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Migrants abandonnés dans le Sahara : l’Algérie confrontée à de nouvelles accusations

Des témoignages sur le calvaire des Africains subsahariens expulsés d’Algérie et abandonnés en plein désert relancent la polémique sur la politique migratoire de ce pays qui rejette les propositions européennes visant à créer des centres de détention sur son territoire
Les ONG et les instances onusiennes s'alarment de la situation des migrants expulsés par l'Algérie vers le Niger (Twitter/OIM)
Par MEE

ALGER - « Durant les quatorze mois écoulés, l’Algérie a abandonné plus de 13 000 migrants dans le désert du Sahara. Parmi eux se trouvent des femmes enceintes et des enfants. Ces personnes sont forcées, parfois sous la menace des armes, de marcher sous un soleil brûlant sans aucune assistance, ni eau ni nourriture. »

Les révélations de l'agence Associated Press, lundi 25 juin, mettent les autorités algériennes au pied du mur pour la troisième fois en quelques mois.

Les expulsions massives, le « profilage ethnique » et les soupçons de maltraitance sont souvent cités par les ONG et même, dernièrement par l’ONU,  dénonçant une politique migratoire qui se durcit mois après mois.  

Début juin, c’est l’agence Reuters qui révèle des actes d’esclavage et de torture commis par des passeurs sur des migrants subsahariens dans le sud algérien.

L'agence de presse américaine a donc rassemblé une dizaine de témoignages au Niger et cite également une enquête de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui a questionné des milliers de migrants ayant quitté l'Algérie.

28 000 expulsions

Officiellement, Alger a reconnu avoir reconduit près de 10 000 migrants clandestins dans leur pays d’origine depuis 2016. Saïd Salhi, de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH), qui parle « d’escalade en termes d’expulsions depuis les derniers mois », avance à Middle East Eye le chiffre de « 28 000 migrants déjà expulsés à la frontière avec le Niger ».

Alhoussan Adouwal, qui travaille pour l'OIM à Assamaka, ville du Niger située à la frontière avec l’Algérie, souligne : « Je n’ai jamais vu des expulsions comme celles dont je suis témoin en ce moment. Ils arrivent par milliers ». 

Les témoignages publiés par AP reposent aussi sur des vidéos filmées par les migrants (Capture d'écran)

Les autorités algériennes insistent sur le fait que ces expulsions se déroulent « en concertation avec les gouvernements des pays concernés ».

Une donnée que contredit le texte d’un appel signé par plusieurs ONG algériennes fin mai : « Il n’existe aucun accord de réadmission ou de demandes formulées par les gouvernements de ces pays pour d’éventuels retours de leurs ressortissants. Plus de 1 500 migrant(es) ont déjà été expulsé(es) ces dernières semaines lors d'opérations entachées d'abus et en flagrantes contradictions avec le droit international des droits humains. » 

« La logique veut que les doigts accusateurs soient dirigés vers ceux qui ont provoqué tous ces drames que les Africains subissent »

- Le Croissant-Rouge algérien

« Seul le Niger a été sollicité dès 2014 dans le cadre d'un accord ‘’opaque’’ avec le gouvernement algérien pour le retour de ses ressortissant(es) dont la majorité sont des femmes et des enfants », lit-on encore dans cette pétition.

En octobre 2017, la section algérienne d'Amnesty International affirmait que les arrestations « se fondaient sur le profilage ethnique, car les policiers et les gendarmes ne cherchaient pas à savoir si les migrants séjournaient légalement en Algérie, ne vérifiant ni leurs passeports, ni d'autres papiers. Parmi les migrants arrêtés et expulsés, certains étaient sans papiers, mais d'autres avaient des visas en cours de validité ».

Colère à Alger

Mardi matin, les autorités algériennes n’avaient pas encore réagi. Début juin, le Croissant-Rouge algérien a répondu aux critiques des ONG et de l’ONU sur les expulsions : « La logique veut que les doigts accusateurs soient dirigés vers ceux qui ont provoqué tous ces drames que les Africains subissent à leur corps défendant et non pas contre l’Algérie qui, dans ce cadre, est en position de force ».

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Le 27 mai, le représentant de l'Algérie à Genève a même été instruit par le ministère des Affaires Étrangères « pour exprimer au bureau du Haut-Commissaire des droits de l'homme la vive désapprobation des autorités algériennes des propos inacceptables tenus par sa porte-parole et demander des clarifications sur les raisons l'ayant conduite à faire avec une aussi insoutenable légèreté un tel procès d'intention à l'Algérie ».

Le Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, a insisté à Alger : « Parce que l’Algérie n’accepte pas d’être un centre de rétention des migrants africains au bénéfice de l’Europe, elle est la cible d’attaques d’organisations extérieures qui osent même l’accuser de racisme ».

La rhétorique officielle habituelle, très ombrageuse sur le propos - l’Algérie étant un pays aux engagements africains ancrés dans son histoire -, convoque souvent l'argument du complot : « Ce ne sont pas les migrants qui nous font peur, mais on a peur de ceux qui les instrumentalisent », affirme le ministère de l’Intérieur.

« Parce que l’Algérie n’accepte pas d’être un centre de rétention des migrants africains au bénéfice de l’Europe, elle est la cible d’attaques d’organisations extérieures qui osent même l’accuser de racisme »

– Ahmed Ouyahia, Premier ministre

La théorie du complot a été à nouveau évoquée suite à la publication de l’enquête de AP. « La migration massive, comme phénomène chronique, à partir de pays au fort potentiel de croissance économique qu’on refuse pourtant de soutenir, semble utilisée opportunément tel un véritable ''complot humanitaire'' contre l’Algérie », écrit lundi 25 juin l’éditorialiste du site d’information Algérie Patriotique.

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