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« Lutte à mort » : les nouvelles offensives de l’EI retardent la libération de Syrte

Les combattants de l'État islamique lancent une nouvelle série d’attentats suicides tandis que les forces gouvernementales alliées bataillent pour libérer la ville libyenne de Syrte
Drapeaux de l’EI, peints sur les murs du centre Ougadougou à Syrte (MEE/Tom Westcott)

Syrte, LIBYE - Les forces de l’État islamique (EI) livrent bataille devant Syrte, retardant l’assaut final qui doit la libérer, tandis que les forces libyennes sécurisent la zone désertique autour de la ville.

« Daech a repris ses actions autour de la ville et a commencé à nous cibler sur la route entre Syrte et Misrata », raconte à MEE le combattant Hatham.

« Sur la route menant à Syrte, ils installent des EEI [engins explosifs improvisés] ; deux de nos hommes ont déjà été tués, et un autre de nos véhicules a été frappé par un lance-roquettes ».

Les attaques se sont déroulées sur le tronçon de 150 kilomètres qui traverse le désert entre Syrte et le village de Abu Grain, libéré il y a quatre mois.

Les forces libyennes opèrent sous l’autorité du Gouvernement d’entente nationale (GNA) soutenu par l'ONU ; elles imposent désormais un couvre-feu, interdisent aux véhicules civils l’accès à la route entre 8 et 20 heures et installent des points de contrôle de plus en plus nombreux, dans l’espoir de sécuriser cet axe routier.

Les combattants de l’EI intensifient également leurs opérations suicides autour de Syrte. Jeudi, un attentat suicide contre un point de contrôle près de Misrata a été déjoué par les troupes libyennes mais, une quinzaine de jours plus tôt, le groupe a réussi un attentat suicide sur une position logistique utilisée par les forces libyennes à la périphérie de Syrte, dans une région qui était restée libérée plusieurs mois.

« Je roulais vers la ligne de front quand j’ai croisé une BMW civile qui ne présentait rien de particulier, avec au volant un type vêtu de vêtements ordinaires en Lybie ; mais je me suis dit que c’était louche parce qu’il conduisait très vite et faisait clignoter ses phares », a déclaré Mohammed, un soldat.

« Nous avons entendu l’explosion à peine quelques minutes plus tard, quand il est arrivé au niveau de notre station de carburant et du dépôt alimentaire ; nous avons alors compris qu’il s’agissait d’un kamikaze ».

Mohammed assure que les véhicules venaient de la région d’Abu Hadi, village en banlieue sud de Syrte, où est né le dirigeant libyen éliminé, Mouammar Kadhafi.

Une grande partie du centre-ville de Syrte est en ruines suite aux longs épisodes de combats féroces (MEE/Tom Westcott)

L’explosion simultanée, jeudi, de deux voitures piégées dans la capitale, Tripoli, contre la base navale qui abrite le GNA et le ministère des Affaires étrangères, n’a toujours pas été revendiquée.

Cette série d’attaques indique que l’EI, déjà présent dans la région du centre de la côte libyenne, s’était positionné dans des lieux tenus secrets autour de Syrte avant même le début de l’assaut donné par les forces libyennes pour reprendre la ville.

Le porte-parole de l’opération de Syrte, le brigadier-général Mohammed al-Ghassri, a confirmé que l’assaut final pour libérer la ville était retardé, le temps de procéder à l’élimination de tous les militants de l’EI des zones environnantes.

La persistance de la présence islamiste, a-t-il ajouté, explique aussi pourquoi les États-Unis ont autorisé 30 jours supplémentaires de frappes aériennes contre des cibles de l’EI en Libye.

« Bien que Daech n’occupe que 2,5 kilomètres carrés au centre de Syrte, nous avons besoin de prolonger le soutien de l’Amérique, car certains éléments se sont répandus aux périphéries », a-t-il précisé.

« Si nous libérions le centre dès maintenant, ces combattants de Daech, toujours cachés aux environs, seraient réactivés et nous pourrions nous attendre à subir les dégâts d’un encore plus grand nombre de véhicules suicides et d’EEI. Nous devons avant tout sécuriser toute la région. »

Ghassri a indiqué que l’assaut final serait lancé en coordination avec les équipes britanniques et américaines qui, depuis début mai, apportent leur soutien aux combattants, principalement en termes de renseignements et logistique.

Les populations locales affirmaient depuis des mois que les chefs les plus importants de l’EI n’étaient plus à l’intérieur de Syrte, mais s’étaient installés dans d’autres villes et villages libyens dès le début de la guerre, pour former de nouvelles cellules dormantes de militants qui représenteraient toujours une menace, longtemps après la libération de Syrte.

Des unités armées patrouillent au sud du désert de Syrte où l’on soupçonne que se cachent des militants de l’EI.

Le Commandant Mohammed Issa, responsable de l’une des principales lignes de front à Syrte, a malgré tout tenu à confirmer l’imminence de la chute de Syrte.

« L’offensive finale est en cours de planification, et pourrait débuter dans les prochaines 72 heures », a-t-il assuré à MEE la semaine dernière. « Nous sommes bien conscients de lutter contre un ennemi suicidaire : cette prochaine offensive sera vraiment très dure et de grande envergure – ce sera l’une de nos plus grandes batailles et elle sera sans merci ».

Or, presque une semaine plus tard, aucune nouvelle avancée majeure n’a été constatée.

Les forces libyennes préparent des chars pour combattre l’EI sur la ligne de front à Syrte (MEE/Tom Westcott)

« Puisqu’il est prêt au suicide, un seul militant EI équivaut souvent à trois combattants ordinaires, et ces militants se battent d’autant plus farouchement qu’ils se retrouvent acculés sur une zone aussi réduite », regrette-t-il.

« Les militants de l’EI ne se battent pas pour vivre ; ils se battent pour mourir et n’hésiteront pas à tout sacrifier pour gagner cette bataille », explique-t-il. « Nous redoutons des assauts très violents contre nos positions parce qu’ils sont déterminés à nous causer un maximum de pertes ».

Il a vertement dénoncé les gouvernements européens pour avoir refusé de soutenir l’opération contre l’EI à Syrte.

« Nous avons une dent contre l’UE parce qu'elle ne nous fournit aucune aide, alors que nous savons qu’elle soutient [le général Khalifa] Haftar, à l’est ; or, Haftar encourage en fait le terrorisme : il a laissé les membres de l’EI quitter [la ville orientale de] Derna et converger sur Syrte », a-t-il reproché aux gouvernements européens. « Nous ne sommes pas des extrémistes. Rien que des musulmans normaux, qui nous battons pour faire régner paix et liberté religieuse pour tous. »

Issa a souligné que la menace de l’EI en Libye pèse sur le monde entier, comme en témoigne ce graffiti, trouvé dans le petit port de Syrte : « Ici se trouve notre tremplin vers l’Europe ». De plus, des documents découverts dans des bureaux de l’EI prouvent qu’un certain nombre de militants européens, dont des Français et des Allemands, viennent grossir leurs rangs.

L’offensive finale prend du retard, mais les lignes de front dans la ville n’en restent pas moins actives, bien que faiblement, et les forces libyennes tentent encore d’abattre des tireurs d’élite islamistes. Plusieurs unités ont également réussi une opération de récupération des cadavres de deux soldats, morts aux abords du troisième district de Syrte – la seule zone toujours sous contrôle de l’EI. Sept militants auraient été tués et plusieurs nouveaux locaux repris, dont les tribunaux civils de Syrte, une banque et un dépôt de munitions.

Les forces libyennes sont également en état d’alerte permanente pour repérer les véhicules suicides – qui restent l’arme de prédilection, et la plus meurtrière, de l’EI.

« Une frappe aérienne américaine a détruit un véhicule suicide ce matin », se réjouit le jeune combattant Ali, en roulant dans les rues du premier district de Syrte, ravagées par les combats. « Et nous en avons détruit plusieurs nous-mêmes cette semaine. L’EI est à court de métal, et les camions suicides bourrés d’explosifs ne sont plus blindés comme avant ; il nous est donc plus facile de les intercepter, en abattant le conducteur. »

Il a prédit que la libération de Syrte exigerait encore deux offensives, sentiment partagé par d’autres combattants.

« Nous savons qu’il ne reste plus autant de militants islamistes car désormais ils abandonnent leurs morts dans les rues, alors qu'il n’y a pas si longtemps nous n’en trouvions presque pas : ils disposaient d’assez d’hommes pour récupérer les corps », a conclu Abdusalem. « Le plus grave, c’est qu’ils ont conscience de participer à une bataille désespérée et ils mettent par conséquent tout en œuvre contre nous. Ce sont toujours des ennemis dangereux et difficiles à abattre. »

                                 

Traduit de l’original (anglais).

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