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Mondial 2026 : le Maroc à l’épreuve de la crise du Golfe

À la veille du match d’ouverture de la Coupe du monde de football, l’Arabie saoudite s'était fait remarquer par un vote en faveur des États-Unis pour l’organisation du Mondial 2026. Depuis, le torchon brûle entre Riyad et Rabat

Mercredi 13 juin, le vote de la FIFA a scellé le sort de la candidature marocaine à l’organisation de la Coupe du monde 2026 face à celle du trio nord-américain « United 2026 » composée des États-Unis, du Mexique et du Canada. 

Au terme du scrutin, Rabat n’a pu compter que sur 65 voix, loin des 134 raflées par son concurrent. Pourtant réputée proche du Maroc, l’Arabie saoudite a finalement voté pour son fidèle allié américain, provoquant une onde de choc au royaume chérifien ainsi que dans le reste du monde arabe.

Pourtant réputée proche du Maroc, l’Arabie saoudite a finalement voté pour son fidèle allié américain, provoquant une onde de choc au royaume chérifien ainsi que dans le reste du monde arabe

Bien qu’attendue et redoutée, la décision saoudienne n’a pas été exempte de critiques au sein de la société civile marocaine, allant jusqu’à traiter l’Arabie saoudite de « traîtresse » sur les réseaux sociaux.

Lors du blocus imposé au Qatar et déclenché il y a plus d’un an, le Maroc a très tôt envoyé des avions chargés de produits alimentaires à destination de l’émirat assiégé. Cette initiative a alors fortement déplu à Riyad et Abou Dabi dont la riposte ne s’est pas fait attendre.

Grande déception marocaine, dont celle de Fouzi Lekjaa (en photo), président de la Fédération royale marocaine de football, lorsque l’organisation du Mondial 2026 a été attribuée le 13 juin, au trio États-Unis-Mexique-Canada (AFP)

Pour ternir l’image de Rabat sur la scène médiatique arabe, la chaîne al-Arabiya s’est chargée de diffuser des reportages en faveur du front Polisario dans le conflit qui l’oppose au Maroc sur le dossier du Sahara occidental. Selon certaines rumeurs, le roi Salmane avait même fait savoir qu’il ne passerait pas ses vacances à Tanger, dans le nord du Maroc, comme il le fait chaque année.

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Considérant la forte réaction saoudienne et soucieuse de ménager ses riches alliés qui sont autant d’investisseurs sur ses terres, Rabat a par la suite souhaité calmer le jeu par le biais d’un communiqué du ministère des Affaires étrangères.

Publié le 11 juin 2017, soit une semaine à peine après le déclenchement de la crise, cette sortie devait clarifier la position du royaume en mettant en avant le devoir de médiation dans le cadre d’une dynamique diplomatique que les autorités chérifiennes ont qualifié de « neutralité constructive » : « Le Royaume du Maroc, fortement lié aux pays du Golfe dans tous les domaines, mais suffisamment éloigné géographiquement, se sent intimement concerné par cette crise, sans y être directement impliqué. Le Royaume privilégie une neutralité constructive, qui ne saurait le confiner à l’observation passive d’une escalade inquiétante entre des pays frères ».

Plus des vassaux que des alliés

Cependant, cette stratégie de détente n’a pas permis de désamorcer la tension car, dans leur volonté de briser le Qatar, Riyad et Abou Dabi ont multiplié les pressions sur nombre de leurs partenaires arabes et africains qu’ils considèrent davantage comme des vassaux que comme des alliés.

Cette forme de radicalisation saoudo-émirienne s’est illustrée dans le chantage fait par Riyad à certains de ces pays de leur refuser des visas pour le hadj ou par la menace de ne plus leur octroyer d’aides financières. S’agissant du Maroc, c’est sur la candidature à l’organisation du Mondial 2026 que les mesures de rétorsion se sont fixées.

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Dès le début de l’année 2018, plusieurs officiels saoudiens ont multiplié les sorties médiatiques pour avertir Rabat que leur vote ne lui était pas acquis. Grand artisan de ce sabotage, Turki al-Sheikh, patron du football saoudien et proche conseiller du palais royal, a ainsi mené une campagne hostile au dossier marocain allant jusqu’à s’afficher ostensiblement avec des responsables du dossier de candidature américaine.

Turki al-Sheikh, conseiller du roi Salmane, président de la Fédération saoudienne de football et de l'Union des associations de football arabe (UAFA) (Twitter)

Cette campagne de lobbying semble avoir été couronnée de succès puisque sur les 134 pays ayant voté pour la candidature nord-américaine, il y a sept pays arabes dont Bahreïn, la Jordanie, le Koweït, le Liban, les Émirats arabes unis et l’Irak.

Visiblement soumis à la pression de Riyad, ces derniers ont adopté une position contredisant leurs déclarations précédentes car lors de l’une des ses dernières réunions, la Ligue arabe avait ouvertement appelé à soutenir la candidature de Rabat dans la compétition. 

Au delà de l’épisode malheureux qui a mis à nu la « trahison » saoudienne, il apparaît assez clairement que la rivalité saoudo-qatarienne déborde désormais sur le terrain du sport avec une montée des tensions qui nuit gravement au climat régional

Au delà de l’épisode malheureux qui a mis à nu la « trahison » saoudienne, il apparaît assez clairement que la rivalité saoudo-qatarienne déborde désormais sur le terrain du sport avec une montée des tensions qui nuit gravement au climat régional.

Comme l’a récemment rappelé à l’AFP James Dorsey, chercheur à l'École d'études internationales Rajaratnam à Singapour, « le foot, en particulier le Mondial attribué au Qatar, est un champ de bataille crucial dans la guerre de relations publiques entre l'émirat et ses détracteurs ».  

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Dans ce contexte, le piratage de la chaîne beIN Sports par des hackers saoudiens (opération d’ailleurs adoubée en haut lieu par les autorités de Riyad) tout comme la volonté des pays du Quarter de plaider auprès de la FIFA pour qu’elle retire l’organisation du Mondial 2022 au Qatar, ne sont certainement que l’amorce d’une vaste offensive destinée à faire de Riyad une puissance montante et redoutée du sport mondial.

L’offensive de l’Arabie saoudite contre le Maroc a même relevé de l’échec cuisant car ce ne sont pas moins de quatorze pays arabes qui ont maintenu leur vote en faveur de Rabat

Mais avec l’affaire du Maroc et les retombées négatives de l’opération anti-beIN Sports qui a suscité une levée de boucliers jusqu’au sein de la FIFA, force est de constater que l’Arabie saoudite est loin de pouvoir jouer habilement du soft power sportif.

À y regarder de plus près, son offensive contre le Maroc a même relevé de l’échec cuisant car ce ne sont pas moins de quatorze pays arabes qui ont maintenu leur vote en faveur de Rabat. De l’Algérie aux Comores, et du Soudan à la Libye en passant par le Yémen, nombre de pays ont préféré la solidarité de principe à la mesquine volte-face.

- Nabil Ennasri est docteur en science politique, spécialiste de la région du Golfe, et directeur de L'Observatoire du Qatar. Il est aussi l'auteur de L'énigme du Qatar (Armand Colin). Vous pouvez le suivre sur Twitter : @NabilEnnasri.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Moulay Hafid Elalamy, président du comité marocain pour l’organisation du Mondial 2026 et les membres de la délégation marocaine assistent au 68e congrès de la FIFA au cours de laquelle le Mondial 2026 a été attribué au trio nord-américain « United 2026 » composée des États-Unis, du Mexique et du Canada (AFP).

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