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Le véritable scandale américain en Syrie : le soutien à la guerre sectaire

Les hauts responsables de l’administration Obama savaient depuis 2012 qu’une guerre visant à renverser Assad allait inévitablement devenir un bain de sang sectaire

La principale critique contre la politique américaine en Syrie a longtemps été que le président Barack Obama aurait dû recourir aux forces militaires américaines ou à une aide armée plus agressive pour renforcer l’opposition armée à Assad. La réponse facile est que toute l’idée selon laquelle il existait une force non extrémiste viable pouvant être renforcée était un mythe, que certaines personnalités politiques à Londres et à Washington refusent toutefois d’abandonner.

Mais ce qui aurait dû être débattu est la question de savoir pourquoi l’administration Obama a consenti à ce que ses alliés financent et approvisionnent un ensemble de groupes armés sectaires peu recommandables pour renverser le régime d’Assad.

Ce consentement américain est en grande partie responsable d’une terrible effusion de sang qui a coûté la vie à ce jour à 400 000 Syriens. Pire encore, il n’y a toujours aucun moyen de mettre fin à la guerre sans que la grave menace de représailles sectaires contre les perdants soit mise à exécution.

L’administration Obama porte la responsabilité de cette atrocité, car elle aurait pu empêcher la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite de lancer leur guerre follement aventureuse en Syrie. Aucun de ces pays ne l’a fait par nécessité urgente ; il s’agissait dans tous les cas d’une guerre choisie. Et chacun de ces trois États fait partie du système de sécurité américain au Moyen-Orient : ces pays fournissent des bases militaires à l’OTAN ou aux États-Unis et dépendent du soutien américain en termes de sécurité.

Mais au lieu d’insister pour que ces trois alliés sunnites reviennent sur leur choix, l’administration Obama a donné le feu vert à une conférence à Riyad à la fin du mois de mars 2012 pour poursuivre l’approvisionnement en armes de ceux qui voulaient remplacer le régime, laissant ostensiblement aux États-Unis la liberté d’agir en tant que pacificateur. Comme Hillary Clinton l’a indiqué lors de la conférence de Riyad, « certains seront en mesure de faire certaines choses et les autres feront d’autres choses ».

Les décideurs politiques responsables de la Syrie auraient dû savoir que les graines de conflits sectaires violents avaient déjà été semées en Syrie au début des années 1980

Les décideurs politiques responsables de la Syrie auraient dû savoir que les graines de conflits sectaires violents avaient déjà été semées en Syrie au début des années 1980 et que la guerre actuelle a été profondément infectée par le sectarisme dès le départ. Ils savaient que le régime d’Assad gouvernait dès le début d’une main de fer, principalement dans le but de protéger les intérêts des Alaouites, mais également pour protéger les minorités chrétiennes et druzes contre le sectarisme sunnite.

La faction interdite des Frères musulmans basée à Hama adopta une posture résolument sectaire envers les Alaouites, non seulement en désignant le gouvernement baasiste comme un « régime apostat » et en recherchant son renversement violent, mais aussi en faisant montre d’une volonté de tuer les Alaouites, tout simplement parce qu’ils n’étaient pas considérés comme de vrais croyants musulmans.

Après l’échec de la lutte armée initiale contre le régime, les organisateurs furent contraints à l’exil ; cependant, en 1979, Ibrahim al-Youssef, un membre secret de l’Avant-garde combattante des Frères musulmans qui avait infiltré l’école d’artillerie de l’armée syrienne à Alep, sépara tous les élèves officiers alaouites des non-Alaouites, puis abattit 32 d’entre eux et en blessa 54 autres avant de s’enfuir.

En 1980, après la tentative d’assassinat manquée des Frères musulmans contre Hafez al-Assad en personne, le régime engagea des représailles rapides et brutales : le lendemain matin, entre 600 et 1 000 Frères musulmans emprisonnés furent tués dans leur cellule.

La violence sectaire en Syrie atteint son paroxysme en 1982, lorsque l’armée syrienne entra à Hama pour mettre fin au contrôle de la ville par les Frères musulmans. L’opération commença lorsque les troupes de l’armée syrienne entrèrent dans la ville pour capturer des individus figurant sur la liste des membres des Frères musulmans. Ces troupes furent décimées par les mitrailleurs de la confrérie. Plusieurs milliers de soldats supplémentaires du régime furent déployés dans la ville et les Frères musulmans mobilisèrent toute la population sunnite pour le combat. Les mosquées diffusaient le message « Insurgez-vous et chassez les mécréants de Hama », comme l’a raconté Thomas L. Friedman en 1989.

Après avoir rencontré une résistance de type guérilla beaucoup plus rigide que prévu à Hama, l’armée syrienne utilisa des armes lourdes contre les zones de la ville où les forces militaires des Frères musulmans étaient concentrées. Quand la résistance des Frères musulmans dans la ville fut finalement défaite, l’armée acheva la destruction totale de trois quartiers entiers où les Frères musulmans étaient prédominants et continua d’exercer des représailles contre les familles ayant des liens avec l’organisation. Au moins 5 000 sunnites furent tués, tandis que les Frères musulmans annoncèrent 20 000 morts.

L’extrémisme sectaire exprimé à la fois par le régime d’Assad et par les Frères musulmans il y a trente ans était condamné à se reproduire dans le conflit qui a commencé en 2011, en particulier dans les régions d’Alep et Hama, où l’opposition armée était particulièrement forte. Les slogans initiaux utilisés par les manifestants anti-Assad n’étaient pas sectaires, mais tout cela a changé quand la lutte armée contre Assad a été reprise par les djihadistes et les islamistes.

La Turquie et le Qatar, deux pays qui ont soutenu les dirigeants des Frères musulmans en exil, ont commencé à acheminer des armes vers les groupes les plus engagés en faveur d’un point de vue sectaire anti-chiite et anti-alaouite. Un des principaux bénéficiaires du financement et des armes de la Turquie était Ahrar al-Sham, qui partageait sa vision sunnite sectaire de la minorité alaouite avec son allié issu d’al-Qaïda, le Front al-Nosra. Le groupe considérait que les Alaouites faisaient partie de l’ennemi chiite et constituaient donc l’objet d’une « guerre sainte ».

Un autre favori des alliés des États-Unis était Jaysh al-Islam, l’organisation salafiste de la banlieue de Damas, dont l’ancien chef, Zahran Allouche, a évoqué ouvertement le souhait de débarrasser Damas des chiites et des Alaouites, qu’il a regroupés sous l’appellation « Majous », terme injurieux utilisé pour désigner le peuple d’Iran préislamique non arabe.

S’il y avait un doute quant au fait que le sectarisme anti-alaouite du passé représente encore une partie importante de la pensée de l’opposition armée, celui-ci aurait dû être éliminé après ce qui est arrivé au cours de la « grande bataille pour Alep ». La franchise al-Qaïda nouvellement renommée « Front Fatah al-Sham », qui a planifié et dirigé cette offensive pour percer les lignes du gouvernement syrien autour d’Alep, a nommé l’offensive d’après Ibrahim al-Youssef, l’officier des Frères musulmans qui avait assassiné de sang-froid les recrues alaouites à l’école d’artillerie d’Alep en 1979. Et comme le spécialiste de la Syrie Joshua Landis l’a indiqué dans un tweet le 4 août, la branche d’al-Qaïda nouvellement renommée a posté une déclaration vidéo faite par un militant masqué menaçant de faire subir la même chose aux Alaouites à Alep après avoir pris la ville.

Les hauts responsables de l’administration Obama pouvaient-ils ne pas savoir qu’une guerre visant à renverser Assad allait inévitablement devenir un énorme bain de sang sectaire ?

Les hauts responsables de l’administration Obama pouvaient-ils ne pas savoir qu’une guerre visant à renverser Assad allait inévitablement devenir un énorme bain de sang sectaire ? En août 2012, un rapport de la Defense Intelligence Agency a averti que « les événements [prenaient] clairement une tournure sectaire » et que « les salafistes, les Frères musulmans et AQI [al-Qaïda en Irak] » étaient « les principales forces motrices de l’insurrection ». En outre, l’administration Obama savait déjà à l’époque que les commanditaires sunnites extérieurs de la guerre contre Assad acheminaient leur argent et leurs armes vers les groupes les plus sectaires sur le champ de bataille.

Mais l’administration n’a rien fait pour exercer une pression sur ses alliés afin de mettre fin à cela. Elle a en réalité tissé sa propre politique en Syrie autour d’une guerre alimentée de l’extérieur et menée par des forces massivement sectaires. Et personne dans l’élite politico-médiatique américaine n’a soulevé la question.

Il a fallu à l’administration Obama un degré remarquable de déni et d’aveuglement pour croire qu’elle agissait en quelque sorte pour sauver le peuple syrien de l’effusion de sang alors qu’elle faisait exactement le contraire.

Une guerre visant à renverser le régime d’Assad, aussi brutaux que son règne et ses tactiques de guerre aient pu être, ne pouvait que plonger le pays dans un horrible bain de sang sectaire. Et les conséquences de cette guerre sectaire se prolongeront pendant des années. L’absence de rejet ferme de cette guerre par l’administration Obama doit être considérée comme l’un des pires méfaits de ce long festival de transgressions américaines au Moyen-Orient.

Gareth Porter, journaliste d’investigation indépendant, fut le lauréat 2012 du prix Gellhorn du journalisme. Il est l’auteur d’un livre, récemment publié : Manufactured Crisis: The Untold Story of the Iran Nuclear Scare (Une crise fabriquée de toutes pièces : les origines secrètes de la hantise d’un Iran nucléaire).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Hillary Clinton (au centre), alors secrétaire d’État américaine, discute avec le ministre des Affaires étrangères saoudien, le prince Saoud ben Fayçal, aux côtés du ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé (à droite) et du Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar, le cheikh Hamad ben Jassem al-Thani (à gauche), au cours d’une réunion entre ministres des Affaires étrangères occidentaux et arabes axée sur la crise en Syrie, au ministère des Affaires étrangères à Paris, le 19 avril 2012 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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