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Libye : une lueur d’espoir ou la voie vers l’obscurité ?

Le processus de paix pourrait être dans une phase décisive, mais il sera difficile de trouver des solutions à toutes les questions en suspens

Le processus de Skhirat et de Genève sous l’égide de l’ONU et visant à parvenir à un règlement politique en Libye a repris début septembre et pourrait être dans une phase décisive, après des mois d’impasse.

Toujours optimiste, le représentant spécial de l’ONU, Bernardino León, a encore fixé une date limite, en disant que l’accord politique libyen comprenant un « gouvernement d’unité nationale » devait être finalisé avant le 20 septembre.

Toutefois, plusieurs défis importants demeurent.

La composition et le rôle du Conseil d’État – la deuxième « chambre » de l’accord provisoire de Skhirat – sont contestés. Le parlement rival basé à Tripoli, le Congrès général national (CGN), insiste sur l’accroissement des pouvoirs de cet organisme et veut choisir l’ensemble de ses membres parmi ses propres représentants actuels.

La Chambre des représentants (CR), reconnue au niveau international, a été élue l’année dernière et siège à Tobrouk, à l’est. Elle est fermement opposée à toute modification de ses lois, de ses décisions et de ses nominations. Parmi les principaux enjeux figurent la nomination du général Haftar en tant que commandant en chef de l’Armée nationale libyenne et l’abolition de la loi d’isolement politique controversée, que Misrata et les Frères musulmans ont fait adopter pour exclure du pouvoir tous les responsables de l’ère Kadhafi.

Le choix du Premier ministre et de ses deux adjoints est une autre tâche difficile, car ils doivent être acceptés tant par la CR que par le CGN.

Il est extrêmement difficile d’apporter des solutions à toutes ces questions – et il serait naïf de croire que tout le monde veut réellement un accord. Toute solution qui nécessite un consensus de la CR et du CGN sur toute décision importante serait une impasse.

Dans le cas où le CGN ne signerait pas et romprait les négociations, afin d’éviter de perdre plus de temps, le gouvernement d’unité nationale et les milices prêtes à se battre contre le groupe État islamique (EI) doivent bénéficier du soutien plein et entier de la communauté internationale. Ceux qui rejettent les propositions doivent faire l’objet de sanctions strictes. Cependant, il est probable que le gouvernement d’unité nationale ne puisse pas déménager immédiatement à Tripoli et le pays risque d’être déchiré, en particulier si le gouvernement d’unité ne reçoit qu’un soutien international mitigé.

Par ailleurs, si la CR refuse de signer, il n’y aurait pas d’accord du tout, puisque la trame principale a déjà été paraphée par tout le monde, à l’exception des représentants du CGN.

Un accord global ?

Même si toutes les parties signent l’accord, il sera encore trop tôt pour célébrer une nouvelle ère en Libye.

Surtout, il faut se rappeler que la CR et le CGN ne représentent pas l’ensemble de la population libyenne.

León est un diplomate habile. Il est pleinement conscient de la réalité et a essayé d’inclure dans le dialogue – avec plus ou moins de succès – la société civile et les milices.

Pour que l’accord soit un succès, les signataires devront convaincre les sceptiques de leur propre camp que le gouvernement d’unité nationale est la meilleure voie à suivre. Ce sera le défi majeur, puisque la CR et le CGN doivent approuver l’accord.

Ils auront également besoin d’obtenir l’approbation des grands groupes militaires et des coalitions de milices, y compris l’Aube de Libye pro-CGN et l’opération Dignité du général Haftar, ainsi que l’Armée tribale noble (ATN) menée par Zintan.

Après cela, le gouvernement d’unité nationale devra assurer un environnement sûr et sécurisé dans la grande région de Tripoli pour garantir des conditions de travail appropriées pour lui-même et la nouvelle administration. Cela pourrait se faire par le déploiement d’une mission internationale de soutien de la paix mandatée par l’ONU à Tripoli. La seule autre option serait de compter (encore une fois) sur les milices existantes comme une solution provisoire jusqu’à la création d’une force de police et d’une véritable armée nationale – mais cette approche a échoué une fois déjà.

La prochaine étape serait de voir le gouvernement d’unité nationale étendre sa portée pour faire face aux autres menaces de sécurité majeures en Libye. Tout du moins, un cessez-le-feu durable devra être conclu à Benghazi.

Une offensive commune contre le groupe EI dans les environs de Derna et, plus important, dans et autour de Syrte devra être lancée. La route côtière vers la Tunisie devra être correctement sécurisée et un cessez-le-feu conclu dans le sud.

En parallèle, les réformes constitutionnelles doivent continuer afin de constituer des fondations appropriées pour la nouvelle Libye. La production de pétrole et de gaz, qui est fortement affectée par la situation sécuritaire actuelle, devra également être stabilisée afin de garantir à l’État libyen un revenu suffisant pour relancer le processus de construction de l’État.

La situation sur le terrain

Cependant, en arriver à ce stade ne sera pas facile tant que la situation reste très fragmentée sur le terrain.

À Benghazi, le principal champ de bataille, malgré les annonces du général Haftar, son opération Dignité ne pourra en aucun cas vaincre le Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi (CCRB) – une coalition de milices islamistes radicales. La route d’approvisionnement cruciale de Misrata fonctionne toujours parfaitement. Des combattants expérimentés du groupe EI prennent de plus en plus le contrôle du combat en collaboration avec le CCRB.

Pendant ce temps à Derna, indépendamment de sa défaite contre les milices affiliées à al-Qaïda en juin, le groupe EI est encore présent dans les montagnes autour de la ville et mène – pour le moment – une campagne vengeresse de basse intensité contre ses ennemis, des islamistes radicaux appartenant au Conseil de la Choura des moudjahidines de Derna. (Remarque : bien que le groupe EI soit allié avec le Conseil de la Choura de Benghazi, il est opposé à celui de Derna.)

Avec l’agitation et la division actuelles, le groupe EI peut facilement consolider ses gains sur un tronçon de 250 km du littoral autour de Syrte et se préparer pour sa prochaine offensive, probablement sur les installations pétrolières dans le bassin oriental de Syrte. Plus le chaos actuel dure, mieux ce sera pour les terroristes.

Ces derniers mois, après une longue impasse dans la plaine de la Jafarah, dans la Tripolitaine (nord-ouest), les anciens des tribus ont négocié plusieurs fragiles cessez-le-feu locaux entre Misrata, dominée par les milices d’Aube de Libye, et l’Armée tribale noble menée par les Zintanis.

De nombreux habitants de Misrata sont las de la guerre et les capacités militaires de cette puissante ville sont sollicitées à l’excès, tandis que les dirigeants de l’ATN ont réalisé qu’ils ne peuvent pas gagner le conflit militairement. Dans les coulisses, il y a des négociations entre les Zintanis et plusieurs dirigeants de Misrata à propos d’une lutte commune contre le groupe EI.

Cependant, il reste des divisions. Des manifestations pour et contre le processus de paix se déroulent dans plusieurs villes, comme Zaouïa, près de Tripoli. Des dirigeants d’Aube de Libye, Salah Badi et Abdurrahman Swehli (tous deux de Misrata), ont fondé le Front fermeté afin de poursuivre la lutte contre Zintan et ses alliés.

La situation sur la route côtière, en particulier autour de Sabratha et entre Janzour et Zaouïa (les banlieues de Tripoli), se caractérise par des combats sporadiques entre milices et un taux de criminalité très élevé.

La capitale est toujours en proie à des bandes criminelles. Certains d’entre elles affirment être thuwar (révolutionnaires), mais commettent des délits urbains ordinaires comme le vol, l’enlèvement et le car-jacking. Au sud, dans le Fezzan et la Koufra, les différentes tribus s’affrontent fréquemment, principalement sur le contrôle des itinéraires de contrebande.

La crise des réfugiés complique encore les choses. La prochaine phase 2a de l’opération EUNAVFOR MED de l’UE – qui cible les passeurs et intercepte les navires en haute mer – n’endiguera pas le flux de migrants et de réfugiés. Leurs bateaux et navires deviendront plus petits et plus fragiles et les passeurs diront aux gens qu’ils n’ont pas bien loin à aller avant d’être secourus par des navires européens. Les navires d’escorte, s’ils sont effectivement utilisés par les trafiquants d’êtres humains, resteront dans les eaux territoriales libyennes.

Le contrôle des frontières terrestres et maritimes libyennes n’est, en premier lieu, pas tant une question de formation qu’une question de volonté. La corruption sape tous les efforts honnêtes entrepris pour établir un contrôle efficace aux frontières.

Pourtant, si l’accord de Skhirat est signé et qu’une aide internationale suffisante est garantie, il serait possible de parvenir à une certaine stabilité, au moins dans la Tripolitaine, et de vaincre le groupe EI, retrouvant une situation semblable à celle d’avril 2014, juste avant le lancement de l’opération Dignité d’Haftar.

Les perspectives d’un accord signé par toutes les parties sont limitées et les défis demeurent importants pour le gouvernement d’unité nationale, mais malgré cela, l’occasion d’instaurer la paix est là. Si l’occasion est manquée et que le processus de négociation échoue – ou s’il se poursuit indéfiniment et que la communauté internationale n’apporte aucun soutien décisif à une partie ou qu’aucune intervention n’a lieu – le chemin emprunté par la Libye pourrait la conduire à davantage d’obscurité.
 

- Wolfgang Pusztai est un analyste indépendant spécialisé dans la politique et la sécurité. Il fut attaché de défense autrichien en Italie, en Grèce, en Libye et en Tunisie entre 2007-2012.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : l’envoyé spécial des Nations unies pour la Libye, Bernardino León, tient une conférence de presse après avoir assisté à une réunion du processus de réconciliation libyenne à Skhirat (Maroc), le 16 septembre 2015.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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