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Au Liban, la transsexualité existe et est encore tabou

Contrairement à d’autres pays du Moyen-Orient, le Liban semble commencer à reconnaître les droits des transsexuels, avec une récente décision de justice autorisant un changement de sexe. Mais le quotidien des transsexuels demeure difficile, entre incompréhensions, harcèlement et discrimination
Hans, célèbre drag-queen et costumière beyrouthine, fait l’objet d’un article publié dans la revue anglophone TaGg ED (MEE/Roxanne D'Arco)

BEYROUTH - Bourj Hammoud est connu comme étant le quartier arménien de Beyrouth. Situé un peu en périphérie de la ville, ce n’est pas un quartier sur lequel on tombe par hasard. C’est ici que vit Hans, 24 ans. Avenante, elle nous donne rendez-vous chez elle, dans son univers entre plumes, couleurs et influences en tout genre.

Si elle s’est fait connaître dans la capitale libanaise, c’est surtout à travers la night-life et ses créations. « Quand j’avais 17 ans, les gens savaient qu’il y avait peut-être des drag-queens mais il n’en avait jamais vu avant », raconte-t-elle à Middle East Eye, autour d’un café accompagné d’une cigarette.

« Je faisais la fête en drag, c’est comme ça que tout le monde me connaît. J’étais quelque chose de nouveau pour eux. J’étais amusante… et stupide ! ». Finissant cette phrase avec un rire où l’on perçoit un peu de remords, elle continue son récit.

« J’étais l’enfant chérie de la night-life ! »

« Quand d’autres transsexuels ont commencé à voir que ça allait pour moi, ils se sont dit que ça irait aussi pour eux », se souvient Hans. « J’étais l’enfant chérie de la night-life ! Ils ont commencé à se rendre aux mêmes soirées, mais ça n’était plus une scène de divertissement pour moi. Il y avait des problèmes, des disputes, tout ça à cause de jalousies ».

Pour autant, elle ne voit pas sa vie ailleurs qu’à Beyrouth. « Si je pouvais avoir une autre nationalité, je le ferais, mais je reviendrais toujours ici parce que je suis la seule personne à exercer dans mon domaine », explique-t-elle en montrant ses créations. Et d’ajouter : « Vous connaissez beaucoup de costumières ici ? En Europe, il y a déjà beaucoup de concurrence. Je fais du travail manuel. Des masques, des ailes ou le travail des plumes. Je sais comment aller vers les clients ici, mais aussi vers les vendeurs de matières premières. Mes clients n’ont pas de problème avec moi, et si c’était le cas, je ne travaillerais pas avec eux ».

À côté de ça, Hans fait aussi des shootings photo et explore ses préférences artistiques, influencée par « un côté sombre », « les prostituées » et « un peu tout ce qui l’entoure ».

Photographie de Hans reproduite dans un article qui lui est consacré dans la revue In Magazine (MEE/Roxanne D'Arco)

Sasha, 20 ans, s’est lancée peu à peu dans le mannequinat, faisant des séances photo pour des projets étudiants mais aussi des publicités. Après une longue quête d’identité, elle rêve aujourd’hui d’intégrer Trans Models, la première agence de mannequins transsexuels, basée à New York.

« À 19 ans, j’avais un ami styliste qui faisait un défilé pour LBC [une chaîne nationale libanaise], il voulait que je sois la première trans à défiler pour lui à la télévision », se souvient-elle. Par la suite, elle donna une interview sur OTV, une chaîne nationale chrétienne. « Ils étaient assez surpris lorsqu’ils m’ont vue. Ils pensaient juste que j’étais une fille. Ils l’ont été encore plus quand je leur ai dit que je n’avais jamais fait d’opération alors qu’ils voyaient que j’avais des seins ! », dit-elle en riant.

La question de la famille

Dans son enfance déjà, Sasha était souvent prise pour une fille. Pour ses parents, la situation allait forcément évoluer avec le temps. Pourtant, à 13 ans, Sasha a commencé à avoir des seins. « J’étais très féminine avec des cheveux blonds, très douce, très sage et ce, jusqu’à mes 16 ans », se souvient-elle aujourd’hui, au premier étage du Starbucks, rue Hamra.

« Je me demandais pourquoi je n’étais pas comme les autres garçons et surtout ce qu’étaient ces seins ! J’en ai parlé à ma mère, elle pensait que ça passerait en arrêtant de manger du poulet ! À cette époque, j’avais de gros problèmes pour m’habiller. Je portais des vêtements pour hommes mais je ne me sentais pas à l’aise. Au final, je ressemblais à une fille qui portait des vêtements de garçons »

En cours, Sasha tombe sur la question du gène SRY, qui intervient dans la différentiation sexuelle des humains. Un déclic qui l’amène à faire des recherches puis à aller faire des examens chez un médecin.

« Ma mère ne voulait pas que j’y aille », poursuit Sasha. « Pour elle, elle avait donné naissance à un garçon, pas à une fille. J’y suis allée seule, et cela a confirmé que j’étais porteuse du gène XXY, avec un taux d’estrogène très élevé. Du coup, j’ai décidé d’aller plus sur le côté féminin. C’est la raison pour laquelle j’ai une voix féminine, des cheveux féminins et des seins. Par la suite, j’ai montré les tests à ma mère. Il lui a fallu quatre mois pour l’accepter. Mon père, lui, n’y est pas parvenu. »

Aujourd’hui, leurs relations sont apaisées mais pas forcément avec toute sa famille. Dès le début de son adolescence, Sasha se faisait battre par son frère parce qu’elle « n’agissait pas comme un homme ».

Pour d’autres aussi, les relations familiales peuvent être très compliquées. Shyrine (nom d’emprunt) a la vingtaine. Revenue dans la capitale libanaise après un séjour à l’étranger, elle est menacée par sa famille. « Mon frère m’a dit que s’il me croisait dans la rue, il me tuerait », raconte-t-elle à MEE dans un autre café de Beyrouth. Depuis, elle tente d’obtenir des papiers pour partir en Europe après s’être fait expulser d’autres pays du Moyen-Orient.

Hans, pour sa part, a la chance d’avoir des parents compréhensibles : « Ma mère m’a fait mon premier costume en latex et mon père a une usine de soutiens-gorge, et j’allais jouer là-bas quand j’étais enfant », dévoile-t-elle avec un sourire malicieux.

Expulsée de plusieurs pays du Moyen-Orient

« Je travaille comme maquilleuse » explique Shyrine, issue de la communauté musulmane sunnite. « Je suis partie de chez moi à 15 ans. C’est à ce moment-là que j’ai commencé ma transformation. J’ai vécu en Arabie saoudite puis à Dubaï, où je suis restée deux ans et me suis fait opérer la poitrine ».

Elle s’est fait expulser de ces deux lieux de résidence, après avoir passé plusieurs jours en prison. En Arabie saoudite, elle a d’abord été arrêtée parce qu’elle a été prise pour une femme, et donc pas habillée de manière appropriée dans la rue. Ensuite, la raison a été son apparence efféminée. À Dubaï, la police s’est rendue à son travail parce que son employeur la battait. La situation s’est totalement retournée contre elle lorsqu’il l’a condamnée devant les policiers pour son apparence et sa sexualité.

« À mon retour à Beyrouth, j’ai eu une offre d’emploi en Jordanie », raconte-t-elle, amère. « Lorsque je me suis rendue là-bas, j’ai été directement arrêtée pour mon apparence. Ils m’ont fait signer un papier m’exposant à sept ans de prison si je me fais appréhender sur le territoire jordanien. »

Aujourd’hui, Shyrine est fatiguée d’avoir peur, d’être sur ses gardes. Même si elle la souhaitait discrète, en jean et veste noire, son arrivée a été accueillie par des regards interrogateurs d’un homme fumant sa chicha, attablé juste à côté. Son rêve ? Vivre à Paris.

La question du voyage préoccupe aussi Sasha. Pour elle, pas question de quitter le territoire tant qu’elle n’est pas administrativement femme. « Je ne veux pas avoir de problèmes de reconduite à la frontière ou autre chose. Si je pars seule, je ne veux pas être dans cette situation », explique-t-elle.

Sasha pose pour un selfie publié sur Instagram (reproduit avec son aimable autorisation)

Une évolution au Liban ?

Au Liban, le sujet est encore tabou. Dans leur vie personnelle, certaines transsexuelles sont en relation sérieuse mais gardent leur histoire secrète ou en tout cas discrète pour protéger leurs conjoints. Il est vrai qu’en discutant avec plusieurs Libanais, sur place ou expatriés, on constate que beaucoup sont étonnés de leur présence au pays du Cèdre.

« Les transsexuels sont présents au Liban ou au Moyen-Orient plus généralement, explique Sasha, mais la plupart quittent le pays. Il y a des organisations comme Helem pour nous aider, mais nous n’avons pas l’impression d’être suffisamment assistées dans notre démarche. »

Évidemment, il y a aussi la question des autorités. Les histoires de policiers violant ou violentant des personnes parce qu’elles sont homosexuelles ou transsexuelles ne sont pas rares. « Ils sont censés nous protéger », reprend Sasha. « Maintenant, ces histoires se font moins entendre mais ça laisse un sentiment de méfiance. »

Hans, quant à elle, avoue se méfier des policiers en civil dans les soirées. « Tout le monde le sait », confirme-t-elle, avant d’ajouter : « Il y a eu un cas où la police a fermé un club et a embarqué une shemale [actrice pornographique transgenre] et son petit-copain. Je ne sortais plus après ça, j’avais peur. Ils n’ont pas été enregistrés à la station de police. Il n’y a aucune preuve officielle qu’ils y ont été amenés. Ils les ont emmenés et ce sont tout simplement amusés avec eux. Ils ont pris des photos d’eux nus et les ont envoyées aux stations de télévision pour qu’ils les diffusent. »

« La situation des transgenres au Liban n’est pas facile », confirme Iyan, de l’association Helem, acronyme arabe de « protection libanaise pour les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. « Ils ne sont pas acceptés par la communauté et le gouvernement. Les choses les plus basiques comme avoir un métier, compléter son éducation ou même trouver un logement sont très compliquées. »

Créée en 2004, le but de l’association est l’annulation de l’article 534 du Code pénal, incriminant les relations homosexuelles, mais aussi la lutte contre le SIDA et d’autres maladies sexuellement transmissibles. « Je ne sais pas combien de personnes nous avons aidées, poursuit Iyan, mais beaucoup, surtout celles qui sont emprisonnées. Helem suit leur cas et documente toutes les violations commises à leur encontre. »

« Ce n’est pas juste des histoires d’hommes amoureux d’hommes »

Pour autant, toutes concèdent que la vie au Liban est compatible avec qui elles sont. Les choses évoluent doucement.

« Le progrès, c’est qu’il existe aujourd’hui des lieux comme Marsa, un centre pour la santé sexuelle », développe Iyan. « Mais aussi que d’autres organisations travaillent à nos côtés et donnent le meilleur pour aider au mieux sur le plan des besoins médicaux, notamment aux transgenres.

« Au niveau de la parole, il est plus facile de parler de ces sujets, même si certains médias présentent les faits comme ils le veulent à la communauté. Nous essayons de réveiller les consciences avec des événements comme le IDHOT [acronyme anglais de la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie], que nous préparons actuellement. »

Ne plus avoir à se cacher et réveiller les consciences, c’est un peu le rêve de Hans, Sasha et Shyrine. « On a besoin de plus d’exposition sur nous et ce que nous sommes. Ce n’est pas juste des histoires d’hommes amoureux d’hommes ou quoi que ce soit de ce genre. C’est une histoire d’amour. Nous sommes tous des âmes et des énergies qui s’attirent », conclue Sasha.

Au niveau de la loi, les choses semblent évoluer dans le bon sens. En janvier 2016, la Cour d’appel civile de Beyrouth a reconnu pour la première fois le droit à un transsexuel libanais, né femme, de changer de sexe et d’inscrire le changement sur le registre d’état civil. Mais pour Iyan de l’association Helem, « ce sera un progrès lorsque cette procédure sera officiellement autorisée, et pas seulement pour une personne. Beaucoup d’autres cas sont en attente ».

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