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INTERVIEW – Aguila Saleh : « Le gouvernement de Fayez el-Sarraj n’en est pas un »

Le président de la Chambre des représentants, le parlement libyen élu en juin 2014, s’est entretenu avec Middle East Eye de la crise actuelle en Libye, au sixième anniversaire de la révolution qui a renversé Kadhafi
Aguila Saleh, président de la Chambre des représentants (AFP)

Six ans après le début de la révolution du 17 février, la Libye est fractionnée par des rivalités politiques et militaires. Le Gouvernement d’union nationale (GNA), soutenu par la communauté internationale, ne parvient pas à prendre le pouvoir. Aguila Saleh, président de la Chambre des représentants (CDR), le parlement de Tobrouk considéré par les Occidentaux comme le parlement légitime, rejette cette autorité et l’accord de Skhirat qui lui a donné naissance.

Middle East Eye : L’Accord politique libyen, signé à Skhirat (Maroc), en décembre 2015, n’a toujours pas été validé par la Chambre des représentants que vous présidez, pourquoi ?


Aguila Saleh : Cet accord n’a pas lieu d’être. Ceux qui étaient sur place, à Skhirat, ne représentaient pas la Libye. Ce ne sont que des personnages sélectionnés par Bernardino León [représentant de l’ONU en Libye jusqu’en novembre 2015] puis son successeur Martin Kobler. L’objectif était d’imposer ces noms auprès de la population libyenne. D’ailleurs, la délégation du Congrès général national [CGN, parlement élu en 2012 basé à Tripoli] s’est retirée avant la fin des négociations.

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« L’accord de Skhirat n’a pas lieu d’être. Ceux qui étaient sur place ne représentaient pas la Libye »

Donc, ceux qui ont signé l’accord ne représentent pas les Libyens. Et ils n’avaient aucun droit de signer ce document avant que la Chambre des représentants ne le fasse. C’est tout de même étrange que Fayez el-Sarraj [Premier ministre du Gouvernement d’union nationale né des accords de Skhirat] n’ai été élu ni par la Chambre des représentants, ni par le Congrès général national, ni par aucun organe institutionnel.

Enfin, selon l’Accord politique libyen lui-même, le texte devrait être inclus au sein de la déclaration constitutionnelle. Ce n’est pas le cas, donc cet accord n’a aucune valeur. Nous préférons aujourd’hui privilégier des discussions entre Libyens.

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MEE : Où en sont ces négociations ?

AS : C’est une demande des Libyens. C’est au peuple de choisir qui dirige le pays. Nous avons une structure sociale très complexe, basée sur les différentes tribus libyennes. Ce sont les chefs de ces tribus qui dirigent la base de notre pays. Et ceux sont eux qui peuvent changer la situation en Libye.

MEE : Est-ce une façon de désapprouver les actions de l’ONU et de son représentant ?
AS : Martin Kobler a fait une erreur en ne sélectionnant pas les bonnes personnes, celles qui peuvent changer les choses. Nous n’avons pas de partis politiques ici. Le problème entre le CGN et la Chambre des représentants n’était pas si important au début. Il a créé des interférences qui ont aggravé la situation et les divisions.

« Nous espérons que Monsieur Kobler quitte bientôt son poste, car il n’a pas été capable d’obtenir des résultats »

Nous espérons que Monsieur Kobler quitte bientôt son poste, car il n’a pas été capable d’obtenir des résultats. Nous faisons partie des Nations unies et nous souhaitons de l’aide de l’ONU. Mais nous aimerions donner notre avis sur la personne qui va représenter l’ONU. Nous ne voulons pas un chef ou un juge, parce que la Libye n’est pas sous domination étrangère. Et nous ne voulons pas perdre notre indépendance.

MEE : Vous recevez cependant le soutien d’autres pays, comme la Russie, l’Égypte ou la France...

AS : Nous recevons un support logistique de la France. Je n’ai pas de contact direct avec le gouvernement français, car je n’ai pas eu la chance de visiter ce pays. J’ai, par contre, été en Russie et nous y avons trouvé une bonne compréhension du cas libyen. Ils nous ont promis tout leur soutien envers l’armée pour combattre les terroristes et un contact direct avec le parlement et le gouvernement libyens. Ils sont prêts à partager leur expérience avec l’Armée nationale libyenne [commandée par le maréchal Khalifa Haftar, allié du parlement de Tobrouk] et à s’occuper de nos soldats blessés. C’est la même chose avec l’Égypte et les Émirats arabes unis qui sont très coopératifs.

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MEE : Pourquoi la Chambre des représentants n’a pas su s’imposer sur la scène internationale ?

AS : Lorsque les élections législatives ont eu lieu [en juin 2014], les Nations unies ont reconnu la Chambre des représentants. Ce parlement représente tous les Libyens. Mais les islamistes n’ont pas eu beaucoup de sièges donc ils ont refusé les résultats et ont demandé sa dissolution. À Tripoli, Fajr Libya [Aube de Libye, coalition de brigades qui a pris le pouvoir dans la capitale en 2014] a détruit nos grandes institutions. À partir de là, l'ONU a commencé à discuter avec ce groupe au même niveau que le parlement. Lorsque nous avons nommé un nouveau gouverneur de la Banque centrale et de nouveaux ambassadeurs, selon les compétences du parlement, l’ONU a refusé de coopérer avec eux... tout en confirmant que nous étions le seul parlement légitime. L’ONU a expliqué qu’il n’était pas question de légitimité mais de contrôle du territoire. Si vous regardez aujourd’hui une carte, nous contrôlons 80 % du pays et l’ONU n’a toujours pas changé de point de vue.

MEE : Comme pour le Congrès général national de Tripoli, le mandat de la Chambre des représentants a expiré...

AS : Non, c’est faux. La déclaration constitutionnelle, qui organise la gouvernance de l’État libyen, précise la durée des mandats et les responsabilités de chaque organe. Pour la Chambre des représentants, c’était dix-huit mois. Mais le parlement libyen a le droit de changer la déclaration constitutionnelle, selon le texte lui-même. Conformément à cette règle, nous avons changé la durée du mandat du parlement. Nous ne voulions pas laisser la scène politique vide. Le mandat est donc prolongé jusqu’à l’élection d’un autre organe.

MEE : Une assemblée constituante a été élue en avril 2014 pour rédiger une nouvelle Constitution. Cela devait se faire en un an, puis conduire à de nouvelles élections législatives. Or, l’assemblée a pris beaucoup de retard... Faut-il organiser de nouvelles élections avant la mise en place de cette future Constitution ?

AS : Ratifier la nouvelle Constitution doit être la première étape, avant les élections, puisque c’est la Constitution qui détermine les compétences et les règles pour le parlement et le gouvernement. J’espère que l’assemblée constituante donnera bientôt ses conclusions. Je suis optimiste. Si jamais cela n’arrive pas rapidement, le second choix, en tant que parlement, c’est de changer la déclaration constitutionnelle pour, peut-être, élire de façon indirecte un président en attendant que la Constitution soit prête.

« Je souhaite un pays unique qui n’aurait pas un gouvernement centralisé comme avant. Il ne faut pas diviser la Libye »
 

MEE : Quelle forme d’État souhaitez-vous pour la Libye ?

AS : Je souhaite un pays unique qui n’aurait pas un gouvernement centralisé comme avant. Il ne faut pas diviser la Libye. Nous trouverons une solution dès que le terrorisme sera vaincu, car nous formons une seule communauté avec des liens très forts entre nous.

MEE : Incluez-vous les partisans de Mouammar Kadhafi, dont beaucoup sont aujourd’hui exilés ?

AS : La Chambre des représentants a ordonné la libération de tous les gens qui ont travaillé avec Mouammar Kadhafi. Et nous avons annulé la décision du Congrès d’empêcher les partisans de Mouammar Kadhafi d’avoir des fonctions importantes au sein de l’État [loi d’isolation votée en 2013]. Les Libyens sont tous égaux, en termes de droits et de devoirs. Les Libyens peuvent élire toute personne, même quelqu’un qui a été très proche de Mouammar Kadhafi.

MEE : Fayez el-Sarraj a signé, début février, un accord avec l’Union européenne au sujet des migrants, accepterez-vous ce texte ?

AS : Nous n’accepterons aucun projet et accord qui n’a pas été discuté avec nous. Le gouvernement de Fayez el-Sarraj n’en est pas un. Il n’a pas reçu la validation du parlement. Nous l’avons rejeté deux fois. C’est la règle partout dans le monde : un gouvernement n’est pas considéré comme tel tant que son parlement ne l’a pas validé. Je tiens à ajouter que l’islam nous interdit de maltraiter une personne. Nous refusons toute attaque à la liberté humaine. Les mauvais traitements des migrants en Libye, qui ont été évoqués à plusieurs reprises, n’ont lieu que dans les zones qui sont hors de notre contrôle.

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