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Maroc-Algérie : la guerre froide même dans l’espace ?

Rabat, avec l’aide de la France, a réussi à placer un deuxième satellite d’observation permettant aux Marocains de prendre des images plus précises du sol

Une fusée européenne, Vega, a mis sur orbite basse, le 21 novembre à 1h30 du matin depuis Kourou, en Guyane, le satellite Mohammed VI-B, un an après le lancement de son binôme MVI-A, le 8 novembre 2017 dans les mêmes conditions.

Ces deux satellites d’observation, qui ont coûté plus d’un demi-milliard d’euros à Rabat – et que l’on pourrait qualifier de satellites espions dans la mesure où ils permettent de prendre des images précises du sol, de nuit comme de jour – font partie de la gamme Pléiades, utilisée par la France et les Émirats-Arabes Unis.

Le satellite Pléiades construit par le consortium franco-italien Thales Alenia, est un satellite d’observation de la Terre, classé par le commandement de défense aérospatiale américain NORAD comme « militaire ». Il dispose d’une caméra multispectrale, lui permettant de capter aussi en mode infra-rouge, d’une résolution théorique de 70 cm et d’une durée de vie théorique de cinq ans.

En pratique, ces performances sont liées à l’altitude à laquelle se trouvent les satellites d’observation et leur distance par rapport à la Terre. Dans le cas des Pléiades, ces performances sont bonnes si les satellites sont placés sur une orbite basse, à 700 km de la Terre.

En étudiant les rapports de suivi effectués et diffusés par les Américains, les Marocains semblent avoir fait le choix de sacrifier la durée de vie (des satellites) et d’autres paramètres pour obtenir une image encore plus précise. 

Les deux satellites ont été placés à 641 km de la Terre. Ce choix a permis de les faire passer à une résolution plus fine, d’un peu plus que 50 cm. Mais ils n’ont pas que des avantages, car si la caméra gagne en résolution, elle perd en largeur de champ et donc en marge de manœuvre. La largeur de la zone couverte à chaque passage passe de 20 km à 16 km. Cela oblige donc à déplacer plus fréquemment le satellite et donc à consommer plus de carburant. 

Au final, la durée de vie théorique du satellite, qui n’est que de cinq ans, risque de diminuer davantage, faute de carburant.

Initié par le roi Hassan II, le Centre royal de télédétection spatiale (CRTS) devait directement concurrencer l’Agence spatiale algérienne (ASAL), dont les premiers contingents d’ingénieurs étaient déjà en formation en Grande-Bretagne et qui annonçait un ambitieux programme

Pour le satellite, lancé la semaine dernière, la mise sur orbite s’est effectuée normalement : il s’est détaché du dernier étage de la fusée à 615 km et la mise à poste semble se dérouler normalement.

Il semble déjà opérationnel et les stations d’analyses des donnés émises à partir de l’espace ont déjà capté ce qui semblerait être les premiers flux d’images envoyées à partir de MVI-B.

Le programme spatial marocain remonte à la fin des années 1980, avec la création du Centre royal de télédétection spatiale (qui dépend de la gendarmerie royale). Initié par le roi Hassan II, ce centre devait directement concurrencer l’Agence spatiale algérienne (ASAL), dont les premiers contingents d’ingénieurs étaient déjà en formation en Grande-Bretagne et qui annonçait un ambitieux programme.

En 2000, le CRTS marocain s’est allié à l’Université technique de Berlin pour construire un microsatellite d’observation appelé TUBSAT, qui sera lancé en à partir du cosmodrome de Baïkonour, par une fusée russe en 2001. 

Échange avec les Émirats arabes unis ? 

L’expérience, peu médiatisée, est un échec. Mal réglé, le satellite bave sur des bandes de fréquences connexes et transmet des images brouillées. Le Maroc décidera donc par la suite d’opter pour l’achat sur étagère et ne plus se lancer dans l’aventure de l’intégration locale.

La transmission des images, cryptée, et les commandes du satellite se font au centre de traitement qui se trouve à Rabat. 

L’image peut permettre à un opérateur qualifié d’identifier des véhicules et autres équipements, de repérer les concentrations de troupes. A contrario, la moindre bâche, le moindre abri suffisent à dissimuler les équipements, leur déplacement ou leur remplacement par des maquettes peut aussi brouiller les cartes de ceux qui espionnent. D’autant plus qu’il est très simple de traquer la position du satellite marocain, grâce aux radars ou aux données en sources ouvertes disponibles, la base de données du NORAD permettant à n’importe quel utilisateur connecté au site de traquer les satellites marocains.

Le satellite servira notamment aux activités cartographiques et cadastrales (capture d’écran/Arianespace)

Les Marocains pourraient échanger les données satellites avec les Émirats arabes unis qui disposent du même équipement, ce qui permettrait de doubler la capacité et de profiter du passage au-dessus de l’Algérie ou de l’Espagne de ces satellites pour obtenir plus d’informations.

Officiellement, le satellite servira notamment « aux activités cartographiques et cadastrales, à l’aménagement du territoire, au suivi des activités agricoles, à la prévention et à la gestion des catastrophes naturelles, au suivi des évolutions environnementales et de la désertification ainsi qu’à la surveillance des frontières et du littoral », a indiqué Arianespace.

Mais il pourrait aussi relever les positions GPS d’objectifs en Algérie, en Espagne ou au Sahara occidental et donc espionner sur de petites distances et de courtes périodes leurs installations.

L’Algérie dispose de six satellites de moindre résolution, quatre d’observation, un d’étude et un autre de communication

Il faut préciser que les satellites marocains ne sont pas en orbite géostationnaire, ils tournent continuellement autour du globe et ne peuvent donc pas rester constamment au-dessus de leurs objectifs. Pour cela il faut un temps d’anticipation de plusieurs heures, voire d’une journée.

Le Maroc achète de l’imagerie satellite militaire sur le marché mondial depuis le début des années 1990. Le CRTS accède par exemple des données des satellites SPOT, ERS et Landsat. L’armée marocaine est grande consommatrice des images satellites de Digital Globe ou de Airbus DS. 

L’Algérie – qui dispose de six satellites de moindre résolution, quatre d’observation, un d’études et un autre de communication – et l’Espagne sont eux aussi de grands consommateurs de ce genre d’images. 

Akram Kharief est journaliste indépendant, spécialisé en défense et sécurité. Il anime le site d’informations menadefense.net sur la défense au Moyen-Orient et en Afrique du Nord depuis 2011.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le 21 novembre, le satellite Mohammed VI-B a rejoint dans l’espace son binôme le satellite Mohammed VI-A, lancé par Arianespace le 7 novembre 2017 (AFP).

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