, a refusé de redémarrer le moteur ; les Israéliens ont donc fait descendre Herman et l’ont frappé devant Arne, précisant qu’ils continueraient de frapper Herman si Arne ne voulait pas démarrer le moteur.

Arne, qui a 70 ans, a cédé lorsqu’il a vu le visage de Herman prendre une couleur grisâtre et a alors démarré le moteur manuellement.

Gerd a fondu en larmes en racontant cette partie de l’histoire. Les Israéliens ont ensuite pris les commandes du bateau et l’ont conduit à Ashdod. Une fois le bateau en route, les soldats israéliens ont amené Herman à l’infirmerie. J’ai regardé Herman et j’ai vu qu’il souffrait terriblement ; silencieux mais conscient, il avait une respiration spontanée mais peu profonde.

Le médecin de l’armée israélienne tentait de persuader Herman de prendre un médicament contre la douleur. Herman a refusé le médicament. Le médecin israélien m’a expliqué qu’il ne proposait pas à Herman un médicament de l’armée, mais de sa pharmacie personnelle. Il m’a confié le médicament pour que je puisse le vérifier. C’était une petite bouteille brune en verre et j’ai supposé qu’il s’agissait d’une sorte de préparation de morphine liquide, probablement l’équivalent d’un Oramorph ou d’un Fentanyl.

J’ai demandé à Herman de le prendre et le médecin lui a dit de prendre douze gouttes ; après cela, Herman a été sorti et allongé sur un matelas à l’arrière du pont. Sous la surveillance des personnes qui l’entouraient, il a fini par s’endormir. Depuis l’endroit où je me trouvais, j’ai vu qu’il respirait mieux. 

L’hypocrisie israélienne 

Le cas de Herman arrangé, je me suis concentrée sur Larry Commodore, chef amérindien et activiste dans la défense de l’environnement. Il avait été élu deux fois chef de sa tribu. Larry souffre d’un asthme labile et avec tout le stress qui nous entourait, je craignais qu’il ne fasse une grave crise et qu’il n’ait besoin d’une injection d’adrénaline. Je faisais faire à Larry des exercices de respiration profonde.

Larry n’a pas eu de crise d’asthme, et a engagé une conversation avec un Israélien. Cet homme, dont le visage était recouvert d’un linge noir, était de toute évidence un responsable. Je lui ai demandé son nom et il s’est présenté comme le maréchal Ronen.

Les soldats israéliens portaient tous une caméra corporelle et nous filmaient en continu. Un carton de sandwichs et de poires nous a été apporté sur le pont. Aucun d’entre nous n’a pris leur nourriture, car nous avions décidé de ne pas accepter l’hypocrisie et la charité d’Israël.

Traduction : « Se livrant à son deuxième acte de piraterie, Israël détourne un bateau de la #FlottilleDeLaLiberté, enlève l’équipage international et “confisque” de l’aide médicale »

Notre chef cuisinier Joergen avait déjà préparé de délicieux brownies aux noix et au chocolat riches en calories et en protéines et les avait enveloppés dans du papier d’aluminium pour être consommés au moment de notre capture. Nous savions que la journée et la nuit allaient être longues. C’était, comme le disait Joergen, la nourriture pour le voyage. 

Malheureusement, lorsque j’en avais le plus besoin, les Israéliens ont pris ma nourriture et l’ont jetée. Ils m’ont juste dit : « C’est interdit. » Refusant la nourriture de l’armée israélienne et privée de ma propre nourriture, je n’ai rien eu à manger pendant 24 heures. Alors que nous naviguions vers Israël, nous pouvions voir la côte de Gaza dans l’obscurité la plus complète. Il y avait trois plates-formes pétrolières ou gazières au large du nord de Gaza.

Les flammes vives du pétrole contrastaient avec l’obscurité totale dans laquelle les propriétaires du combustible sont contraints de vivre. Juste au large de Gaza se trouve le plus grand gisement de gaz naturel jamais découvert, et ce gaz naturel qui appartient aux Palestiniens est déjà siphonné par Israël.

Alors que nous approchions d’Israël, Zohar, qui dirigeait notre bateau, nous a suggéré de commencer à nous dire au revoir.

« Palestine libre ! »

Nous étions probablement à deux ou trois heures d’Ashdod. Nous avons remercié Zohar, notre capitaine Herman, l’équipage, notre cher chef cuisinier et nous nous sommes encouragés mutuellement à continuer de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour libérer Gaza et apporter la justice en Palestine. Herman, qui était désormais parvenu à s’asseoir, a tenu un discours profondément émouvant et certains d’entre nous étaient en larmes. Nous savions qu’à Ashdod, il y aurait des médias israéliens et des équipes de tournage israéliennes.

Traduction : « La #FlottilleDeLaLiberté quitte Palerme pour briser le blocus illégal d’Israël contre Gaza. »

Nous n’allions pas entrer à Ashdod en captifs ayant perdu espoir. Nous sommes donc sortis du bateau en scandant « Palestine libre ! ». Mike Treen, le syndicaliste, avait récupéré de ses violents coups de taser et menait les chants avec sa voix portante ; ainsi, nous avons rempli le ciel nocturne d’Israël de slogans « Palestine libre ! ». Nous avons chanté tout le long de la route, du bateau jusqu’à Ashdod.

Nous sommes entrés directement dans une zone militaire fermée à Ashdod. C’était une zone fermée avec de nombreux postes, spécialement préparée pour les 22 personnes qui étaient à bord. Nous sommes tout d’abord passés par une zone de contrôle de sécurité aux rayons X. Au poste suivant, nous avons été soumis à une fouille au corps et ce n’est qu’en rassemblant mes affaires après avoir été déshabillée que je me suis rendu compte que ma ceinture porte-monnaie n’était plus avec moi.

Des voleurs de bas étage

Je savais que j’avais quelques centaines d’euros et qu’ils essayaient de me les voler. J’ai exigé qu’on me la rende et j’ai refusé de quitter le poste tant qu’ils ne s’exécutaient pas. C’était la première fois que je criais. J’étais contente de l’avoir fait car d’autres personnes s’étaient également vu dérober leur argent. Le journaliste d’Al Jazeera, Abdelkarim Alkahlout, avait perdu toutes ses cartes de crédit et 1 800 dollars, ainsi que sa montre, son téléphone satellite, son téléphone portable et sa carte d’identité.

Il pensait que ses effets personnels étaient conservés avec son passeport, mais lorsqu’il a été libéré pour être expulsé, il a appris avec amertume qu’il ne récupèrerait que son passeport. L’argent et les objets de valeur n’ont jamais été retrouvés. Ils ont tout simplement disparu.

Nous avons été passés de poste en poste dans cette zone militaire fermée, fouillés à nu à plusieurs reprises et dépouillés de nos effets personnels, jusqu’à ce qu’il ne nous reste que les vêtements que nous portions et rien d’autre qu’un bracelet avec un numéro.

J’ai été horrifiée de constater qu’ils avaient fouillé mes bagages et qu’ils avaient presque tout pris – tous mes vêtements propres et sales, mon appareil photo, mon deuxième téléphone portable, mes livres, ma Bible, tous les médicaments que j’avais apportés pour les participants, mon nécessaire de toilette

Tous les lacets de chaussures ont également été enlevés. Certains d’entre nous se sont vu remettre des reçus pour des objets emportés, mais je n’en ai eu aucun pour quoi que ce soit. Nous avons été photographiés à plusieurs reprises et nous avons vu deux médecins.

À ce moment, j’ai appris que Larry avait été poussé pour descendre de la passerelle ; blessé au pied, il a été envoyé dans un hôpital israélien pour passer un examen médical. Il y avait son sang par terre. J’avais froid et faim, je ne portais qu’un t-shirt et un pantalon lorsqu’ils se sont occupés de moi.

On m’a emporté ma nourriture, mon eau et tous mes effets personnels, y compris mes lunettes de lecture. Alors que ma vessie était sur le point d’exploser, je n’ai pas été autorisée à aller aux toilettes.

Dans cet état, j’ai été amenée à deux véhicules, deux paniers à salade peints en gris. Par terre, à côté des véhicules, il y avait un tas de sacs à dos et de valises. J’ai retrouvé mon sac à dos et ma valise et j’ai été horrifiée de constater qu’ils avaient fouillé mes bagages et qu’ils avaient presque tout pris – tous mes vêtements propres et sales, mon appareil photo, mon deuxième téléphone portable, mes livres, ma Bible, tous les médicaments que j’avais apportés pour les participants, mon nécessaire de toilette.

Des Gazaouis manifestent leur soutien à la flottille de femmes, en 2016 (AFP)

La valise était en partie cassée. Mon sac à dos était également complètement vide. J’ai récupéré deux bagages vides à l’exception de deux t-shirts pour homme sales et trop grands qui appartenaient de toute évidence à quelqu’un d’autre. Ils ont également laissé mon t-shirt de la Flottille de la Liberté. J’ai compris qu’ils n’avaient pas volé ce tee-shirt car ils se sont dit qu’aucun Israélien ne voudrait le porter en Israël. 

Ils n’avaient pas dû rencontrer Zohar et Yonatan Shapira, le pilote israélien devenu activiste, qui portaient fièrement le leur. Ce fut pour moi un choc car je ne m’attendais pas à ce que l’armée israélienne soit aussi une bande de voleurs de bas étage. Qu’était devenue la glorieuse armée israélienne de la guerre des Six Jours que le monde entier admirait ? Toujours interdite d’aller aux toilettes, j’ai été poussée dans le panier à salade, où j’ai été rejointe par l’infirmière espagnole Lucia, avant d’être emmenée à la prison de Givon après un certain temps d’attente.

« Chine » vs. « Angleterre »

Je ressentais des frissons incontrôlables au cours du voyage. La première chose que nos gardes ont faite à la prison de Givon a été de m’ordonner d’aller aux toilettes pour me soulager. C’était intéressant de voir qu’ils savaient que j’avais désespérément envie d’aller aux toilettes mais qu’ils m’en empêchaient depuis des heures. Au moment où nous avons été une nouvelle fois contrôlées aux rayons X et fouillées, il devait être entre 5 et 6 heures du matin. Lucia et moi avons ensuite été placées dans une cellule où Gerd, Divina, Sarah et Emelia dormaient déjà.

Il y avait trois lits superposés, tous rouillés et poussiéreux. Divina n’a pas reçu la bonne dose de ses médicaments, Lucia s’est vu refuser ses propres médicaments et a reçu un substitut israélien qu’elle a refusé de prendre. Divina et Emelia ont entamé une grève de la faim.

Les Israéliens ont agi comme s’ils étaient les propriétaires de la mer Méditerranée. Ils peuvent enlever n’importe quel bateau et kidnapper ses passagers, les mettre en prison et les criminaliser. Nous ne pouvons accepter cela

Les geôliers étaient très hostiles et employaient des méthodes simples, par exemple en refusant de nous donner du papier hygiénique, en claquant constamment la porte en fer de la prison, en laissant la lumière de la cellule allumée en permanence et en nous forçant à boire de l’eau rouillée pour passer leur colère sur nous. Les surveillants s’adressaient à moi en m’appelant « Chine » et me traitaient avec un mépris total.

Dans la matinée du 30 juillet 2018, le vice-consul britannique m’a rendu visite. Une personne bienveillante les avait appelés pour évoquer ma situation. C’était une bénédiction car après cela, on m’appelait « Angleterre » et il y a eu une amélioration massive dans la manière dont « Angleterre » était traitée par rapport à « Chine ». Je me suis dit que « Palestine » aurait été piétinée et probablement tuée.

« La belle affaire ! »

Le 31 juillet à 6 h 30, nous avons entendu Larry hurler depuis la cellule des hommes de l’autre côté du couloir qu’il avait besoin d’un médecin. Il était de toute évidence en grande souffrance et il pleurait.

Nous, les femmes, avons répondu en demandant aux surveillants de me laisser voir Larry, car j’allais peut-être pouvoir l’aider. Nous avons crié « Nous avons un médecin ! » et frappé la porte en fer de la cellule avec nos cuillères en métal pour attirer leur attention.

Des Palestiniens dans le port de Gaza pour soutenir la flottille internationale de femmes activistes à destination de Gaza qui tente de briser le blocus israélien, le 5 octobre 2016 (AFP)

Ils ont menti en disant que leur médecin arriverait dans une heure. Nous ne les avons pas crus et nous avons recommencé. Le médecin s’est présenté en réalité à 16 heures, environ dix heures plus tard, et Larry a été envoyé directement à l’hôpital. Pendant ce temps, pour punir les femmes qui étaient coupables d’avoir soutenu la demande de Larry, ils ont apporté des menottes pour Sarah et m’ont emmenée avec Divina dans une autre cellule pour nous séparer du reste du groupe.

On nous a informées que nous n’aurions pas droit à nos 30 minutes de pause à l’air frais et à notre verre d’eau potable.

J’ai entendu Gerd dire : « La belle affaire ! ». Tout à coup, Divina et moi-même avons été sorties dans la cour et Divina a reçu quatre cigarettes ; à ce moment-là, elle a fondu en larmes. Divina avait dirigé le bateau pendant de longues heures à la timonerie. Elle avait vu ce qui était arrivé à Herman.

La prison avait refusé de lui donner un de ses médicaments et ne lui avait donné que la moitié de la dose de l’autre.

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Elle était toujours en grève de la faim pour protester contre notre enlèvement dans les eaux internationales. La vue de Divina en pleurs était un déchirement. Un des surveillants, qui s’est présenté sous le nom de Michael, a commencé à nous expliquer qu’il devrait protéger sa famille contre ceux qui veulent chasser les Israéliens. Et que les Palestiniens ne voulaient pas vivre en paix… que ce n’était pas la faute d’Israël.

Une armée corrompue et impitoyable

Mais les choses ont soudainement changé avec l’arrivée d’un juge israélien. Après cela, nous avons tous été traités avec un peu de décence, même s’il n’a vu que quelques-uns d’entre nous en personne. Son travail consistait à nous dire qu’un tribunal serait convoqué le lendemain, que chaque détenu se serait vu accorder du temps pour comparaître et que nous devions avoir notre avocat avec nous à ce moment-là.

À la fin de la journée, comme Divina était malade, prise de forts vertiges, je l’ai persuadée d’abandonner sa grève de la faim et elle a accepté de signer un arrêté d’expulsion.

Peu de temps après, probablement à 18 heures – nous n’avions pas de montre ni de téléphone portable pour lire l’heure –, on nous a annoncé que Lucia, Joergen, Herman, Arne, Abdelkarim – le journaliste de Gaza – et moi-même serions expulsés dans les 24 heures et que nous serions emmenés immédiatement à la prison d’expulsion de Ramla, près de l’aéroport Ben Gourion. C’est depuis cette même prison de Ramla que j’avais été expulsée en 2014.

Si nous avions été des Palestiniens, cela aurait été bien pire, avec des agressions physiques et probablement des vies perdues

J’ai vu les mêmes cinq vieux et robustes palmiers encore debout, fiers et immenses. Ce sont les seuls survivants du village palestinien détruit en 1948. Lorsque nous sommes arrivés à la prison de Ramla, Abdelkarim a constaté avec horreur que son argent, ses cartes de crédit, sa montre, son téléphone satellite, son téléphone portable personnel et sa carte d’identité manquaient à l’appel – il était totalement démuni.

Nous nous sommes cotisés et nous avons collecté une centaine d’euros pour contribuer à la course en taxi de l’aéroport à son domicile. Comment l’armée israélienne peut-elle être corrompue et impitoyable au point de dépouiller quelqu’un de tout ce qu’il a ?

Humilier et déshumaniser

Nous, les six femmes à bord d’al-Awda, avons compris qu’ils essayaient de nous humilier et de nous déshumaniser complètement par tous les moyens possibles. Nous avons également été choquées par le comportement de l’armée israélienne, en particulier par leurs vols de bas étage et leur traitement des détenues internationales. Les hommes geôliers entraient régulièrement dans la cellule des femmes sans nous avertir décemment pour que nous puissions mettre nos vêtements. Ils ont également essayé de nous rappeler notre vulnérabilité à chaque étape.

Nous savons qu’ils auraient préféré nous tuer – mais bien sûr, la publicité qui en aurait découlé aurait pu nuire à l’image internationale d’Israël.

Si nous avions été des Palestiniens, cela aurait été bien pire, avec des agressions physiques et probablement des vies perdues. La situation est donc désastreuse pour les Palestiniens. Quant aux eaux internationales, il semblerait qu’il n’y en ait pas pour la marine israélienne. Ils peuvent détourner et enlever des bateaux et des personnes dans les eaux internationales et s’en sortir en toute impunité.

Les Israéliens ont agi comme s’ils étaient les propriétaires de la mer Méditerranée. Ils peuvent enlever n’importe quel bateau et kidnapper ses passagers, les mettre en prison et les criminaliser. Nous ne pouvons accepter cela. Nous devons prendre la parole, nous lever contre cette anarchie, cette oppression et cette brutalité. Nous n’avions absolument aucune arme. Notre seul crime, selon les Israéliens, est d’être des amis des Palestiniens et d’avoir souhaité leur apporter une aide médicale. Nous voulions braver le blocus militaire pour ce faire.

Ce n’est pas un crime. Pendant la semaine au cours de laquelle nous naviguions vers Gaza, ils ont abattu sept Palestiniens et fait plus de 90 blessés à Gaza.

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Ils avaient encore coupé l’approvisionnement de Gaza en carburant et en nourriture. Deux millions de Palestiniens vivent à Gaza sans eau potable, avec seulement deux à quatre heures d’électricité, dans des habitations détruites par les bombes israéliennes, au cœur d’une prison sous blocus terrestre, aérien et maritime depuis douze ans.

Depuis le 30 mars, les hôpitaux de Gaza ont traité plus de 9 071 blessés, dont 4 348 ont essuyé les tirs d’une centaine de snipers israéliens alors qu’ils prenaient part à des manifestations pacifiques à l’intérieur des frontières de Gaza, sur leur propre territoire.

Alors que la plupart des blessures par balles concernent les membres inférieurs, l’épuisement des établissements de soins à Gaza en raison du blocus condamne ces blessés à une amputation.

Au cours de cette période, plus de 165 Palestiniens ont été abattus par ces mêmes tireurs d’élite, dont des médecins et des journalistes, des femmes et des enfants. Le blocus militaire chronique imposé à Gaza a vidé les hôpitaux de toutes leurs fournitures chirurgicales et médicales. Cette attaque massive contre une Flottille de la Liberté non armée qui apportait des amis et des secours médicaux est une tentative d’anéantissement de tout espoir pour Gaza.

En écrivant cet article, j’ai appris que notre navire jumeau de la flottille, Freedom, avait également été enlevé par la marine israélienne dans les eaux internationales.

Mais nous ne nous arrêterons pas, nous devons continuer d’être forts pour apporter espoir et justice aux Palestiniens et être prêts à en payer le prix et à être dignes des Palestiniens. Tant que je survivrai, je consacrerai mon existence à résister. Ne pas agir ainsi serait un crime.

– Ang Swee Chai a grandi et a étudié à Singapour. Elle a obtenu son diplôme de médecine et, en 1976, sa maîtrise en médecine du travail à l’Université de Singapour. Le Dr Ang a également co-écrit War Surgery et Acute Care of the War Wounded, entre autres publications dans le domaine orthopédique. Elle a également écrit De Beyrouth à Jérusalem, un ouvrage qui rend compte de son expérience dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban et à Gaza. Le Dr Ang a raconté sa propre histoire dans un discours intitulé « Faire une petite différence » (« Making a Small Difference »), prononcé dans le cadre du mouvement TEDxUCLWomen.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : la marine israélienne intercepte un bateau d’activistes sous pavillon norvégien qui tentait de briser le blocus imposé depuis plus de dix ans à la bande de Gaza, en août 2018 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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