EN IMAGES – Au Kurdistan irakien, on fait le deuil de l’indépendance
ERBIL, Irak – C’est une statue de combattant peshmerga à qui on a enlevé le drapeau kurde pour le remplacer par le drapeau irakien. C’est une jeune fille qui aimerait que le nouveau gouvernement à Bagdad donne des emplois. Ce sont des habitants qui préfèrent reconstruire une église plutôt que de se mêler de politique.
Un an après le référendum d’indépendance dans la région kurde autonome d’Irak, le journaliste et photographe Tobias Schreiner s’est rendu au nord de l’Irak pour capturer les scènes d’une vie quotidienne bouleversée. Car il y a un an, la région kurde autonome d’Irak avait massivement voté (93 % des voix) pour l’indépendance lors d’un référendum dénoncé par Bagdad et par la communauté internationale, et qui a déclenché, depuis, une série de représailles économiques. Les Kurdes, ont aussi perdu près de la moitié de leurs territoires depuis – y compris des territoires contestés au nord de l’Irak, notamment Kirkouk, ville multiethnique riche en pétrole – après leur reprise par l’armée irakienne.
Mais ils reconstruisent ce qui a été dévasté par l’EI, tentent de maintenir le peu de stabilité qui règne et gardent les yeux tournés vers le nouveau gouvernement de Adel Abdel Mahdi, Premier ministre de l’Irak, nommé le 25 octobre. Plus de cinq mois après des législatives qui ont fait émerger un parlement extrêmement fragmenté, il aura, entre autres, la lourde tâche d’apaiser les relations avec la région kurde autonome d’Irak.
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Le rêve d’un Kurdistan indépendant, toujours vivant. À Erbil, à l’occasion du premier anniversaire du référendum sur l’indépendance, le parti au pouvoir, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), organise un rassemblement dans le stade Franso Hariri. Y sont réunis des milliers de sympathisants à quelques jours des élections, le 30 septembre. Pour de nombreuses personnes présentes, le rêve d’un Kurdistan indépendant est toujours vivant, même si beaucoup admettent que le référendum a réduit leurs chances d’atteindre cet objectif. Un manifestant qui souhaite rester anonyme reconnaît : « Bien sûr, il y a de la corruption au gouvernement. Mais je voterai toujours pour le PDK parce que je pense qu’ils sont les meilleurs pour se battre pour un Kurdistan fort ».
De garde devant le monastère Deir Maryam al-Adhra. Les forces de sécurité kurdes votent un jour avant les élections législatives. Depuis onze ans, Pirot Ali est combattant des peshmergas de l’Union patriotique du Kurdistan (PUK) à Souleimaniye. Quand on lui demande s’il se rendra aux urnes malgré les allégations de fraudes généralisées, il répond : « Bien sûr, je vote, c’est pour le Kurdistan ». Il garde actuellement le monastère catholique chrétien Deir Maryam al-Adhra à Souleimaniye. Depuis un certain nombre d’attaques contre les chrétiens par le groupe État islamique (EI), toutes les églises de la région kurde autonome d’Irak sont protégées par les forces des peshmergas.
« Si je ne vote pas, je ne peux rien changer ». Après la police et les forces armées, les civils kurdes se rendent enfin aux urnes pour élire un nouveau Parlement pour la première fois depuis 2013. Plus de 3,8 millions d’électeurs ont été appelés à élire les 111 membres – sur 750 candidats – du Parlement régional. Shayee Khalat de Souleimaniye, 18 ans, a voté pour la première fois aux élections kurdes après avoir voté pour les élections irakiennes. Même si elle se dit déçue par les derniers développements politiques, elle ne reculera pas : « Si je ne vote pas, je ne peux rien changer. Je pense que mon vote pourrait être décisif. » Comme des milliers de jeunes Kurdes, elle estime qu’il n’y a aucune perspective d’avenir. « J’espère que le nouveau gouvernement offrira aux jeunes de meilleures opportunités d’emploi », confie-t-elle dans un bureau de vote à Souleimaniye.
Un deuxième emploi pour faire vivre une famille. Le grand vainqueur des élections législatives kurdes a été le parti au pouvoir, le PDK du Premier ministre Netchirvan Barzani, qui a fait passer le nombre de ses sièges au Parlement de 38 (en 2013) à 45. Par ailleurs, le deuxième parti, l’Union patriotique du Kurdistan (PUK), fondé par l’ancien président irakien, Jalal Talabani, pourrait rétablir son avance sur le parti d’opposition Goran (Mouvement du changement) avec 21 sièges. Dans le même temps, tous les principaux partis d’opposition tels que Goran, les partis islamistes – le Groupe islamique du Kurdistan (KIG) et l’Union islamique du Kurdistan (KIU) – ainsi que le Mouvement de la nouvelle génération de l’homme d’affaires Shaswar Abdulwahid, ont rejeté les résultats de l’élection à la suite de graves allégations de fraudes. Pour les citadins, la vie continue. Le boom économique de la région a été stoppé en 2014 par l’invasion de l’EI dans le nord de l’Irak, et par une crise économique qui a dévasté la région. La plupart des investisseurs étrangers ont quitté le pays, le taux de chômage est passé de 5 % en 2013 à 24 % chez les hommes et à 69 % chez les femmes, selon l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI). Parmi ceux qui travaillent, beaucoup ne gagnent pas suffisamment pour subvenir aux besoins de leur famille et prennent un deuxième emploi comme vendeur de rue ou bien chauffeur de taxi.
À Mossoul, la vieille ville est toujours en ruines. Plus d’un an après la libération de Mossoul, occupée par l’EI, par les forces de sécurité irakiennes et leurs alliés, la deuxième ville d’Irak est toujours en ruines. Alors qu’à l’est de la ville, la vie est revenue à la normale, les magasins ont rouvert et la reconstruction bat son plein, la vieille ville, où l’émir de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi, a déclaré un nouveau califat depuis la chaire de la grande mosquée al-Nouri, vieille de 1 000 ans, est toujours dévastée. Plus de 90 % de la vieille ville de Mossoul-Ouest a été détruite. Même si une grande partie de l’aide étrangère destinée à la reconstruction dans la région va à Mossoul, les services de base tels que l’eau, l’électricité et les égouts font toujours défaut dans la vieille ville de Mossoul. Un tiers seulement des 88 milliards de dollars estimés nécessaires à la reconstruction de la ville a été versé. De nombreux habitants qui retournent lentement dans la ville se sentent abandonnés par les puissances occidentales qui les ont libérés mais ont laissé leurs maisons détruites.
Bachiqa revit. Bachiqa est tombée entre les mains de l’EI en août 2014 et les habitants, majoritairement yézidis et chrétiens, ont dû fuir pour ne pas être tués. Située à moins de vingt kilomètres de Mossoul, la ville a été libérée de Daech en novembre 2016. Il a fallu attendre quelques mois pour que les habitants déplacés, dont la plupart avaient été hébergés dans des camps de réfugiés dans la région reviennent. « Nous avions trop peur des engins piégés et des mines dans nos maisons, mais la plupart des gens sont revenus avant le début de la nouvelle année scolaire », témoigne Selwan Xdr, un yazidi de 39 ans qui était propriétaire d’une confiserie à Bachiqa. Lui-même est revenu le 15 août 2017 pour retrouver la plupart des églises et des temples yézidis de la ville, détruits par l’EI. Son magasin a été pillé et environ 40 % de sa maison a été détruite au mortier. Aujourd’hui, Bachiqa est un excellent exemple de ce que la volonté et les efforts unis d’une population locale peuvent réaliser. « Nous avons reconstruit tous les temples yézidis et les églises, et environ 80 à 90 % des habitants sont revenus », souligne Selwan Xdr.
« Nous nous sentons abandonnés et seuls ». Tous les yézidis n’ont pas eu cette chance. La plupart des personnes déplacées de Sinjar ne peuvent toujours pas rentrer chez elles, où l’EI a massacré la population locale. Quatre ans après, les infrastructures de base de nombreuses villes de la région manquent toujours et la reconstruction prend du retard. Ahlam Dakhil, 26 ans, a été kidnappée par des hommes de l’EI en 2014 avec ses trois fils. Pendant plus de trois ans, ils ont été retenus esclaves par un combattant tunisien à Raqqa, avant sa libération. Elle vit maintenant avec son mari, ses trois enfants et la famille de son mari dans une tente à côté du camp de réfugiés de Khanke, à une demi-heure de la ville de Dohuk. « Nous nous sentons abandonnés et seuls. Nous n’avons aucun soutien », confie-t-elle en regardant le soleil se coucher sur le lointain lac de Mossoul.
À Kirkouk, précaire stabilité. Quelques jours seulement après le référendum sur l’indépendance, le 25 septembre 2017, les forces irakiennes ont repris le contrôle de la ville de Kirkouk, riche en pétrole. La ville multiethnique, habitée par les Kurdes, les sunnites et les chiites, ainsi que par les Turkmènes et les chrétiens assyriens, a depuis, subi des bouleversements majeurs. Les habitants se plaignent de la dégradation de la qualité des infrastructures de base de la ville, telles que l’électricité et l’eau, et le recul de la sécurité. L’armée irakienne, en coopération avec la milice chiite Hachd al-Chaabi (Unités de mobilisation populaire) soutenue par l’Iran, s’efforce de maintenir la stabilité dans la ville. Les attaques terroristes perpétrées par les dernières cellules dormantes de l’EI ont lieu régulièrement. De nombreux Kurdes ainsi que de nombreux sunnites fuient la ville et s’installent dans la région kurde autonome d’Irak.
Un drapeau irakien à la main. Alors que la sécurité et l’infrastructure se détériorent, dans les zones publiques de Kirkouk, l’armée irakienne et la milice chiite de Hachd al-Chaabi s’efforcent de démontrer qu’elles gardent le contrôle. Une statue d’un combattant peshmerga, haute de 21 mètres, érigée en juillet 2017 pour célébrer la victoire des Kurdes contre l’EI, tenait auparavant un drapeau kurde à la main. Il a maintenant été remplacé par un drapeau irakien. Le message est clair : Kirkouk, aussi appelée « Jérusalem des Kurdes » et revendiquée par les Kurdes comme la future capitale possible d’un Kurdistan indépendant, était, est et restera irakienne.
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