Bataille pour Mossoul : une journée dans la vie d’un hôpital de campagne
Un Humvee blindé sort en trombe de Mossoul-Est. Il dépasse des civils en fuite et vire en klaxonnant pour atteindre l’hôpital de campagne où il s’arrête dans un crissement de pneus.
Les combats de la journée ont commencé et les premières victimes arrivent déjà.
Des soldats, blancs de poussière suite à l’explosion de mortiers tirés par l’État islamique (EI), jaillissent des véhicules et en sortent des blessés civils. Une adolescente, le visage lourdement bandé, est transportée à l’intérieur. Elle reste silencieuse mais sa mère gémit, inconsolable, et crie : « Un mortier, c’est un mortier, ma fille, ma pauvre enfant ». Les médecins défont des bandages et découvrent qu’une lacération de mâchoire qui lui balafre le visage a déjà enflé. Pendant que l’un arrête le saignement, un autre coupe des mèches de cheveux collés par le sang coagulé pour accéder plus facilement à une profonde blessure à la tête.
Dans la cour extérieure, où sont traités la plupart des blessés, les médecins découpent la chemise trempée de sang d’un homme d’âge mûr, blessé à la tête, à une main, au dos et à l’abdomen.
Sur le lit adjacent, un autre homme git sur le côté, les veines de ses intestins apparaissant d’une blessure causée par un éclat d’obus.
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On entend un homme crier dehors : « Ma fille, c’est ma fille, elle n’a plus de bras ! Que Daech soit maudit, maudit soit Daech ! »
Sur un lit de camp, un petit garçon, assis jambes croisées, enveloppé dans une couverture métallique argentée, contemple le chaos sous ses yeux, le visage vide d’expression.
Les médecins au travail. Toujours plus de blessés arrivent
Ce sont les civils de Mossoul, pris dans la violente bataille de la ville entre militants de l’EI et forces armées irakiennes. Ils vivent sur les lignes de front et sous la menace constante d’un mortier perdu de l’EI, de l’énorme explosion d’une voiture piégée garée dans une rue étroite tout proche, ou des coups de feu d’un tireur embusqué s’ils s’aventurent à l’extérieur. Le capitaine Nizar Jawad, médecin en chef, indique à Middle East Eye que l’hôpital de campagne, installé dans la banlieue de Gojelli, traite en moyenne entre 75 et 100 civils par jour.
Pendant que les médecins stabilisent les patients en pansant juste assez les blessures pour qu’ils puissent être transférés à l’hôpital d’Erbil – un trajet de deux heures sur 86 kilomètres de macadam défoncé, marqué par la guerre – arrivent toujours plus de Humvees.
« Askeri, askeri ! (Soldat, soldat !) », hurle Jawad – cri d’alarme à l’intention des médecins à l’intérieur ainsi qu’aux journalistes dehors. Le gouvernement irakien refuse de donner la moindre information au sujet des victimes militaires et les journalistes ont l’interdiction de prendre des photos. Les médecins ont d’urgence besoin de plus de place pour les blessés fraîchement débarqués. Ils sortent de l’hôpital des civils pansés de bandages pour les installer dans les ambulances en attente et les blessés qui arrivent croisent ceux qui partent.
Un autre Humvee. Encore plus de soldats. Certains sont portés, d’autres à demi traînés, soutenus par des camarades. On découpe les vêtements, on enlève les bandages de fortune, on installe les perfusions de sérum physiologique et le bâtiment résonne des cris des blessés, de la voix des médecins qui appellent pour qu’on leur apporte des pansements et demandent leur nom aux soldats. Les plus grièvement blessés restent silencieux. Les médecins travaillent vite, tandis que le sang goutte sur le carrelage sur bandages trempés et les vêtements déchirés.
Un soldat, la vingtaine, git, parcouru de tremblements sur son lit de camp, pendant que des médecins se mettent à colmater l’entrée et la sortie de la balle qui lui a traversé le biceps. Ils lèvent son bras et découvrent que la balle qui lui a troué le bras s’est logée quelque part dans son aisselle. De leurs doigts gantés, ils enfoncent toujours plus de pansements dans la blessure à l’aisselle, sans pouvoir stopper le liquide cramoisi qui ruisselle sur le flanc du soldat. Un infirmier essaie de trouver une veine pour placer une perfusion tandis que l’autre penche doucement son visage au-dessus de lui, pendant que le patient sombre dans l’inconscience.
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Deux jeunes soldats ont reçu un éclat d’obus de mortier aux jambes. L’un est couché sur un lit de camp, tandis que l’autre, étendu à proximité par terre, s’appuie sur le coude pour retirer à son ami son écharpe et ramène en arrière ses cheveux, trempés de sueur sur son front en lui chuchotant des mots de réconfort. On traite leurs blessures rapidement et son ami est déposé sur le sol à côté de lui, pour laisser place à un autre soldat, dont le bras ruisselle de sang, malgré le garrot improvisé serré avec un bâton autour de son biceps. Deux soldats, les jambes bandées, en état de choc, s’appuient l’un contre l'autre et partagent sans rien dire des cigarettes.
Les médecins ont beau travailler rapidement, les blessés arrivent, toujours plus nombreux – des soldats autant que des civils. Ils manquent de sérum physiologique pour les perfusions.
Dignité préservée, même dans la mort
Les victimes sont si nombreuses qu’il reste peu de temps pour s’occuper des morts. Un Humvee a été abandonné devant l’hôpital de campagne : les blessés ont été sortis à toute vitesse du véhicule dont les portes sont restées ouvertes. Sur le capot reposent trois cadavres de civils, emballés dans des couvertures. Les pieds de l’un d’eux dépassent d’une couverture aux couleurs vives, chevilles croisées comme s’il était en train de se détendre. Le sang d’un autre s’infiltre dans le moteur du Humvee, et forme une petite flaque de sang sous le véhicule.
Derrière un camion Toyota à proximité, un soldat demande en hurlant qu’on lui apporte des pansements. À ses pieds est étendu un soldat mort, le visage horriblement lacéré. « Donnez-moi des pansements convenables », crie-t-il, en jetant un bandage. Il panse délicatement le visage de son camarade mort, dans un dernier effort pour préserver sa dignité, même dans la mort.
On aide les blessés capables de marcher à entrer dans les ambulances, où ils sont installés sur les banquettes. Ceux qui doivent être transportés en civière sont posés sur le plancher des ambulances les plus anciennes. Quand il ne reste plus aucune ambulance, les blessés sont chargés dans un véhicule militaire.
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« Nous avons déjà traité 40 patients aujourd’hui, dont la moitié en état critique, mais nous leur avons sauvé la vie », relève Marek Adamik, médecin slovaque de 33 ans, l’un des membres de l’équipe de six médecins volontaires travaillant pour l’ONG slovaque, l’Académie de médecine d’urgence. Ce sont les seuls médecins internationaux que l’on trouve à Mossoul.
« La plupart des blessures sont balistiques – reçues de tirs de mortiers, entre autres explosifs, ou de tireurs embusqués », souligne-t-il. « Et, quelquefois, il nous faut amputer, si un soldat a mis le pied sur une mine, par exemple, ou si une maison a reçu un tir direct de mortier ».
Il y a des hauts et des bas, des moments heureux et d’autres terribles
Une petite camionnette à trois roues vire en direction de l’hôpital, avec sur le toit un drapeau blanc battant l’air. À l’arrière, un homme en tee-shirt rose, trempé de sang, berce un jeune garçon sur ses genoux. Le sang jaillit du visage du garçon et il hurle de douleur pendant que les médecins essaient de nettoyer la blessure. L’homme en tee-shirt rose pleure dehors, accroupi par terre, le visage tordu de douleur et de chagrin.
Le personnel n'a pas encore fini de laver le sang sur le sol qu'un autre Humvee arrive et décharge Shahlan, 37 ans, blessé par un tireur embusqué. Il serre les dents en silence tandis que l’Américain Pete Reed, médecin en chef de l’ONG slovaque, lui extrait une balle logée dans un mollet, après avoir élargi la blessure au scalpel. Reed glisse la balle dans la poche de chemise de Shahlan et leur allume à chacun des cigarettes.
Il y a des hauts et des bas, des moments heureux, d’autres terribles, et là nous étions heureux », explique Reed. « Les bas, c’est quand les patients ne s’en sortent pas. Cela arrive souvent et plus de la moitié sont des civils ».
Au coucher du soleil le flot des victimes s’interrompt et l’hôpital de campagne devient silencieux. Dans la cour, le personnel médical reconstitue les réserves dans la cour. À l'extérieur, d’autres mettent le feu aux bandages et vêtements ensanglantés qui se sont accumulés pendant la journée.
Traduit de l’anglais (original) par dominique@macabies.fr.
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