Skip to main content

Crise du Golfe : la Turquie peut-elle sauver le Qatar ?

La Turquie est-elle sur le point de surprendre à nouveau le Moyen-Orient sur sa politique internationale ?
Le prince héritier Cheikh Tamim ben Hamad al-Thani et le président turc Recep Tayyip Erdoğan à Ankara en 2014 (AFP)

Lors de la première décision cruciale que la Turquie devra prendre depuis le début de sa politique tournée vers l’Est, Ankara pourrait se retrouver dans la position du héros qui vient sauver le Qatar.

Les Saoudiens ont lancé une offensive diplomatique majeure contre le Qatar, et ont été soutenus par l’Égypte, Bahreïn, le Yémen et les Émirats arabes unis. Ces derniers ont tous mis fin à leurs relations avec le royaume lundi, et ont annoncé leur plan de faire partir les citoyens qataris.

« Il est clair que des pays comme les Émirats arabes unis ont tenté de porter atteinte autant que possible à la Turquie sur la scène internationale »

- une source du ministère des Affaires étrangères turc

La décision de la Turquie, de soutenir le Qatar ou de garder le silence, sera un test décisif sur la portée d’Ankara et sa capacité à exercer son muscle politique dans ce qu’elle considère sa propre arrière-cour.

Dans sa première réponse à l’assaut politique mené par l’Arabie saoudite contre le Qatar, le ministre des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu a déclaré lundi : « Nous sommes attristés par ce qui arrive. Nous sommes prêts à tout pour surmonter la situation. »

L’éditorialiste conservateur Yusuf Kaplan, qui écrit pour le journal pro-gouvernemental Yeni Safak, a tweeté son soutien au Qatar et mis en place le hashtag #LaTurquieAvecLeQatar.

https://twitter.com/yenisafakwriter/status/871713912361799681

Traduction : « Qatar, la soupape respiratoire de la Turquie. La Turquie n’abandonnera pas le Qatar. La cible principale est la Turquie »

Une source du ministère des Affaires étrangères turc, qui n’avait pas l’autorisation de parler aux médias, a déclaré à Middle East Eye que les discussions qui se sont déroulées ces dernières semaines indiquent que la Turquie se trouvera sur la corde raide entre soutenir Doha et éviter d’enrager les Saoudiens.

« Le Qatar est un ami dans le Golfe et Ankara utilisera toute son influence pour soutenir Doha », assure notre source.

« En réalité, il n’y a pas d’autre option possible. Il est clair que des pays comme les Émirats arabes unis ont tenté de porter atteinte autant que possible à la Turquie sur la scène internationale. »

Ce que la Turquie demande du Qatar

La position d’Ankara dans cette crise de plus en plus aiguë sera cruciale, car elle possède une base militaire au Qatar depuis 2016, base qui accueillera au final 600 personnes. Cette base commune a été mise en place par les deux pays pour faire face aux menaces communes, d’al-Qaïda au groupe État islamique et à l’Iran.

Ahmet Kasim Han, professeur de relations internationales à l’université Kadir Has d’Istanbul, a déclaré que le timing de cet assaut intensifié de l’Arabie saoudite sur Doha après la visite de Donald Trump montre que Washington était au courant, et peut-être même soutenait, l’action de Riyad.

Mais Ankara soutiendra le Qatar – malgré le risque de fâcher les États-Unis et l’Arabie saoudite.

La Turquie s’est également trouvée isolée sur la question de la Syrie et de l’Irak. Elle a désespérément besoin des ressources financières du Qatar pour pouvoir choisir et renforcer des forces qui seraient loyales

La Turquie se sentira acculée par ce qui est arrivé au Qatar – et cherchera aussi à conserver le vaste soutien financier du pays.

« Il est possible qu’Ankara prenne cette route car elle se sent acculée sur la scène régionale par les récents événements dans le Golfe et dans la région, notamment le soutien des États-Unis aux Unités de protection du peuple (YPG) en Syrie et la perte de l’influence turque à Mossoul et ailleurs en Irak. »

Sur le plan national, la Turquie fait face à une élection décisive en 2019, mais elle pourrait se dérouler plus tôt. Ce vote sera vital pour le président turc Recep Tayyip Erdoğan, qui ne voudrait surtout pas voir le flot d’argent qatari s’assécher.

La Turquie s’est également trouvée isolée sur la question de la Syrie et de l’Irak. Elle a désespérément besoin des ressources financières du Qatar pour pouvoir choisir et renforcer des forces qui seraient loyales.

« La Turquie a également besoin de maintenir ce qui, selon beaucoup de personnes, est un arrangement financier massif avec Doha », relève Han.

À quel point les Saoudiens sont-ils en colère ?

Toutefois, selon Han, l’implication de l’armée turque ne se fera pas – même si l’Arabie saoudite décide d’envoyer ses hommes.

« Les Qataris ont souvent utilisé la présence de l’armée turque pour subtilement menacer leurs voisins comme Bahreïn mais elle n’a pas de base dans la réalité et ne serait jamais une option pour la Turquie. »

Un tank de l’armée turque se rend vers la Syrie à la frontière turque de Karkamis en aout 2016 (AFP)

« Et en ce qui concerne les bases militaires, la base militaire américaine au Qatar (base aérienne d’Al Udeid) est en fait bien plus rassurante pour les Qataris que la base turque. »

Selon Han, il est peu probable que la Turquie puisse faire quoi que ce soit pour venir à la rescousse du Qatar à ce stade-là.

« À la surface, il apparaît que la seule chose qu’Ankara puisse faire est d’attendre que le Qatar accepte une liste de concessions demandées par les Saoudiens, puis essaye ensuite d’adoucir les dégâts causés à Doha en négociant de réduire quelques-unes de ces concessions. »

« Les Saoudiens considèrent les actions qataries telles que le soutien des Frères musulmans comme une menace existentielle. Ils ont dépassé le stade où ils souhaitent négocier, et de ce fait la Turquie ne peut pas faire grand-chose. Elle n’a pas d’influence envers les Saoudiens »

- Ahmet Kasim Han, université Kadir Has d’Istanbul

L’une des plus grandes accusations des Saoudiens envers les Qataris est que Doha finance des groupes comme les Frères musulmans, considérés « terroristes » par les Saoudiens.

Selon Han : « Les Saoudiens considèrent les actions qataries telles que le soutien des Frères musulmans comme une menace existentielle. Ils ont dépassé le stade où ils souhaitent négocier, et de ce fait la Turquie ne peut pas faire grand-chose. Elle n’a pas d’influence envers les Saoudiens. »

La colère saoudienne est telle, selon Han, qu’il a même entendu des personnes du Golfe parler de tentative potentielle de retirer du pouvoir la famille al-Thani.

Il a également fait remarquer comment Doha avait incité le Hamas récemment, à prendre ses distances des Frères musulmans, selon Han, ce qui indique que le Qatar essayait d’apaiser Riyad.

La Turquie a également salué cette mesure. Mais ce n’était pas assez pour convaincre les Saoudiens.

Une autre décision non-conventionnelle ?

Autre scénario que la Turquie trouvera familier au sein de cette crise : la tentative de lier Ankara et Doha à Téhéran.

Lorsque les relations entre Israël et la Turquie ont commencé à se détériorer, Israël a essayé d’insinuer que certains cadres turcs coopéraient avec leurs homologues iraniens. 

Les Qataris font maintenant face aux mêmes accusations de la part des Saoudiens. « Une alliance Turquie-Qatar-Iran est impossible », affirme Han.

À LIRE : L’effet Trump : comment l'offensive politique contre le Qatar a commencé

Ici encore, les décisions en matière de politique étrangère de la Turquie se sont souvent éloignées des diktats de la sagesse conventionnelle, que ce soit la véritable animosité d’Ankara envers Assad, sa décision de pratiquement abandonner l’UE et la détérioration de ses relations avec les États-Unis.

« Nous avons assisté à tellement de décisions prises par des leaders turcs basées sur l’idéologie ou l’intérêt, et qui défient la sagesse conventionnelle », constate Han. « Je ne serai pas surpris si la Turquie venait à soutenir entièrement Doha. »

Traduit de l’anglais (original). 

Stay informed with MEE's newsletters

Sign up to get the latest alerts, insights and analysis, starting with Turkey Unpacked

 
Middle East Eye delivers independent and unrivalled coverage and analysis of the Middle East, North Africa and beyond. To learn more about republishing this content and the associated fees, please fill out this form. More about MEE can be found here.