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Les électeurs palestiniens en Israël : volonté du peuple contre besoin d'espoir

Entre la Liste unifiée et le mouvement de boycott, les Palestiniens d'Israël ont besoin de retrouver confiance et foi en l'engagement politique

« La volonté du peuple » est le slogan choisi par la Liste unifiée en vue des élections législatives devant former le 20e parlement israélien (la Knesset). La liste rassemble les communistes (Jabha), les islamistes (Mouvement islamique) et les nationalistes démocrates (Balad), trois courants idéologiques qui représentent la majorité des 1,3 million de citoyens palestiniens d'Israël, qui forment 20 % de la population du pays. Ce slogan vise à porter au premier plan le combat de plus en plus intense de la liste commune : convaincre leurs partisans que l'unification des trois partis est une étape historique qui reflète des besoins essentiels, et non une nouvelle tactique mise en place afin de surmonter le relèvement du seuil électoral de 2 % à 3,25 % par la droite israélienne dans la 19e Knesset.

En fait, la « volonté du peuple » existe et n'a pas changé depuis de nombreuses années. Le peuple demande cette unification depuis longtemps, et lorsque le débat interne agressif entre les trois partis politiques a épuisé la communauté palestinienne, certains ont menacé de ne pas voter si les partis concouraient séparément.

Depuis plusieurs décennies, chaque élection commence avec cette question d'unification et la saga épineuse de la négociation des quotas. Le contexte de cette saga était le refus idéologique catégorique des communistes de coopérer avec les islamistes et en vue d’une unification sur une base nationale (car ils se considèrent comme un parti judéo-arabe). Dès que le relèvement du seuil électoral est venu menacer les intérêts des partis, les enjeux ont rapidement augmenté et les positions idéologiquement clivantes ont été abandonnées en raison de la situation de quitte ou double qui s'est alors imposée.

Cette nouvelle situation qui résout le débat entre les trois partis, et le déclin de la concurrence politique interne, semblent maintenant ouvrir un espace plus large pour un autre débat : un débat qui ose aborder la question initiale de la participation des Palestiniens aux élections israéliennes et de la fonctionnalité de cette représentation dans le système politique israélien. Outre la montée des différents groupes de protestation de jeunes au cours des deux dernières années, le manque de concurrence entre les trois partis politiques est le seul facteur qui a contribué à accroître légèrement le soutien apporté au mouvement de boycott après plusieurs décennies de performances médiocres.

Le mouvement de boycott repose sur un principe simple : faire partie du parlement israélien donne une légitimité à la législation israélienne. Aux yeux de ce mouvement, l'implication dans les élections israéliennes est une feuille de vigne couvrant un système politique essentiellement raciste qui assure principalement les intérêts juifs, tout en sabotant les principes de la justice et des droits de l'homme, ainsi que les droits historiques et collectifs du peuple palestinien. Les citoyens palestiniens en Israël sont victimes de l'« Etat juif » ; ils sont traités comme des citoyens de seconde zone alors que les juifs du monde entier « ont les clés » pour acquérir cette citoyenneté, comme cela a été formulé par la Cour suprême israélienne dans une décision datant de mars 2000.

L’idéologie sur laquelle est fondé le mouvement de boycott considère l'Etat d'Israël comme une entité colonialiste et rejette la solution à deux Etats. Les courants actifs du mouvement réclament un Etat démocratique unique et refusent de voir la lutte des Palestiniens en Israël comme la lutte civique d'une « minorité nationale » au sein des « outils cadre » israéliens, comme ils les appellent. La situation de minorité est, selon le mouvement de boycott, une condition imposée résultant du génocide ethnique de 1948, la Nakba. Le statu quo des Palestiniens en Israël en tant que minorité nationale est totalement injuste et ne peut donc former la base d'une plateforme civique propice à l'égalité, la justice ou la démocratie.

Cependant, la position théorique du mouvement de boycott ne répond pas à la réalité de la lutte d'1,3 million de citoyens palestiniens d'Israël complètement enfermés depuis près de 65 ans dans le système de gouvernance israélien. L'éducation, le logement, les infrastructures, l'assistance publique, l'économie ainsi que d'autres aspects importants de la vie sont entièrement contrôlés par le système politique israélien. Les Palestiniens d'Israël n'ont pas réussi à apporter une alternative indépendante aux espaces politiques existants, notamment en raison de la répression par Israël de tout mouvement politique portant un projet d'édification nationale et de la poursuite vicieuse des militants politiques palestiniens en général. Le mouvement de boycott rencontre des limites car il se concentre sur des préoccupations idéologiques fondamentales mais ignore complètement les préoccupations de base d'une communauté rattachée depuis 1948 à un Etat qui instaure des lois discriminatoires fondées sur des critères raciaux. Même les courants politiques les plus radicaux de cette communauté osent rarement contester la loi israélienne.

Ce que le mouvement de boycott a tendance à oublier, c'est que ce système colonial et raciste nous abandonne depuis de nombreuses années à la réalité d'un combat quotidien et désespéré pour la survie. D'après les statistiques portant sur les années 2013/2014, 55 % des Palestiniens d'Israël vivent sous le seuil de pauvreté, des dizaines de villages ne disposent pas de l'électricité ni de l'eau potable, tandis que plus de 50 % des jeunes n'ont pas le Bagrut (l'examen israélien d'entrée à l'université). Bien que ce qui précède ne permette pas d'être optimiste quant à la capacité de la représentation palestinienne au parlement israélien d’améliorer les conditions de vie précaires des Palestiniens d'Israël, ces derniers sont toutefois loin d'être convaincus que renoncer à la seule position de force dont ils disposent (leur présence à la Knesset) constitue la solution à leurs préoccupations.

Entre les positions rivales de la Liste unifiée et du mouvement de boycott des élections, un troisième groupe se forme : la majorité des Palestiniens d'Israël, qui s'affairent dans leur vie quotidienne pour tout juste satisfaire leurs besoins élémentaires, et qui ne croient plus au pouvoir de l'activisme politique ou à la possibilité de changement. En outre, cette majorité a perdu le rêve de voir s'effondrer ce régime raciste. Ainsi, les deux camps qui se font face dans le débat doivent prendre conscience du besoin criant de redonner à la communauté confiance et foi en l'engagement politique, et surtout afficher une volonté politique qui prenne en compte les préoccupations du peuple.
 

- Majd Kayyal est un écrivain palestinien publié par de nombreux journaux et sites web locaux et du monde arabe, dont le journal libanais Assafir Al-Arabi. Kayyal écrit aussi sur son blog littéraire personnel, « Message to the Tricontinental ».

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Légende photo : Jamal Zahalka, Ayman Odeh et Ahmed Tibi répondent aux journalistes lors d'une conférence de presse donnée par les membres de la Liste unifiée (AFP).

Traduction de l’anglais (original).

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