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« Pourquoi nous haïssent-ils ? » : la version arabe de l’histoire

Les décennies de politique étrangère américaine dans la région ont offert au monde arabe une excellente source d’anti-américanisme ; la reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d’Israël est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase

Depuis le déclenchement du « djihad mondial », les analystes américains ont eu du mal à se mettre d’accord sur une liste concise de réponses à la question obsessionnelle que se posent les États-Unis : « Pourquoi nous haïssent-ils ? »  

Désireux de trouver des réponses plausibles à cette question, de nombreux observateurs américains se sont tournés vers le monde arabe en particulier et les musulmans en général, deux groupes considérés comme des bastions de la haine, de l’extrémisme et de l’obscurantisme religieux.

Les piliers de la politique étrangère américaine

L’annonce par le président Donald Trump de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et du transfert de l’ambassade des États-Unis dans cette ville est peut-être la dernière en date d’une longue liste de raisons de cette prétendue haine qui, en réalité, n’a rien à voir avec des émotions, mais avec une opposition et une résistance à la politique étrangère américaine dans le monde arabe.

Pendant plusieurs décennies, la politique étrangère constamment déployée par les États-Unis dans la région a offert au monde arabe une excellente source d’anti-américanisme, une position politique tenace adoptée par les nationalistes, les socialistes et, depuis les années 1970, les islamistes.

Cette politique étrangère américaine a reposé sur deux piliers.

L’initiative effrontée mais attendue de Trump ne peut que convaincre les Arabes du soutien persistant apporté par les États-Unis à Israël

Premièrement, le soutien sans équivoque apporté à Israël sur le plan financier et militaire a été constant depuis la création de cet État en 1948. Israël est devenu une prérogative morale pour les présidents et les administrations qui se sont succédé aux États-Unis.

Il s’agissait alors d’un pays menacé, d’une nation assiégée qui avait souffert des horreurs de l’antisémitisme européen et d’un îlot de démocratie dans un océan de dictatures ; les administrations américaines se sont tournées vers ce point sur la carte de la Méditerranée orientale et n’ont pas été en mesure de voir les effroyables excès d’un État satellite colonial, ni la version arabe de l’histoire.

Deuxièmement, tout en admirant et en louant la prétendue démocratie florissante d’Israël, les États-Unis ont soutenu avec persistance les dictateurs arabes, du Caire à Riyad. Comme Israël, ces dictateurs sont devenus sacro-saints : ils ont reçu des millions de dollars d’aide américaine et ont été dotés d’un arsenal militaire inutile qui n’a protégé ni les citoyens américains, ni leurs intérêts dans la région. 

Toute politique est locale

Alors que les deux piliers de la politique étrangère américaine sont restés intacts, sur le plan sociétal, des milliers de jeunes arabes ont aspiré à émigrer aux États-Unis pour y poursuivre des études, échapper aux nombreuses guerres faisant rage dans le monde arabe, dans lesquelles Israël était un partenaire américain, et commencer une nouvelle vie en lieu sûr pour leur famille.

Ces rêves sont devenus réalité pour beaucoup, tandis que d’autres ont dû subir la suspicion, la haine raciale, l’islamophobie et, récemment, des interdictions d’entrée et d’affreux et humiliants interrogatoires dans les aéroports.

Des Palestiniens manifestant le 15 décembre à Sakhnin suite à la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël (MEE)

Il ne faut pas beaucoup de temps aux Arabes pour expliquer pourquoi ils rejettent la politique étrangère américaine. Ces deux raisons suffisent. Mais pour les États-Unis, il est important de comprendre que leurs administrations ont donné aux Arabes de nombreuses occasions d’haïr leur politique étrangère.

L’anti-américanisme n’est pas un simple sentiment, mais une véritable position politique – la reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d’Israël est simplement la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

À LIRE : Trump donne à l’Iran une occasion en or de mobiliser le monde islamique contre Washington

Les Arabes ne sont pas convaincus par l’exercice d’introspection des démocrates américains vaincus, qui expliquent la décision de Trump à Jérusalem en fonction de la politique intérieure et suggèrent que le président américain a succombé à l’énorme pression électorale des lobbies juifs et évangéliques.

Des bureaucrates retraités et marginalisés du département d’État américain ont trouvé dans les think tanks un environnement confortable pour développer cette thèse. Un exemple récent a été la conférence du Carnegie Middle East Center à Beyrouth intitulée « A World on Edge » (« Un monde sous tension »), durant laquelle un panel a expliqué à un public arabe l’impact des préoccupations nationales dans la politique étrangère américaine. Tout étudiant en première année de sciences politiques sait que l’un des fondements les plus importants de la politique étrangère de n’importe quel pays est le public national. Dès le premier jour, les élèves apprennent que toute politique est locale. Les États-Unis ne font pas exception. 

Le soutien américain à Israël est resté constant. Alors qu’une poignée de présidents américains ont prôné la paix et exclu la confrontation, d’autres plus bellicistes ont choisi l’intervention militaire et une stratégie de changement de régime dans le monde arabe.

Une arrogance impérialiste

L’occupation de l’Irak en 2003 n’était pas due à un changement d’avis des États-Unis dans leur soutien aux dictateurs, suite auquel ils auraient mis leur poids militaire derrière le renversement d’un dictateur arabe.

Les États-Unis s’en sont pris à Saddam de manière sélective et stratégique – dans un passé pas si lointain, au cours des années 1980, il était l’homme qu’ils avaient choisi pour vaincre les mollahs iraniens à Téhéran au cours d’une longue guerre sanglante livrée au nom des États-Unis et de leurs alliés autocratiques du Golfe.

L’invasion de l’Irak a été un signe d’arrogance impérialiste. Un empire blessé, frappé durement et sans qu’on s’y attende dans son centre de la finance et du commerce mondial le 11 septembre 2001, cherchait désespérément à restaurer son image et à démontrer sa puissance après avoir été piqué par des frelons qui avaient été des alliés proches seulement une décennie plus tôt dans les grottes de Tora Bora.

Un soldat américain en patrouille dans la rue Haïfa de Bagdad discute avec des enfants irakiens, en mars 2008 (AFP)

Le président Bush voulait leur donner une leçon. Il a choisi Bagdad.

D’autres présidents américains, comme Barack Obama, se sont retirés après la douloureuse leçon apprise en Afghanistan et en Irak et ont opté pour la gestion de conflits dans le monde arabe.

Mais Trump a choisi de revenir à la confrontation et a choisi Jérusalem, symbole de la lutte palestinienne pour l’autodétermination et la libération face à l’occupation, à un moment où il pensait que les réponses arabes seraient modérées, inefficaces et incapables de créer la moindre gêne pour Washington et Israël.

Trump et son beau-fils Jared Kushner ont obtenu la complicité de Riyad malgré les paroles du roi Salmane lors de son discours sur Jérusalem.

Le soutien constant apporté par les États-Unis à un État prédateur comme Israël et l’appui sans équivoque et inconditionnel apporté aux « dangers qu’il connait » sont en fin de compte la cause première et finale de l’anti-américanisme

Le roi a réitéré que les Palestiniens avaient droit à Jérusalem-Est, une ville divisée sous la domination complète d’Israël, la puissance occupante qui détruit systématiquement des habitations palestiniennes et expulse les habitants, faisant ainsi de cette municipalité la plus riche d’Israël grâce aux énormes amendes infligées aux Hiérosolymites.

Alors que des rapports successifs révèlent la mesure dans laquelle l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe ont procédé à une normalisation des relations avec Israël en matière de sécurité et d’économie – les Saoudiens ont déjà effectué des visites en Israël, où ils y ont rencontré des responsables –, il est difficile de prendre le discours du roi au sérieux.

En tant qu’État satellite proche de l’Arabie saoudite, Bahreïn a envoyé à Jérusalem une délégation composée d’une poignée de personnalités, dont des responsables religieux chiites en turban, pour exprimer sa bonne volonté. D’autres présidents arabes sont contraints de faire eux aussi du bruit sur Jérusalem.

Un État prédateur

L’initiative effrontée mais attendue de Trump, qui avait été annoncée au cours de sa campagne électorale, ne peut que convaincre les Arabes du soutien persistant apporté par les États-Unis à Israël. Les pressions des juifs et des évangélistes ne peuvent être des explications convaincantes : les présidents américains précédents ont poursuivi des politiques partiales qui favorisaient Israël sans toutefois se sentir redevables envers de tels lobbies.

Des soldats israéliens arrêtent un Palestinien, le 15 février 2016, dans le camp de réfugiés palestiniens d’al-Amari, près de la ville cisjordanienne de Ramallah (AFP)

Trump a osé faire ce que les autres ont retardé.

Du point de vue arabe, ce soutien est fondé sur le fait qu’Israël est l’un des derniers avant-postes coloniaux. Le contrôle de la région et de ses ressources bien au-delà des rives orientales de la Méditerranée revêt une grande importance. 

Le conflit avec Israël a écrasé les économies arabes, épuisé des ressources limitées et détourné l’attention de la véritable lutte pour la démocratie, sans parler de la destruction de la population et des flux de réfugiés au cours du demi-siècle passé.

Des dictateurs arabes ont exploité la cause palestinienne pour réprimer la population, retarder les changements politiques et détourner l’attention de l’urgence du développement.

D’autres se sont servis de la Palestine pour promouvoir leurs références arabes et islamiques. De Saddam Hussein au roi Fayçal, Jérusalem était une bonne cause à exploiter. 

À LIRE : L’unilatéralisme de Trump sur Jérusalem : les touches finales d’une victoire israélienne

Les acteurs non-étatiques, comme les mouvements de résistance passés et actuels tels que le Hezbollah, ne sauraient rendre les armes tant que la puissance aérienne israélienne reste incontrôlée dans le ciel de Beyrouth. En réalité, le Hezbollah a surgi du contexte d’une attaque israélienne et de l’occupation par Israël de la moitié du Liban en 1982.

Ainsi, le soutien constant apporté par les États-Unis à un État prédateur comme Israël et l’appui sans équivoque et inconditionnel apporté aux « dangers qu’il connait » sont en fin de compte la cause première et finale de l’anti-américanisme, que nous avons fini par identifier comme de la haine.

Les lobbies juifs et évangéliques ne suffisent pas pour expliquer la dernière bourde de Trump. 

Les États-Unis ont besoin d’un nouveau paradigme pour se réimpliquer dans le monde arabe sans faire de dégâts supplémentaires. Il semble toutefois improbable qu’un empire en plein recul dans un monde multipolaire soit capable de produire le changement de paradigme souhaité.

La reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d’Israël est symptomatique d’un empire en déclin qui recourt à des décisions erratiques et provocatrices – un schéma similaire a été observé dans les derniers jours de la chute de Rome.

- Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des Palestiniens piétinent des affiches représentant Donald Trump, Mike Pence et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou lors d’une manifestation à l’université ouverte d’al-Quds, cette semaine à Dura (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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