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La Turquie lance une opération militaire contre une milice kurde en Syrie

La Turquie a lancé samedi une offensive terrestre et aérienne dans le nord de la Syrie contre une milice kurde
Le président Recep Tayyip Erdoğan a promis à plusieurs reprises d’en finir avec les « nids de terroristes » en Syrie
Par MEE

Elle prévenait depuis plusieurs jours et est passée à l’action samedi : la Turquie a lancé une nouvelle opération aérienne et terrestre pour chasser une milice kurde d’une enclave au nord de la Syrie, défiant les États-Unis qui ont prévenu qu’une telle offensive risquait de déstabiliser la région.

Ces derniers jours, la Turquie avait envoyé des dizaines de véhicules militaires à la région frontalière et préparé les rebelles syriens pro-Ankara pour l’opération contre les Unités de protection du peuple (YPG), milice kurde considérée par Ankara comme une organisation terroriste.

Les YPG ont aussi joué un rôle majeur dans l’éviction des combattants du groupe État islamique (EI) de leurs principaux fiefs en Syrie.

Selon des médias locaux, des tanks avaient commencé à traverser la frontière – au poste-frontière d’Öncüpınar – après des frappes aériennes menées par 72 avions. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, au moins onze civils, dont cinq enfants, auraient été tués dimanche.

Un tank turc tire des obus de mortier dans le nord de la Syrie contre la milice kurde (Reuters)

« Sept civils ont été tués, dont un enfant, deux combattantes et un combattant », a précisé Birusk Hasakeh, porte-parole des YPG à Afrin, en ajoutant que l’enfant était un garçon de 8 ans.

L’aile politique des YPG, le Parti d’union démocratique (PYD), a annoncé samedi plus tôt dans la journée que 25 civils avaient été blessés dans le bombardement turc.

Ankara a également annoncé de son côté qu’il y avait des blessés mais que tous étaient des combattants kurdes.

Le président Recep Tayyip Erdoğan a promis à plusieurs reprises d’en finir avec les « nids de terroristes » en Syrie, malgré les mises en garde selon lesquelles une opération pourrait s’avérer militairement compliquée et compliquer les relations avec Washington et Moscou.

« Afrin est un cimetière pour Erdoğan » : les Kurdes de Syrie jurent de résister à la Turquie

Le ministre russe des Affaires étrangères, dont l’opinion est considérée comme cruciale pour déterminer jusqu’où peut aller l’opération, a déclaré avoir reçu des nouvelles de la campagne avec inquiétude et a appelé à la retenue.

L’armée turque a annoncé que cette opération, appelée « Rameau d’olivier », lancée à 14h00 GMT contre une centaine de cibles, était dirigée contre les YPG et l’EI.

Le porte-parole du gouvernement turc, Bekir Bozdağ, a déclaré samedi que l’opération militaire à Afrin était légitime et conforme au droit international.

Traduction : « L’opération Rameau d’olivier a été lancée dans le cadre de la légitime défense, comme décrit par l’article 51 de la charte des Nations unies [qui autorise la défense d’un pays ou d’un groupe d’alliés, en réponse aux attentats de l’EI dans les pays européens alliés de Washington au sein de l’OTAN] et les résolutions 1624, 2170 et 2178 du Conseil de sécurité de l’ONU »

L’armée a déclaré que l’opération respecterait l’intégrité du territoire syrien et serait justifiée par les droits de la Turquie en conformité avec le droit international.

Samedi, Damas a nié avoir été informée par la Turquie de ses projets d’opération militaire. « La Syrie nie complètement les allégations du régime turc selon lesquelles il l’a informée de cette opération militaire », a déclaré une source au sein du ministère des Affaires étrangères syrien à l’agence de presse officielle Sana.

Selon cette source, l’assaut « est le mouvement le plus récent dans les attaques de la Turquie contre la souveraineté de la Syrie. La Syrie condamne fermement la brutale agression sur Afrin, qui est une partie intégrante du territoire syrien. »

Le président syrien Bachar al-Assad a condamné dimanche l'opération menée par la Turquie : « L'agression turque brutale sur la ville syrienne d'Afrin est indissociable de la politique du régime turc depuis le premier jour de la crise syrienne, une politique essentiellement fondée sur le soutien au terrorisme et aux organisations terroristes, quelles qu'elles soient », a-il déclaré dans un communiqué diffusé par l'agence de presse officielle Sana.

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De son côté, la Grande-Bretagne a déclaré que la Turquie, alliée de l’OTAN avait « un intérêt légitime » à assurer la sécurité de ses frontières.

La campagne aérienne a été lancée quelques heures seulement après la déclaration du président Recep Tayyip Erdoğan selon laquelle l’offensive militaire sur Afrin avait « de fait », commencé.

Dans un discours diffusé à la télévision, Erdoğan a déclaré : « Nous allons progressivement détruire le couloir de la terreur comme nous l’avons fait dans les opérations de Jarabulus et d’Al-Bab, en démarrant de l’ouest. L’opération sur Afrin a, de fait, commencé. »

Avertissements répétés

Il a ajouté « Nous continuerons par Manbij », en évoquant une autre ville syrienne contrôlée par les Kurdes, à l’est.

Recep Tayyip Erdoğan a répété à plusieurs reprises qu’il écraserait la milice kurde syrienne à Afrin, qu’il voit comme une menace à la sécurité de la Turquie.

L’armée turque a annoncé qu’elle avait bombardé à Afrin des abris et des cachettes utilisés par les YPG, le PYD et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Elle a aussi accusé les groupes de la milice kurde d’utiliser les civils comme boucliers humains.

Manifestation à Afrin le 18 janvier 2018 (MEE/Roj Moussa)

Plus tôt, les combattants avaient tiré sur des positions turques, a précisé l’armée dans un communiqué.

Le ministre de la Défense Nurettin Canikli a confirmé vendredi que l’opération turque dans la région avait commencé avec des bombardements transfrontaliers mais qu’aucune troupe n’était entrée dans Afrin.

Mais ce dimanche, des soldats turcs sont entrés dans la région d'Afrin, a affirmé le Premier ministre Binali Yıldırım.

« La situation à Afrin est grave, nous sommes en guerre, la Turquie nous oblige à entrer en guerre »

- Cemil Suleyman, un responsable des Affaires étrangères au sein de l’administration d’Afrin

Hevi Mustafa, co-responsable de l’administration locale à Afrin, a déclaré à Middle East Eye qu’elle était déçue par les réactions internationales.

« Nous appelons la communauté internationale à tenir Erdoğan pour responsable et à arrêter les bombardements à Afrin », a-t-elle dit à MEE.

« Depuis trois jours, les forces turques et leurs mandataires ciblent la frontière d’Afrin et certains points près d’Afrin. Nos forces leurs répondent », a-t-elle ajouté.  

« La situation à Afrin est grave, nous sommes en guerre, la Turquie nous oblige à entrer en guerre », a ajouté Cemil Suleyman, un responsable des Affaires étrangères au sein de l’administration d’Afrin.

Des observateurs militaires russes

Le bombardement a eu lieu alors que des observateurs militaires russes se retiraient du canton syro-kurde, ce qui allait permettre aux forces turques de lancer une offensive terrestre contre les combattants kurdes.

La Russie compte des observateurs militaires basés à Afrin depuis 2015 et leur retrait faisait partie des négociations menées hier entre la Turquie et la Russie.

Selon les médias turcs, environ 180 observateurs russes ont été retiré de leurs positions à la frontière entre Afrin et la Turquie, quelques heures avant que l’artillerie turque ne commence ce qu’Ankara a qualifié comme le début « de fait » des opérations contre les YPG.

« Ce qui a été rapporté par les médias a été démenti »

- Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a déclaré vendredi que ce qui avait été rapporté par les médias sur le retrait des unités militaires russes de la région syrienne d’Afrin avaient été démenti.

« Ce qui a été rapporté a été démenti », a rapporté l’agence de presse russe RIA Novosti en citant Lavrov. Il n’a pas mentionné qui avait démenti.

Les chefs militaires russe et américain se seraient également entretenus par téléphone au moment où les avions turcs ont lancé leurs attaques sur Afrin, ont rapporté des médias locaux.

Selon des médias turcs, la planification militaire de l’assaut était terminée, et deux brigades et 5 000 combattants de l’Armée syrienne libre (ASL) devaient par ailleurs participer.

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Vendredi, des images ont montré ce qui semblait être vingt bus de combattants de l’ASL se plaçant vers la frontière syrienne près de la commune d’Afrin.

Toujours selon des médias, c’est le général İsmail Metin Temel, célébré comme un héros de l’opération militaire « Bouclier de l’Euphrate » au nord de la Syrie en 2016, qui a été chargé de mener l’offensive.

Bouclier de l’Euphrate a été lancée le 24 août 2016 et a repris à l’EI et aux YPG une zone de quelque 2 000 kilomètres carrés.

Le premier objectif d’Ankara en Syrie aujourd’hui est d’empêcher les YPG et le PYD de former un couloir le long de la frontière avec la Turquie qui s’étendrait de la frontière irakienne à la mer Méditerranée.

Traduit de l’anglais (original) et actualisé, correspondance de Wladimir van Wilgenburg à Erbil et Suraj Sharma à Istanbul.

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