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Destruction : la rentrée scolaire dans les territoires palestiniens occupés

Pour certains enfants palestiniens, retourner à l'école signifie retourner à la violence de l’occupation
Des écoliers palestiniens sont assis patiemment pendant que des activistes installent une tente qui leur servira de classe (MEE/Chloé Benoist)

Les dizaines d'enfants de Jubbet al-Dhib et des villages avoisinants dans la région de Bethléem, dans le sud de la Cisjordanie occupée, s'attendaient à débuter la nouvelle année scolaire dans une toute nouvelle école primaire dont la construction avait été financée par l'Union européenne (UE).

Mais c’était compter sans les forces israéliennes qui, la veille au soir, avaient détruit les six salles de classe préfabriquées et confisqué tout le matériel de construction, ne laissant que des tas de chaises renversées sur le béton nu.

Des chaises d’écoliers jetées par les forces israéliennes lors de la démolition (MEE/Chloé Benoist)

Les habitants de Jubbet al-Dhib sont encore sous le choc. « Ce ne sont pas des personnes du tout ceux qui démolissent des écoles, ils ne sont pas du tout humains », a déclaré aux journalistes Manal Zawahra, une résidente de Jubbet al-Dhib.

« Nous ne faisons rien à leurs enfants, alors pourquoi font-ils cela aux nôtres ? Nous voulons vivre en paix, mais ils ne nous le permettent pas », a ajouté la mère de six enfants.

Des écoliers dans une classe surpeuplée de l'école primaire Hatin, dans le village de Beit Ta'mir (MEE/Chloé Benoist)

L’école palestinienne de Jubbet al-Dhib est la troisième à avoir été démolie ou à avoir vu ses infrastructures confisquées par les forces israéliennes depuis le début du mois d’août, après la destruction de l’unique maternelle de la communauté bédouine de Jabal al-Baba et le démantèlement des panneaux solaires – la seule source d’électricité – d’une école d’Abu Nuwar.

Les missions diplomatiques de l'UE à Jérusalem et Ramallah ont exprimé leur « grande préoccupation » dans une déclaration successive à la confiscation des structures des écoles palestiniennes dans les communautés bédouines.

Des enfants palestiniens sont assis dans une tente installée pour remplacer les salles de classe en préfabriqué de Jubbet al-Dhib (MEE/Chloé Benoist)

« Tout enfant a droit à un accès sécurisé à l'éducation et les États ont l'obligation de protéger, de respecter et de satisfaire ce droit, en veillant à ce que les écoles soient des espaces sécuritaires inviolables pour les enfants », a rappelé le communiqué, demandant à Israël « d'arrêter les démolitions et les confiscations de maisons et propriétés palestiniennes conformément à ses obligations en tant que puissance occupante en vertu du droit international humanitaire ».

Acte de défi

Malgré la démolition, les enfants se sont présentés dans la cour de l'école tôt le jour de la rentrée et ont aidé à ranger les chaises pendant que des activistes installaient une tente sur les ruines des salles de classe préfabriquées.

De jeunes garçons sont assis sur les fondations de ciment où les salles de classe préfabriquées de l'école de Jubbet al-Dhib se trouvaient quelques heures auparavant (MEE/Chloé Benoist)

Une soixantaine d’enfants se sont regroupés dans la tente exiguë et ont entonné l'hymne national palestinien avant que les enseignants ne débutent la classe sur le site – une sorte de protestation symbolique contre les politiques discriminatoires israéliennes à l’encontre des Palestiniens.

Des enfants et des militants s’entassent dans la tente alors que commence la classe (MEE/Chloé Benoist)

« Cet endroit ne représente aucun danger pour qui que ce soit. Ce n'est pas dangereux pour les chars ou les avions [israéliens] », a déclaré à MEE Sami Mroueh, directeur des affaires éducatives auprès de l'Autorité palestinienne dans le district de Bethléem. « L'attaque agressive contre ce lieu est une attaque contre les droits de l'homme en général et les droits des enfants en particulier. »

« Nous resterons ici et nous continuerons à enseigner ici », a insisté Sami Mroueh.

Manal Zawahra, une maman de Jubbet al-Dhib, regarde à l'intérieur de la tente, sur laquelle est écrit : « L'école de Jubbet al-Dhib, une épine dans la gorge de l'occupation. Nous lisons, nous apprenons, nous libérons... pour le retour » (Chloé Benoist)

Les travailleurs humanitaires impliqués dans l'école étaient toutefois moins optimistes, indiquant que la menace imminente d'une nouvelle action israélienne, associée aux difficultés d'enseigner dans une tente surpeuplée et par mauvais temps, rendait cette option improbable dans un avenir proche.

Violence psychologique

L'organisation israélienne de défense des droits de l'homme B'Tselem a déclaré dans un communiqué que 80 enfants avaient été touchés par la démolition de l'école par Israël. Selon l’ONG, cette action « incarne la cruauté administrative et le harcèlement systématique des autorités [israéliennes] afin d’éloigner les Palestiniens de leurs terres ».

Restes de bombes sonores et cartouches de balles en acier recouvertes de caoutchouc tirées par les forces israéliennes lors de la démolition (MEE/Chloé Benoist)

Le coordinateur d'une ONG française impliquée dans la construction de l'école a déclaré à Middle East Eye sous le couvert de l’anonymat que la démolition représentait une « violence psychologique » contre les jeunes élèves.

« Pour des enfants de cet âge, une chose de ce genre vous fait comprendre du jour au lendemain quelle est votre place dans le monde », a-t-il observé.

« Ce ne sont pas des personnes du tout ceux qui démolissent des écoles, ils ne sont pas du tout humains »

- Manal Zawahra, une maman de Jubbet al-Dhib

La Coordination des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT), l'agence militaire israélienne chargée de la mise en œuvre des politiques israéliennes dans les territoires palestiniens occupés, a justifié la démolition, invoquant l'absence de permis de construire délivrés par Israël.

« Le bâtiment de Jib al-Dib [sic] a été construit illégalement le week-end dernier, en violation flagrante des ordres d’arrêt des travaux et sans avoir reçu les permis requis », a déclaré à Middle East Eye un porte-parole de la COGAT.

Alors que les habitants ont indiqué à MEE que les toilettes, l’unique structure encore sur pied après la démolition, avaient été la seule section de l'école à avoir reçu l’ordre d'arrêt des travaux, la COGAT a affirmé que les salles de classe « caravanes » étaient également concernées.

L’'école de Jubbet al-Dhib, située sur une colline dans la région de Bethléem, dans le sud de la Cisjordanie occupée, le 23 août 2017 (MEE/Chloé Benoist)

En juillet, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) a déclaré que les restrictions israéliennes dans la zone C – les deux tiers de la Cisjordanie sous le contrôle total de l’armée israélienne – avaient rendu « pratiquement impossible » l’obtention de permis de construire par les Palestiniens, contrairement aux colons israéliens, qui en obtiennent de nombreux.

Selon l’OCHA, en raison de ces politiques, plus d'un tiers des communautés palestiniennes de la zone C manquent d'écoles primaires, ce qui oblige les enfants à parcourir de longues distances pour recevoir une éducation.

En juin, les autorités israéliennes ont également confisqué la soixantaine de panneaux solaires – un don du gouvernement néerlandais – qui fournissait à Jubbet al-Dhib une électricité plus que nécessaire.

« Pour des enfants de cet âge, une chose de ce genre vous fait comprendre du jour au lendemain quelle est votre place dans le monde »

- Coordinateur d’une ONG française

B'Tselem a signalé un nombre « record » de démolitions de maisons palestiniennes en Cisjordanie en 2016.

Les autorités israéliennes ont, en revanche, fait progresser des plans de construction de milliers d'unités de logement dans des colonies de Cisjordanie et Jérusalem-Est annexée depuis le début de 2017, en violation directe du droit international.

Accès à l'éducation

Pour assister aux cours, les enfants de Jubbet al-Dhib doivent marcher au moins cinq kilomètres à travers les collines poussiéreuses situées au sud-est de la ville de Bethléem, à travers des pentes abruptes et escarpées, et au risque de rencontrer des chiens sauvages, des soldats israéliens ou des résidents de la colonie israélienne illégale de Nokdim – où vit le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman –, érigée à proximité.

La difficulté de se déplacer, combinée aux salles de classe surpeuplées et à la stigmatisation sociale dont sont victimes les enfants pauvres de Jubbet al-Dhib dans les écoles de la région, ont depuis des années une incidence négative sur l'accès des enfants à l'éducation.

L’établissement scolaire le plus proche de Jubbet al-Dhib, l'école élémentaire Hatin, située dans le village de Beit Ta'mir, se compose d'une maison partiellement louée par l'Autorité palestinienne et sommairement rénovée pour accueillir des dizaines d’élèves dans d’anciens garages et un sous-sol dépourvu de fenêtres.

Une salle de classe étriquée de l'école primaire Hatin dans le village de Beit Ta'mir, qui accueille habituellement vingt étudiants (MEE/Chloé Benoist)

Alors que les résidents de Jubbet al-Dhib demandent depuis longtemps la création d'une école, ce n'est qu’au cours de l'été 2016 que des organisations internationales ont commencé à œuvrer à l’établissement d’une structure scolaire sur les terres du village, dont la construction ne s’est terminée que récemment, avec un financement de l'UE.

« Quels principes éthiques, humains ou même juridiques pourraient justifier le ciblage acharné d’une communauté en lui refusant l'accès à l'électricité, à l'eau courante et, maintenant, à une école ? »

- Coordinateur d’une ONG française

« Est-ce qu'ils sous-estiment les distances que mes enfants doivent parcourir à pied tous les jours ? Ce sont plusieurs kilomètres à faire sous le soleil ou sous la pluie, il n'y a pas de transports publics », a déploré Manal Zawahra.

« Quels principes éthiques, humains ou même juridiques pourraient justifier le ciblage acharné d’une communauté en lui refusant l'accès à l'électricité, à l'eau courante et, maintenant, à une école ? », a questionné le coordinateur de l’ONG française. « Quelles sont les justifications possibles, si ce n’est rationaliser l'expansion d'une colonie voisine, qui elle-même est tout à fait illégale ? »
 

Traduit de l’anglais (original).

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