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Syrie : le dilemme des États-Unis, tiraillés entre des alliés qui se détestent

La reconquête des villes du nord de la Syrie, aux mains du groupe État islamique (EI), implique des choix stratégique pour les États-Unis, pris entre les forces rebelles syriennes en Turquie et les Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes
Des membres des FDS assistent aux obsèques de huit combattants à Kobané (AFP)

Après les villes de Manbij et Jarablus, au nord de la Syrie, c’est Al-Bab que les forces alliées à la coalition dirigée par les États-Unis veulent libérer de l’emprise du groupe État islamique (EI). Selon la chaîne Al Manar, la ville aurait déjà été libérée et les forces syriennes se trouveraient maintenant à Al-Khafassa, dans la banlieue sud de Manjib.

Cet assaut a en tout cas placé les États-Unis face à une décision difficile : les forces rebelles syriennes en Turquie étaient prêtes à entrer dans Al-Bab par le nord, alors que les Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes gagnaient du terrain par l’ouest depuis Afrin.

Ces deux formations, alliées des États-Unis, se détestent. Et selon des spécialistes, le choix que feront les États-Unis en faveur de tel ou tel camp peut avoir des répercussions politiques considérables dans les mois qui viennent.

Le Kurdes, qui ont noué l’alliance FDS entre les Kurdes et les Arabes avec le soutien des États-Unis, se sont révélés être la force la plus efficace dans la lutte contre l’EI, en battant les militants à Kobané et à Manbij.

Traduction :  « Malgré l'invasion turque, les #FDS avancent vets #Bab - canton d'#Afrin, après des années d'attitude défensive, entrer dans la guerre en Syrie »

Cependant, Ankara assimile les FDS à un groupe « terroriste » en lien avec les militants du PKK qui agissent en Turquie. À ce titre, elle a menacé de mettre un terme à la coopération avec Washington pour lutter contre l’EI si les États-Unis soutenaient les FDS dans la libération d’Al-Bab.

Trouver un équilibre sans faire échouer les alliances

Selon Haid Haid, un chercheur syrien originaire d’Alep, les États-Unis ont réussi jusqu’ici à maintenir la Turquie et les FDS à distance depuis que les forces turques sont entrées en Syrie en août dernier pour prendre la ville syrienne de Jarablus.

Washington a tenté de mesurer l’efficacité des forces soutenues par la Turquie, notamment des éléments de l’Armée syrienne libre (ASL). Diverses tentatives initiées par les États-Unis, visant à former les groupes de l’ASL à cibler l’EI plutôt que les forces du président syrien Bachar al-Assad se sont révélées désastreuses et les ont poussés à soutenir les Forces démocratiques syriennes.

« Le problème, c’est qu’auparavant, lorsque des groupes alliés à la Turquie parvenaient à reconquérir des zones, ils n’étaient pas en mesure de les défendre et l’EI reprenait rapidement les territoires qu’il avait perdus aux groupes alliés à la Turquie », explique Haid Haid à Middle East Eye.

Il souligne qu’en vue de réduire les tensions et les éventuels affrontements entre les forces turques et les FDS, les États-Unis pouvaient choisir de poursuivre leur stratégie visant à opposer les deux groupes, en s’assurant que les FDS seraient « occupées à essayer de reprendre Raqqa, un objectif prioritaire des États-Unis ». 

Les États-Unis ont envoyé des forces spéciales pour les intégrer à la fois aux forces turques à Al-Raï et aux forces FDS au nord de Raqqa. Les relations avec les forces turques n’ont pas toujours été des plus cordiales.

Toutefois, selon la plupart des spécialistes, les États-Unis seraient en mesure de trouver un équilibre sans faire échouer totalement ces alliances.

Un trop grand défi pour les États-Unis

Selon Wladimir Van Wilgenburg, journaliste embedded avec les FDS à Manbij, soutenir massivement les forces syriennes dans une offensive à Al-Bab constituerait un trop grand défi pour les États-Unis.

Il rapporte à MEE : « Je ne pense pas que les États-Unis soutiennent l’avancée des FDS vers Al-Bab ».

Randa Slim, directrice de l’initiative Track II Dialogues à l’institut du Moyen-Orient, a déclaré à MEE que, selon elle, les États-Unis ne prendraient pas le risque d’abandonner leur force de combat la plus efficace.

« Je parie qu’ils continueront à mener une politique de soutien vis-à-vis des FDS et des Kurdes », a-t-elle ajouté. « Le président Obama a, plus que jamais, l’intention de porter un coup très dur, voire décisif à l’encontre de l’EI, que ce soit à Mossoul ou à Raqqa. »

« Ils n’abandonneront pas les FDS mais ils continueront parallèlement à exercer des pressions pour que ces dernières ne franchissent pas la ligne rouge que les Turcs ont établie. »

L’hostilité d’Ankara envers les FDS est à son comble. Mi-septembre, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a déclaré : « Si les FDS n’intègrent pas le parti politique kurde syrien, Parti de l’union démocratique (PYD) et l’Unité de protection du peuple (YPG) à ses opérations, nous pourrons certainement prendre part au combat aux côtés des États-Unis ». Et d’ajouter qu’il serait dommage que la Turquie et les États-Unis ne parviennent pas à collaborer pour faire front à l’EI.

Les FDS se sont opposées, avec tout autant de détermination, à ce que les forces turques prennent part aux opérations à l’encontre de l’EI, et sont même allées par le passé jusqu’à accuser le pays de soutenir l’EI dans le but de discréditer la présence des Kurdes.

« Nous ne permettrons pas au régime de [Bachar al-Assad] d’avancer, et nous empêcherons également les factions de l’Armée syrienne libre [ASL] soutenue par la Turquie de prendre part à la libération d’Al-Bab et de la campagne environnante », a déclaré Ahmed Sultan, commandant adjoint d’une faction principalement arabe des FDS, Jaish al-Thuwwar.

« Ces factions sont incapables d’avancer sans le soutien de la Turquie. Nous, nous sommes en mesure de libérer la région du terrorisme. »

Plans et cibles séparés

Selon Aaron Stein, spécialiste de la Turquie, l’objectif apparent des États-Unis est d’aider les forces soutenues par la Turquie à organiser les attaques sur les villes de Sawran et de Dabiq, situées à quelque 60 km au nord-ouest d’Al-Bab, et qui sont aussi aux mains de l’EI. 

La prise de la ville de Dabiq en particulier porterait un coup dur à l’EI, car celle-ci est un symbole majeur de leur vision apocalyptique du Moyen-Orient ainsi que le nom de leur magazine de propagande.

Aaron Stein a ajouté que la prise d’Al-Bab pouvait se révéler particulièrement controversée et pouvait aggraver les « fractures politiques et ethniques » dans le pays, si aucune stratégie adaptée n’était mise en œuvre pour conserver la ville après sa reconquête.

« Les FDS pourraient tirer parti de toute offensive majeure sur la ville et essayer de continuer à gagner du terrain vers l’ouest, un scénario qui pourrait accroître les risques de voir les Turcs frapper le groupe », écrit Stein pour l’OTAN.

Et d’ajouter : « Des forces réduites arabes/turkmènes, abandonnées après les opérations de combat, pourraient également devenir une cible pour le régime syrien, et être à l’origine d’affrontements entre la Turquie et la Syrie. Cette situation pourrait accroître les tensions avec la Russie, garant de la sécurité de Bachar al-Assad avec l’Iran. »

La prise d’Al-Bab par les forces soutenues par la Turquie sonnerait sans doute le glas d’une entité fédérale unifiée kurde dans le nord de la Syrie et mettrait sérieusement en danger toute possibilité d’autonomie à venir dans la région.

Il est possible que les forces soutenues par la Turquie sous la bannière de l’ASL soient considérées avec moins de suspicion par les Arabes syriens, qui sont nombreux à accuser les FDS d’être à la botte du gouvernement de Bachar al-Assad ou les séparatistes de chercher à créer un État kurde.

Cependant, le contrôle de Al-Bab par la Turquie pourrait être également être vu comme une provocation – car la ville n’est qu’à 10 km au nord du front pro-Assad. Alors qu’il semble qu’Ankara et Damas aient collaboré lors de la dernière incursion de la Turquie en Syrie, en raison d’une hostilité commune à l’encontre des FDS et de leurs objectifs à long terme, le positionnement des groupes rebelles syriens si près des forces de Bachar al-Assad pourrait engendrer des affrontements et risquerait ainsi d’opposer directement les forces turques et les forces du gouvernement syrien.

Mais Al-Bab n’est peut-être même pas un objectif prioritaire pour l’administration Obama. La route vers Mossoul, bastion de l’EI en Irak, est une question beaucoup plus préoccupante, selon Randa Slim.

« Je ne crois pas qu’ils envisagent de changer de politique en Syrie – il y a peu de chance que Barack Obama bouleverse ce qui est en place, que ce soit les FDS, ou que ce soit quelque entente conclue avec les Turcs ».

« Je pense qu’il va laisser la question de côté – et qu’il va mettre la priorité sur Mossoul. »

Traduction de l’anglais (original) par Julie Ghibaudo. Actualisé par MEE.

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