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Les Palestiniens du Liban noyés dans la crise syrienne

Avec l’afflux de réfugiés en provenance de Syrie, le taux de chômage des Palestiniens du Liban a fortement augmenté et les tensions dans les camps, comme récemment à Ain al-Hilweh, se multiplient
De la fumée provoquée par des affrontements s’élève au-dessus d’Ain al-Hilweh, le plus grand camp de réfugiés palestiniens du Liban (AFP)

Le cadre juridique et légal dans lequel il leur est permis d’évoluer est à l’image des ruelles des camps où ils vivent au Liban : étroites et insalubres.

Les restrictions imposées aux réfugiés palestiniens sont nombreuses. À commencer par celle leur interdisant d’exercer une trentaine de professions, en particulier dans les domaines du droit et de la médecine.

Pour subvenir à leurs besoins, ils ont pris l’habitude de se rabattre sur les métiers traditionnellement délaissés par les Libanais : ouvriers sur les chantiers, travaux agricoles ou de nettoyage.

Autant de postes aujourd’hui convoités par les centaines de milliers de Syriens ayant afflué ces cinq dernières années au pays du Cèdre, et dont l’accès au travail demeure, lui aussi, strictement encadré par les autorités locales.

Le taux de chômage des Palestiniens du Liban a augmenté de 24 % depuis 2012

Conséquence : le taux de chômage des Palestiniens du Liban a augmenté de 24 % depuis 2012, selon une étude réalisée en 2015 par l’Université américaine de Beyrouth (AUB) pour l’UNRWA.

Dans le Nord, l’une des régions ayant accueilli le plus de réfugiés de Syrie, le nombre de Palestiniens vivant sous le seuil de pauvreté libanais (208 dollars par mois) a enregistré une hausse de 11 % par rapport à 2010.

« Nous encourageons les efforts visant à promouvoir le droit à travailler » des réfugiés palestiniens, affirme Anne Colquhoun, porte-parole de l’UNRWA au Liban. Notre préoccupation est de « soutenir l'accès au débouchés. »

En 2010, ces derniers ont obtenu le droit d'être embauchés au sein d'une entreprise. Mais jusqu’à présent, ce pas en avant a eu peu d’effets concrets.

L’écrasante majorité de la population palestinienne travaille toujours de manière informelle, les patrons libanais préférant recruter des nationaux. En 2015, seul un dixième de la frange active palestinienne avait signé un contrat avec son employeur, selon le rapport de l’AUB.  

Avec la crise syrienne, ce statut quo a de grandes chances d’être conforté. Dans un pays où un habitant sur quatre est un réfugié, les Palestiniens, qui seraient près de 250 000 au Liban, ne sont pas la priorité.

« La peur de la naturalisation des réfugiés et les craintes liées au chômage des jeunes libanais rendent très incertain un desserrement de l'étau sur le cadre juridique des réfugiés palestiniens », analyse Karim El Mufti, politologue spécialiste des sociétés multicommunautaires.

À cela s’ajoute l’inertie actuelle des pouvoirs décisionnels du pays.

Les institutions libanaises sortent tout juste de quatre années d’un long coma. Si un président a pu être élu en décembre dernier après deux ans et demi de vide, la vie parlementaire est encore minée par d’insurmontables divisions entre les différentes composantes politiques et confessionnelles du pays.

« Concurrence des pauvres »

Reste l’UNRWA, l’Office de secours des Nations unies pour les réfugiés palestiniens créé en 1949 afin de venir en aide aux Palestiniens du Proche-Orient.

En janvier dernier, l’organisation a exigé des pays donateurs 411 millions de dollars pour les refugiés palestiniens, dont 60,5 millions de dollars pour les 31 000 Palestiniens de Syrie ayant trouvé refuge au Liban.

Alors qu’ils parvenaient à vivre sans l’assistance de l’agence avant la guerre, ces derniers dépendent aujourd’hui entièrement des aides onusiennes. En quatre ans de conflit, ils ont pour la plupart épuisé toutes leurs économies. 90 % vit sous le seuil libanais de pauvreté et 9 % sont confrontés à une situation d’extrême indigence.

« L’arrivée des réfugiés palestiniens de Syrie a mis une pression plus grande sur les infrastructures et les services existants dans les camps et à l’extérieur », affirme Anne Colquhoun. « Les besoins augmentent alors que les ressources sont limitées », alerte la responsable.

À LIRE : La lutte pour le maintien de la paix dans le plus grand camp de réfugiés du Liban

Dans cette situation, les bénéficiaires palestiniens traditionnels de l’office humanitaire se sentent lésés par rapport aux nouveaux arrivants.

« Les Palestiniens du Liban reprochent à l’UNRWA de ne s’occuper que des Palestiniens de Syrie », explique à MEE Nicolas Dot-Pouillard, chercheur associé à l'Institut français du Proche-Orient (IFPO).

Une « concurrence des pauvres » s’est ainsi installée entre réfugiés palestiniens, syriens et palestiniens de Syrie.

En même temps, la jeunesse palestinienne du Liban souffre de l’absente béante de toute perspective sociale et professionnelle. La plupart cherchent à émigrer en Europe en passant par les rares pays dans lesquels ils sont autorisés à se rendre : les Émirats arabes unis ou encore le Soudan. 

Ceux qui n’y parviennent pas se tournent vers les réseaux de trafic illicites, d’autres se radicalisent.

« La crise en Syrie a donné un nouveau souffle à plusieurs groupes djihadistes qui étaient apparus au Liban en 2005 au moment du retrait des troupes syriennes du pays », indique Nicolas Dot-Pouillard.

Depuis le déclenchement du conflit voisin, les troubles sécuritaires sont de plus en plus fréquents dans le camp palestinien d’Ain al-Hilweh, le plus grand du pays en population et superficie.  

La semaine dernière encore, des affrontements meurtriers ont opposé le groupuscule Fatah al-Islam aux forces palestiniennes responsables d’assurer la sécurité dans cette agglomération palestinienne où l’armée ne pénètre jamais.

Ces combats, d’une durée et d’une intensité inédite ces dernières années, ont fait huit morts et une quarantaine de blessés.

Traqué pendant une semaine, le chef de Fatah al-Islam, un proche du Front al-Nosra, l’ex-branche d’al-Qaïda en Syrie, aurait trouvé refuge auprès d’un autre cellule militante active à Ain al-Hilweh.

Si le calme est revenu, les combats menacent à tout moment de reprendre.

La crainte d’une réédition du scénario de Nahr el-Bared hante les esprits : en 2007, l’armée libanaise avait été contrainte de se déployer dans ce camp du nord du pays pour mettre un terme à quinze semaines de lutte acharnée entre Fatah al-Islam et les factions palestiniennes.

L’offensive s’était avérée particulièrement couteuse pour l’armée et les habitants. Trente-deux soldats libanais et trente civils avait été tués dans l’opération.

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