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Une hotline offre aux jeunes musulmans d’Amérique du Nord un lieu où se confier et être aidé

La hotline ouverte jeunes musulmans, animée par des volontaires dans la région de Toronto, a connu une augmentation de 300 % du nombre des appels
Saba Jawed (à gauche) et Summayah Poonah font partie de Naseeha, un groupe de bénévoles qui offre un service d’assistance anonyme pour jeunes musulmans (MEE/Jillian D'Amours)

MISSISSAUGA, Canada – Quelquefois, il suffit d’avoir quelqu’un qui vous écoute.

C’est le mantra qui inspire Naseeha, une hotline confidentielle que les jeunes musulmans dans toute l’Amérique du Nord peuvent appeler pour évacuer leurs frustrations et leurs angoisses, se faire aider pour améliorer leur vie relationnelle, ou encore consulter pour des problèmes de santé mentale.

L’an passé, cette hotline, animée par des volontaires de la région de Toronto, a connu une augmentation de 300 % du nombre d’appels.

« C’est vrai, il existe tellement de spécialistes et de ressources disponibles dans toute la société, mais je suis aussi convaincue qu’il est indispensable d’instaurer ce niveau élémentaire de confiance. Et c’est là qu’intervient Naseeha », indique Summayah Poonah, vice-présidente de Naseeha pour l’éducation et la main tendue.

Naseeha (« conseil » en arabe) a été fondée en 2006 à Milton, dans la banlieue au nord-ouest de Toronto, dans le but d’offrir des conseils aux jeunes musulmans, fournis par des jeunes de leur âge, sur tout un ensemble de sujets. Pendant les cinq premières années, les jeunes posaient des questions basiques : comment trouver une mosquée locale, quelle prière réciter avant un examen, etc., se souvient Poonah.

Aujourd’hui, les questions vont des inquiétudes sur la vie conjugale aux relations familiales, en passant par l’intimidation, les abus et les problèmes de santé mentale.

Poonah explique que les musulmans au Canada et aux États-Unis se retrouvent à cheval entre deux réalités : ils ont grandi en Amérique du Nord, mais restent aussi profondément attachés à la culture et aux traditions du pays d’origine de leurs parents.

« On se trouve devant une nouvelle génération de musulmans… Ils sont nés ici. Ils vont en classe à l’école publique et fréquentent ensuite leurs institutions et centres communautaires religieux, car leur culture d’origine les intéresse beaucoup », confie Poonah. « Mais, finalement je crois que de nombreuses personnes qui recourent à nos services sont des Nord-américains très particuliers et qu’ils ne s’identifient pas nécessairement aux cultures étrangères souvent chères à leurs parents ».

Lutte contre la stigmatisation

Naseeha anime un centre de conseil par les pairs, hotline ouverte offrant un service de chat en direct, de 18 h à 21 h, du lundi au vendredi.

Pendant ces trois heures, deux conseillers au moins – un homme et une femme – répondent à des appels essentiellement en provenance de jeunes habitants aux États-Unis ainsi qu’au Canada. En tout, l’organisation compte environ 20 conseillers bénévoles.

« Si l’on met en valeur les points forts d’une personne et que l’on reconnaît qu’elle traverse une période compliquée de sa vie, à elles deux ces méthodes contribuent à effacer la stigmatisation et ils ont ensuite plus de chance de rappeler ».

- Saba Jawed, conseillère

60 % environ des appelants sont des femmes, la trentaine pour la plupart, puis des jeunes de 20-25 ans.

« Ceux qui appellent ne sont pas nécessairement ceux qui ont besoin de soutien. Ce sont parfois aussi ceux qui les aident, des amis ou des collègues », explique Saba Jawed, 27 ans, conseillère, et également directrice de l’entretien psychologique des conseillers.

Les intervenants de Naseeha offrent une oreille attentive, pour écouter, écouter avant tout, explique Jawed, et orientent aussi les visiteurs, le cas échéant, vers des services disponibles dans leur communauté locale.

Elle confie que surmonter la stigmatisation associée au fait même de demander de l’aide est crucial pour beaucoup de jeunes musulmans, surtout ceux qui appellent pour poser des questions plus profondes : par exemple, comment gérer une sexualité LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et trans)  ou des problèmes de santé mentale non diagnostiqués.

Jawed explique : « Ce qui peut s’avérer très efficace, c’est de faire simplement comprendre qu’il est normal d’éprouver des difficultés et ressentir inquiétudes et des tensions, tout en reconnaissant qu’il faut une bonne dose de courage pour appeler quelqu’un et en parler ».

« Si l’on met en valeur les points forts d’une personne et qu’on reconnaît qu’elle traverse une période compliquée de sa vie, à elles deux ces méthodes contribuent à effacer la stigmatisation et ils ont ensuite plus de chance de rappeler ».

Au début de l’année, des groupes de la société civile en Colombie-Britannique, sur la côte ouest du Canada, ont ouvert une hotline pour traiter d’islamophobie et des crimes de haine antimusulmans. Cette ligne ouverte, anonyme et confidentielle, a offert des services juridiques gratuits, et dans plusieurs langues – dont l’arabe, le farsi, le swahili et l’urdu.

Suite à la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles le mois dernier, on a noté une recrudescence des crimes de haine contre les musulmans aux États-Unis et plusieurs cas de crimes de haine antimusulmans ont été enregistrés dans tout le Canada.

Le Southern Poverty Law Center, qui piste les crimes haineux aux États-Unis, a documenté plus de 700 incidents de harcèlement haineux  aux États-Unis depuis les élections, pour la majorité immédiatement après les élections du 8 novembre.

Jawed relève que les conseillers de Naseeha reçoivent de nombreux appels motivés par la discrimination islamophobique et le racisme sans constater pour autant d’augmentation majeure suite à la campagne électorale américaine ou à la victoire de Trump.

« Le nombre d’appel reste plutôt stable, essentiellement, je pense, parce que ce phénomène existe depuis un moment maintenant. Il semblerait donc presque que la crise fasse désormais partie du paysage normal – ce qui est triste à dire… Malheureusement, c’est la réalité », regrette Jawed.

2017 : une année d’expansion

Naseeha reçoit aussi beaucoup d’appels d’habitués. Jawed explique qu’il ne faut pas y voir la preuve que leurs problèmes n’ont pas été résolus, mais plutôt qu’ils utilisent la hotline comme « un lieu où appeler en toute sécurité ».

« Nous essayons juste de leur faire éprouver un sentiment d’appartenance et l’impression que quelqu’un est là pour les soutenir », confie Poonah. « Au final, effectivement, nous ne sommes pas là pour juger qui que ce soit ; notre vocation c’est juste de veiller à ce qu’ils ressentent qu’on est à leur écoute ».

Naseeha a récemment obtenu le statut d’organisation caritative et a aussi reçu une subvention de 20 000 dollars (19 000 euros) de la part d’Islamic Relief Canada.

Cet argent servira à former encore plus de conseillers ainsi qu’à financer au sein du système scolaire local des cours sur les sensibilités interculturelles et les difficultés rencontrées par les jeunes.

« Je pense que 2017 sera une étape importante et captivante dans notre histoire », assure Poonah en ajoutant que l’organisation sera bientôt équipée pour gérer les nombreux appels reçus chaque mois.

« Cela va demander beaucoup de travail, mais je pense que nous sommes prêts à relever le défi. »

Traduit de l’anglais (original) par [email protected].

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