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Le Hamas n’a qu’une hudna à offrir pour lever le siège

Le Hamas négocie actuellement avec Israël, avec la médiation de l’Égypte, une trêve visant à mettre fin à la violence et à atténuer le blocus de Gaza. La seule partie qui semble s’opposer avec véhémence à tout accord est l’Autorité palestinienne

Au printemps 2008, plusieurs mois après la publication de mon ouvrage intitulé Hamas: Unwritten Chapters, j’ai été approché par un think tank en lien avec un gouvernement européen et invité à rencontrer trois anciens hauts responsables israéliens, qui avaient apparemment lu mon livre ou une partie de celui-ci et qui désiraient en savoir plus sur le concept de hudna (trêve).

Ces trois hommes étaient un ancien ministre des Affaires étrangères, un ancien chef d’état-major et un ancien responsable du bureau du Premier ministre. Plusieurs semaines après un séminaire privé de deux jours que j’ai présenté au groupe sur ce sujet en Europe, Israël et le Hamas ont conclu leur premier accord officiel de trêve d’une durée de six mois. Négocié avec la médiation du gouvernement égyptien, il est entré en vigueur le 19 juin 2008. 

Israël a toutefois rompu cette trêve le 4 novembre 2008 en attaquant un tunnel qui aurait été destiné à des fins offensives, une accusation que le Hamas a toujours rejetée. Plutôt que de saisir la volonté déclarée du Hamas de revenir à l’accord de trêve, Israël a mené l’opération « Plomb durci », une offensive majeure qui a duré jusqu’à la fin du mois de janvier 2009. 

Des offensives majeures

Depuis lors, Israël a mené deux autres offensives majeures, en plus d’un grand nombre d’échanges de tirs et d’incursions à plus petite échelle. Le 14 novembre 2012, une frappe aérienne israélienne a entraîné la mort d’Ahmed al-Jaabari, chef de la branche armée du Hamas à Gaza. S’est ensuivie une opération qu’Israël a appelée « opération Pilier de défense » et à laquelle le Hamas a assigné le nom de code d’« opération Pierres de terre cuite ». Après plusieurs jours de négociations entre le Hamas et Israël, un cessez-le-feu a été annoncé le 21 novembre avec la médiation de l’Égypte.

Ensuite, le 8 juillet 2014, Israël a lancé l’opération « Bordure protectrice », l’une des offensives militaires les plus longues et les plus meurtrières engagées contre la bande de Gaza dans l’histoire récente. Le conflit, qui a duré jusqu’au 26 août 2014, a fait 2 251 morts et plus de 11 000 blessés, mais aussi détruit massivement l’infrastructure civile de Gaza.

L’objectif israélien de détruire – ou du moins de désarmer – le Hamas a échoué à plusieurs reprises et c’est par une trêve obtenue avec la médiation de l’Égypte que chacune de ces offensives israéliennes majeures a pris fin

L’objectif israélien de détruire – ou du moins de désarmer – le Hamas a échoué à plusieurs reprises et c’est par une trêve obtenue avec la médiation de l’Égypte que chacune de ces offensives israéliennes majeures a pris fin. 

Aujourd’hui, le Hamas négocie une nouvelle fois avec Israël, avec la médiation de l’Égypte, une trêve visant à mettre fin à la violence et à atténuer le blocus israélo-égyptien de Gaza. Les spéculations vont bon train quant au fait que la nouvelle médiation égyptienne serait une exigence des États-Unis pour la mise en œuvre de l’« accord du siècle », le plan du gendre du président Donald Trump pour la paix au Moyen-Orient. 

Les dirigeants du Hamas démentent cependant tout lien entre les pourparlers qui se tiennent actuellement au Caire et le plan de Jared Kushner. Ils estiment qu’Israël a été motivé par les rassemblements hebdomadaires de la Grande marche du retour organisés à Gaza, ainsi que par la nouvelle tactique de la terre brûlée employée contre les terres agricoles situées de l’autre côté de la barrière – que les Palestiniens de Gaza considèrent comme leurs terres ancestrales occupées – à l’aide de cerfs-volants et de ballons gonflables, en représailles pour les tirs de snipers israéliens qui ont fait des dizaines de victimes et blessé plusieurs milliers de manifestants palestiniens pacifiques.   

Une aversion et une méfiance mutuelles

Le caractère extraordinaire de ce cycle de négociations réside dans le fait que la seule partie qui semble s’opposer avec véhémence à tout accord de trêve entre le Hamas et Israël, lequel pourrait entraîner une levée du blocus, est l’Autorité palestinienne (AP). Le président Mahmoud Abbas souhaite tout d’abord que le Hamas lui cède son autorité sur la bande côtière. Il veut que toute tractation avec Israël relève de sa compétence et il croit fermement que le blocus de Gaza est le seul outil par lequel il peut forcer le Hamas à accepter cela. 

En dépit de leur aversion pour le Hamas, les Égyptiens semblent désireux de mener à bien leur entreprise de médiation de l’accord. Pourtant, bien que leur relation soit caractérisée par une aversion et une méfiance mutuelles, les deux parties ont besoin l’une de l’autre. La principale problématique pour le Hamas consiste à lever ou du moins à atténuer le blocus, tandis que pour l’Égypte, il s’agit d’assurer la sécurité dans le nord du Sinaï. 

Des Palestiniens en deuil portent le corps d’un combattant du Hamas tué par des tirs israéliens dans le nord de Gaza, le 7 août (AFP)

Quant à Abbas, les Égyptiens semblent peu se soucier de son point de vue. Ils se sont alignés avec Mohammed Dahlan, son ennemi juré basé aux Émirats arabes unis et allié du prince héritier d’Abou Dabi, Mohammed ben Zayed. Dahlan est le favori de l’Égypte lorsque la course à la succession à Ramallah se présentera. Ironie du sort, le Hamas, ou du moins une partie à Gaza, semble ne pas avoir de problème avec Dahlan, en particulier après les révélations sur le rôle d’Abbas dans la mise en œuvre de sanctions douloureuses à Gaza. 

L’ironie ne s’arrête pas là. Le coup porté à la solution à deux États par la combinaison d’un gouvernement de droite en Israël et d’un président de droite à la Maison-Blanche a inévitablement fait renaître la notion d’une solution provisoire qui n’est pas fondée sur une reconnaissance mutuelle, contrairement à la solution à deux États, qui elle repose sur le concept de reconnaissance mutuelle et d’échange de terres en vue de la paix. 

Alors qu’il n’y a pas de gauche israélienne suffisamment crédible ou puissante pour lutter en faveur d’une solution à deux États, ceux qui croyaient en une telle solution du côté palestinien ont soit perdu leurs illusions et abandonné, soit été intégrés dans l’appareil d’occupation israélien pour être désormais perçus par les Palestiniens comme des laquais d’Israël.

Le caractère extraordinaire de ce cycle de négociations réside dans le fait que la seule partie qui semble s’opposer avec véhémence à tout accord de trêve entre le Hamas et Israël, lequel pourrait entraîner une levée du blocus, est l’Autorité palestinienne

Pour beaucoup de Palestiniens, la reconnaissance mutuelle s’est avérée être une approbation de l’occupation. De toute évidence, un quart de siècle après la signature des accords d’Oslo, il ne reste plus beaucoup de terres palestiniennes pour soutenir la création d’un État palestinien.  

L’incapacité observée jusqu’à présent à régler les différends entre le Hamas et le Fatah et à réunir la bande de Gaza et la Cisjordanie a laissé aux Palestiniens deux autorités en querelle – voire en conflit – dans deux entités détachées. Alors qu’Israël est assuré de la paix et de la sécurité en Cisjordanie à travers la collaboration de l’Autorité palestinienne basée à Ramallah et dominée par le Fatah, la bande de Gaza contrôlée par le Hamas demeure un casse-tête permanent.

Contraints de faire affaire

Cela ne laisse pas d’autre choix à Israël que de faire affaire avec le Hamas. Aucun des deux camps n’est disposé à reconnaître le droit de l’autre d’exister, mais aucun ne peut forcer l’autre à disparaître ; ainsi, les deux camps sont contraints de reconnaître l’existence de facto de l’autre. Israël existe dans une grande partie de la Palestine historique alors que le Hamas existe dans l’enclave côtière la plus densément peuplée au monde.

Tant qu’aucun des deux camps ne sera en mesure de régler le conflit selon ses propres termes, ils n’auront d’autre choix que de faire affaire ensemble et cela ne pourra prendre qu’une forme : celle de la hudna, une formule qui n’oblige aucune partie à reconnaître l’existence de jure de l’autre. Ce procédé s’est avéré être commode.

À LIRE ► Pourquoi l’accord de trêve entre le Hamas et Israël menace l’unité palestinienne

L’idée, comme je l’explique en détail dans mon livre, est née au début des années 1990. C’est Moussa Abou Marzouk, ancien chef du bureau politique du Hamas, basé à Amman, qui y a fait référence dans une déclaration publiée par l’hebdomadaire ammanien Al-Sabeel en février 1994. Une première référence similaire en Palestine a été faite environ à la même époque par le fondateur du Hamas, le cheikh Ahmed Yassine, depuis sa cellule. 

Yassin a proposé la hudna comme solution provisoire au conflit israélo-palestinien. Sa proposition était une réponse à une demande formulée par Israël afin qu’il intervienne auprès du Hamas pour mettre fin à sa nouvelle tactique, l’opération martyre lancée en représailles au massacre de fidèles musulmans survenu à la mosquée al-Ibrahimi d’Hébron en février 1994.  

Officiellement, les Israéliens persistent à affirmer qu’ils ne prêtent pas beaucoup d’attention à la proposition de hudna. Pourtant, comme je l’ai noté précédemment, le sujet a suscité un intérêt évident et pas seulement chez les anciens responsables mentionnés plus haut. Sur une période d’au moins quatre ans, de 2010 jusqu’au coup d’État égyptien de 2013, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a envoyé régulièrement un représentant personnel en Europe pour des rencontres avec des individus en lien avec les dirigeants du Hamas à Doha et à Gaza dans le but d’explorer des options pour un accord de trêve à long terme et un accord d’échange de prisonniers. 

De plus en plus vulnérable

Lorsque le président égyptien Mohamed Morsi était encore au pouvoir, le gouvernement de droite de Netanyahou était à la recherche d’un canal de communication informel pour communiquer avec le bureau de Morsi et le Hamas. L’émissaire de Netanyahou en Europe y serait peut-être parvenu si le coup d’État en Égypte n’avait pas entraîné la destitution de Morsi et mis un terme à la quête égyptienne de démocratie, mais aussi au besoin israélien d’un canal de communication informel. 

Les Israéliens et leurs partenaires ont resserré leur emprise sur Gaza dans l’espoir de pousser le Hamas vers la sortie ou de le mettre à genoux

Le coup d’État du général égyptien Abdel Fattah al-Sissi a soulagé les Israéliens et les a assurés du fait que leurs amis étaient de nouveau aux commandes en Égypte. Par conséquent, le Hamas a perdu une part importante de son soutien régional et est devenu de plus en plus vulnérable. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont adopté une position hostile face au mouvement, tandis que l’Iran a retiré une grande partie de son aide financière allouée à Gaza afin de punir le Hamas pour avoir déserté la Syrie. À mesure que le Printemps arabe disparaissait, le mouvement devenait de plus en plus vulnérable.

Les Israéliens et leurs partenaires ont donc resserré leur emprise sur Gaza dans l’espoir de pousser le Hamas vers la sortie ou de le mettre à genoux. 

Qu’il soit question de l’« accord du siècle » ou d’une inquiétude face à la possibilité de voir Gaza leur exploser tout simplement au visage, les Égyptiens tout comme les Israéliens sont désormais en quête d’un accord avec le Hamas. Le marathon de pourparlers du Caire aurait pour objectifs de sécuriser la zone et d’éviter une nouvelle flambée.

Lors d’une récente apparition à mes côtés sur la chaîne de télévision Al-Hiwar, l’ancien chef du Hamas Khaled Mechaal m’a indiqué que son mouvement n’avait qu’une chose à offrir : une hudna en échange de la levée du siège. Il pourrait pourtant y avoir d’autres questions sur la table, notamment celle d’un échange de prisonniers.

- Azzam Tamimi est un universitaire et activiste politique palestino-britannique. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un membre de la police militaire du Hamas traverse un site touché par des frappes aériennes israéliennes, à Gaza, le 9 août (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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