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États arabes et Syrie : que cachent les gestes de conciliation ?

Tandis que les États arabes assistent avec inquiétude à l'expansion iranienne dans la région, la perspective d'une victoire de la révolution syrienne demeure leur principale préoccupation

La crise syrienne est animée par un dynamisme politique croissant qui n'est pas uniquement impulsé par les Américains et les Russes, mais également par les Arabes. Ceux-ci en sont même les principaux protagonistes. Le grand mufti de Syrie est allé en Algérie, le ministre des Affaires étrangères Walid al-Mouallem, rarement autorisé à quitter le pays, s'est rendu dans la capitale omanaise de Mascate afin de rencontrer son homologue omanais, et une rencontre a eu lieu entre le général Ali Mamlouk, l'un des principaux conseillers du président Assad en matière de sécurité, et le prince Mohammed ben Salmane al-Saoud, vice-prince héritier et ministre de la Défense de l'Arabie saoudite.

Cette rencontre entre le général Mamlouk et le prince Salmane fut la plus surprenante et la plus inattendue de toutes, et elle a supplanté toutes les autres actualités syriennes dans les médias cette semaine. Ces initiatives arabes interviennent suite à la réouverture de la mission diplomatique tunisienne à Damas par le gouvernement Essebsi. L'annonce de la Tunisie constitue clairement un premier pas vers la reprise des relations politiques entre les deux pays.

Certains estiment que ces démarches des Arabes quant à la crise syrienne s'inscrivent en réalité dans un dynamisme international beaucoup plus vaste impulsé par Washington et Moscou dans le but d'explorer de nouvelles possibilités de résolution politique. Ils invoquent la récente déclaration de Téhéran concernant une nouvelle initiative iranienne en Syrie qui semble indiquer que la Russie et l'Iran prennent progressivement conscience du fait que le destin du gouvernement de Bachar el-Assad est scellé et qu'il est désormais nécessaire de chercher une alternative sûre permettant de garantir à la fois les intérêts de Téhéran et ceux de Moscou en Syrie.

Ils s'appuient également sur les déclarations du président turc Erdoğan, qui a affirmé avoir remarqué des changements dans la position de la Russie envers la Syrie, ainsi que sur celles du président américain Barack Obama qui a déclaré voir le bout du tunnel en Syrie. Du point de vue des optimistes, la rencontre organisée à Doha entre les ministres américain et russe des Affaires étrangères, qui annonce un accord imminent entre Washington et Moscou sur une solution politique à la crise syrienne, est tout aussi décisive.

Difficile de savoir si cette interprétation est exacte ou non étant donné que l'Iran et la Russie, qui ont apporté un soutien fondamental au gouvernement de Bachar el-Assad, n'ont pour l'instant montré aucun changement majeur dans leur position vis-à-vis de la crise. Ils n'ont pas non plus décidé d'accepter une Syrie sans Bachar el-Assad et la classe dirigeante qui l'entoure. Toutefois, et outre le caractère réaliste ou non de cette interprétation, des signes montrent que les récentes initiatives arabes obéissent à leur propre logique, indépendamment de l'existence d'une perspective internationale ou régionale de résolution du conflit.

Des informateurs arabes qui suivent de près les événements relatifs à la crise syrienne ont confirmé que l'Égypte, les EAU, la Jordanie et le sultanat d'Oman se sont entendus pour rétablir les relations avec Damas dans le but de réhabiliter le gouvernement de Bachar el-Assad. Il semblerait que la mollesse et l'inefficacité des réactions arabes quant à la décision de la Tunisie de rétablir les relations avec le gouvernement d’Assad ait encouragé ces États à brûler les étapes du rapprochement avec Damas. Ce groupe d'États arabes est soutenu par la Russie. Cependant, il ne souhaite pas se rapprocher de Damas avant d'avoir obtenu le soutien, ou, à défaut, l'assentiment de l'Arabie saoudite. Il semble que la rencontre entre le général Mamlouk et le prince ben Salmane, arrangée par l'Égypte, les EAU et la Russie, se soit déroulée dans le cadre d'une tentative visant à faire changer la position des Saoudiens envers Bachar el-Assad et son gouvernement.

Fait étonnant, le renouveau du dynamisme arabe envers Damas intervient alors que l'étau se resserre autour du gouvernement syrien et parallèlement au projet expansionniste iranien dans la région. Au cours des derniers mois, les révolutionnaires syriens ont réalisé des avancées majeures au nord et au sud, notamment dans les gouvernorats d'Idleb et de Deraa. Au moment de la rencontre entre le général Mamlouk et le prince ben Salmane, deux groupes des forces révolutionnaires syriennes marchaient simultanément vers les régions de Lattaquié et de Hama au nord, vers le gouvernorat de Soueïda au sud, ainsi qu'en direction de l'aéroport d'Almaza, dans la campagne de Damas. Le récent discours de Bachar el-Assad, dans lequel il a admis pour la première fois que ses troupes avaient dû abandonner des positions importantes afin d'en conserver d'autres, constitue peut-être l'indice le plus révélateur de l'incapacité du gouvernement à faire face aux évolutions rapides sur le champ de bataille.

Personne n'est en mesure d'affirmer que ce conflit prolongé est sur le point d'être résolu par une intervention militaire. Il est toutefois évident que le rapport de forces commence à pencher en faveur du peuple syrien et de sa révolution. Cette transformation coïncide avec le déclin tangible du projet iranien au Yémen et une situation complexe pour l'Iran en Irak. Depuis le début de la révolution syrienne, le gouvernement de Bachar el-Assad a largement lié son destin à celui de ses alliés en Iran. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les pertes du gouvernement s'accompagnent d'un déclin du projet d'expansion régional de l'Iran. Mais alors pourquoi les Arabes cherchent-ils à réhabiliter le gouvernement de Bachar el-Assad au moment où un nombre croissant d'indices montre qu'il commence à perdre du terrain ?

Les États qui tentent de réhabiliter le gouvernement de Bachar el-Assad sont connus pour être antirévolutionnaires, comme l'Égypte, pour être opposés aux coups d'État, comme la Tunisie, pour représenter les principales forces du mouvement contre-révolutionnaire au sein du monde arabe, comme les EAU ou la Jordanie, ou encore pour être très proches de l'Iran, comme c'est le cas du sultanat d'Oman. Ce groupe d'États arabes n'éprouve aucune sympathie pour le peuple syrien et sa révolution. Il ne se soucie pas le moins du monde de savoir si une solution politique sera trouvée ou non à la crise syrienne.

Tandis que bon nombre de ces États assistent avec inquiétude à l'expansion iranienne dans la région, la perspective d'une victoire de la révolution syrienne demeure leur principale préoccupation. Ils craignent que la Syrie ne se transforme en un pays libre et démocratique où le gouvernement représente les aspirations et les choix du peuple. Tout comme ils ont œuvré pour l'avortement du processus de transition vers la liberté et la démocratie en Égypte, en Tunisie et en Libye à l'été 2013, et tandis qu'ils utilisent leur participation à la guerre yéménite pour faire avorter le processus de transformation du Yémen, les États arabes contre-révolutionnaires sont désormais convaincus que la réhabilitation du gouvernement de Bachar el-Assad est le seul moyen de faire échouer la révolution arabe en Syrie. La position de l'Arabie saoudite jouera indubitablement un rôle majeur dans la réussite ou l'échec de cette tentative de sauvetage du gouvernement de Bachar el-Assad.
 

- Basheer Nafi est directeur de recherche au Centre d’études d’Al-Jazeera.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des pigeons se posent devant un drapeau de la rébellion dans le gouvernorat d'Idleb en Syrie, le 20 février 2012 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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