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Le « plus grand crime » de l’Iran : Amnesty demande une enquête de l’ONU sur les exécutions de 1988

Un nouveau rapport du groupe de défense des droits de l’homme accuse la République islamique de « crimes contre l’humanité » pour avoir dissimulé les faits sur ces massacres de dissidents, qui auraient fait plus de 5 000 victimes
Rassemblement marquant le 25e anniversaire du massacre de prisonniers politiques iraniens en 1988, en 2013 à Paris (AFP)

Amnesty International a demandé à l’ONU d’ouvrir une enquête indépendante sur les exécutions massives de prisonniers politiques en Iran en 1988, alors qu’un nouveau rapport du groupe de défense des droits de l’homme accuse la République islamique de « crimes contre l’humanité » pour avoir dissimulé les faits sur ces tueries.

Dans le rapport publié ce mardi, Amnesty prévient que le gouvernement iranien continue de refuser toute information aux proches des plus de 5 000 personnes qui auraient été exécutées au cours de plusieurs semaines d’exécutions de masse à la toute fin de la guerre entre l’Iran et l’Irak.

Ceux qui se sont renseignés sur les exécutions – lesquelles étaient en grande partie extrajudiciaires et perpétrées en secret – ont été victimes « de harcèlement, d’intimidation, d’arrestation et de détention arbitraires, ainsi que de tortures et d’autres mauvais traitements », selon Amnesty.

Plusieurs personnes impliquées dans les tueries continuent d’occuper des postes élevés en Iran, notamment Alireza Avaei, actuel ministre de la Justice, et Hossein Ali Nayyeri, actuellement à la tête de la Cour suprême de discipline des juges.

Entre-temps, les fosses communes des personnes exécutées ont été profanées et détruites, tandis que le gouvernement a continué de minimiser l’ampleur des tueries.

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« Ces sanglants secrets du passé de l’Iran continuent de hanter le pays à ce jour », a déclaré Philip Luther, directeur des recherches et du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord chez Amnesty International.

« Ce rapport dévoile le réseau de dénégations et de distorsions que les autorités iraniennes perpétuent depuis plus de 30 ans, tant sur le plan national qu’international, afin de cacher le fait qu’elles ont fait disparaître de force et ont systématiquement tué des milliers de dissidents politiques en l’espace de quelques semaines entre la fin juillet et le début du mois de septembre 1988. »

« En l’absence de perspectives de justice pour les victimes en Iran, il est encore plus crucial que l’ONU établisse un mécanisme international, indépendant, impartial et efficace pour aider à traduire en justice les auteurs de ces crimes odieux »

Philip Luther, Amnesty International

« Le fait que les autorités iraniennes refusent à ce jour de reconnaître ces massacres, d’indiquer aux proches quand, comment et pourquoi leurs êtres chers ont été tués, d’identifier et de rendre leurs corps, signifie que les disparitions forcées se poursuivent aujourd’hui. Cela a infligé des souffrances atroces aux familles des victimes. Tant que les autorités iraniennes ne se seront pas montrées claires et n’auront pas révélé le sort des victimes et où elles se trouvent, ces crimes contre l’humanité se poursuivront. »

La grande majorité des personnes exécutées étaient des partisans de l’Organisation des moudjahidine du peuple iranien (Moudjahidine e-Khalq, MeK), groupe de gauche islamiste qui a pour objectif le renversement de la République islamique. D’autres appartenaient à des organisations de gauche et kurdes, notamment le parti communiste Tudeh et le parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PKDI).

Le MeK a longtemps affirmé que le bilan des tueries de 1988 était bien plus élevé, avec 30 000 exécutions. Le groupe s’est rangé du côté du président irakien Saddam Hussein pendant la guerre Iran-Irak et a lancé une incursion militaire infructueuse en Iran depuis le territoire irakien peu de temps avant que les exécutions ne soient ordonnées.

Le soutien du MeK à l’Irak pendant la guerre a rendu le groupe profondément impopulaire en Iran. Il est en outre accusé d’être un « culte » en raison de ses pratiques secrètes et autocratiques. Ses membres opèrent actuellement à partir d’une base en Albanie, suite à leur expulsion d’Irak.

Inaction de l’ONU

Divulgué aux médias en 2016, un enregistrement audio d’une réunion tenue en août 1988 avec des représentants clés de la « commission de la mort » de Téhéran discutant des meurtres a déclenché un nouveau débat sur la question.

Dans l’enregistrement, Hossein Ali Montazeri – un ancien loyaliste devenu critique du gouvernement – peut être entendu en train de condamner les exécutions de 1988 comme « le plus grand crime de l’histoire de la République islamique » et d’accuser les personnes rassemblées, y compris des procureurs, un juge et un agent du renseignement, d’avoir induit en erreur le guide suprême Rouhollah Khomeini au sujet des exécutions.

Cet enregistrement audio a été supprimé peu de temps après sa publication, mais il a suscité de nouveaux appels en faveur d’une enquête indépendante sur les événements de l’époque.

Amnesty a critiqué ce mardi le manque de condamnation de la Commission des droits de l’homme de l’ONU à l’époque et l’incapacité de l’Assemblée générale des Nations unies à en référer au Conseil de sécurité.

« Cela montre pourquoi et comment la République islamique est au pouvoir – en tuant des milliers de dissidents »

Shadi Sadr, Justice For Iran

« L’échec abject de l’ONU et de la communauté internationale à rechercher la vérité et la justice pour les atrocités commises par les autorités iraniennes a eu des conséquences catastrophiques non seulement pour les victimes et leurs familles, mais également pour l’état de droit et le respect des droits de l’homme dans le pays. Les autorités iraniennes ne doivent plus être autorisées à se soustraire à la responsabilité de leurs crimes contre l’humanité », a déclaré Philip Luther.

« En l’absence de perspectives de justice pour les victimes en Iran, il est encore plus crucial que l’ONU établisse un mécanisme international, indépendant, impartial et efficace pour aider à traduire en justice les auteurs de ces crimes odieux. »

De nombreuses victimes des exécutions ont été enterrées dans des fosses communes dont les sites ont été systématiquement détruits par le gouvernement iranien depuis la publication de l’enregistrement de 2016 afin de les empêcher de devenir des sanctuaires ou des sites commémoratifs pour les familles, selon Justice For Iran (JFI), une organisation de défense des droits de l’homme qui a collaboré avec Amnesty sur ce rapport.

Une femme observe des panneaux informatifs lors d’un rassemblement marquant le 25e anniversaire du massacre de prisonniers politiques iraniens en 1988, le 17 août 2013 à Paris (AFP)

Raha Bahreini, chercheuse d’Amnesty sur l’Iran, a déclaré que le gouvernement continuait de nier l’existence des fosses communes, bien que quelques familles aient été dirigées vers des sépultures individuelles.

Cependant, « beaucoup de familles restent préoccupées par le fait qu’elles ont été trompées et que ces tombes individuelles restent vides », a-t-elle ajouté lors de la sortie du rapport à Londres.

« À notre connaissance, les autorités n’ont jamais restitué les corps des victimes à leurs familles », a-t-elle précisé.

Persécution des proches

Amnesty International a collaboré avec un certain nombre d’ONG, de familles de victimes et d’organisations de l’opposition pour collecter les données nécessaires à la rédaction de ce rapport. Les listes de victimes fournies par le MeK et d’autres ont également été comparées aux listes de décès publiées par le gouvernement iranien.

Shadi Sadr, une avocate spécialisée dans la défense des droits de l’homme et cofondatrice de JFI, a déclaré que des personnes en Iran avaient fourni des informations à son organisation et à Amnesty, au prix de grands risques personnels.

« Ceux qui ont travaillé avec nous de l’intérieur du pays ont pris beaucoup de risques pour envoyer des vidéos, des preuves audio ou des photos », a-t-elle déclaré à Middle East Eye.

« Nous avons constaté des cas de persécution des familles qui ont travaillé avec nous et d’autres organisations telles qu’Amnesty pour la collecte des données. »

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Shadi Sadr, qui a elle-même été emprisonnée en Iran après avoir participé aux manifestations du Mouvement vert de 2009, a déclaré qu’après l’élection du président soi-disant réformiste Hassan Rohani en 2013, elle et d’autres militants étaient optimistes quant au fait qu’il pourrait y avoir une nouvelle atmosphère d’ouverture concernant ces meurtres.

Cependant, ces espoirs ont commencé à s’estomper après la nomination de Mostafa Pour-Mohammadi au poste de ministre de la Justice par Rohani en 2013, alors qu’il est considéré comme l’un des « personnages clé » ayant supervisé la tuerie de 1988.

Elle a déclaré que la République islamique était toujours très sensible au massacre de 1988 car celui-ci exposait les racines sanglantes du système, lorsque les forces de Khomeini ont réprimé les organisations politiques qui avaient été ses alliées durant la révolution de 1979 qui a renversé le shah.

« Cela montre pourquoi et comment la République islamique est au pouvoir – en tuant des milliers de dissidents. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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