Maroc : Benkirane en route pour un troisième mandat à la tête du PJD
RABAT – Le prochain congrès du Parti de la justice et du développement (PJD, premier parti islamiste marocain) marquera-t-il la fin de l'ère Benkirane ou entérinera-t-il, au contraire, son retour en force au parti ?
Annoncé avant fin 2017, ce congrès décidera de la trajectoire et de l’orientation du parti pour les cinq prochaines années, cristallisera les tensions entre partisans de l'actuel secrétaire général Abdelilah Benkirane et ceux du chef du gouvernement Saâdeddine el-Othmani.
Abhorré par une partie des bases, critiqué en interne, Othmani, par ailleurs président du conseil national du PJD, semble mis en minorité à l'intérieur du parti, qui souhaite s'inscrire dans une position de soutien critique vis-à-vis du gouvernement.
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Après un silence de plusieurs semaines, durant lesquelles il avait déclaré « avoir envisagé de se retirer de la vie politique », le secrétaire général sortant du PJD a fait, samedi 1er juillet, une sortie très commentée.
Dans une allocution prononcée devant les élus de son parti,et rendue publique quatre jours plus tard, l'ex-chef du gouvernement limogé par le roi s'est adonné à l'un de ses exercices préférés.
Loin de ses discours de campagne enflammés, c'est un Benkirane apaisé mais frontal qui, dans un long monologue aux airs d'exposé général sur la situation au Maroc, a répondu aux préoccupations des membres de son parti, a partagé ses vues sur un certain nombre de questions et, surtout, canalisé et redirigé les griefs exprimés par ses sympathisants.
« À moins de nous redresser en tant que pays, peuple et État, nous sommes condamnés à disparaître »
-Abdellilah Benkirane
« Nous sommes dans le cadre d’un système qui fait coexister réforme et corruption. Tout y est mélangé, brouillé. Mais dans beaucoup de cas, c'est la corruption qui l'emporte », a déclaré Abdelilah Benkirane.
« Je n'ai pas peur pour mon parti, mon parti peut échouer. Ce qui compte pour moi, c'est ma patrie. À moins de nous redresser en tant que pays, peuple et État, nous sommes condamnés à disparaître. »
Dans un contexte où certains membres de son parti n'hésitent plus à critiquer le Palais, aussi bien pour le limogeage de Benkirane que pour la gestion du hirak, le secrétaire général a également rappelé que « la monarchie au Maroc ne peut être remise en question ».
« Je vous dis cela pour que vous connaissiez vos limites », a ajouté Benkirane, considérant que « ceci risque d'être fatal pour le pays ». « On peut critiquer le gouvernement, ou même un conseiller [du roi], ce n’est pas un problème. Ils ne sont pas sacrés ».
Une procédure codifiée
S’il élude la question de sa candidature à un troisième mandat à la tête du PJD, Abdelilah Benkirane ne ferme pas non plus la porte à cette éventualité en laissant cette question entre les mains du Conseil national, considéré comme le parlement du parti.
En effet, les statuts du parti ne lui autorisent que deux mandats consécutifs. Que ceux-ci soient amendés pour que Benkirane puisse obtenir un troisième mandat « est une demande qui a effectivement été formulée par certains de nos militants », avait déclaré Abdelhak el-Arabi, directeur général du parti, à Middle East Eye fin juin. « Ils estiment que compte tenu de la situation que traverse le parti, il faut donner une troisième chance à Abdelilah Benkirane. »
En décidant de la tenue d'un conseil national extraordinaire le samedi 15 juillet, le secrétariat général du parti de la lampe a enclenché la machine qui devrait accorder un troisième mandat à Benkirane ou porter un nouveau secrétaire général à la tête du PJD, à un moment où tout semble favoriser le secrétaire général sortant.
« Notre congrès était prévu pour juillet 2016. Mais puisque que les élections législatives devaient se tenir trois mois plus tard, nous avons décidé de le reporter afin de donner la priorité à la préparation des élections. Nous avons réuni un congrès extraordinaire pour entériner cela », explique Souleïman el-Amrani, vice-secrétaire général et porte-parole du PJD à MEE.
« Nous sommes un parti qui choisit ses candidats, non un parti où ils se présentent d'eux-mêmes »
-Souleïman el-Amrani, vice-secrétaire général et porte-parole du PJD
Deux conseils nationaux extraordinaires du PJD devraient se tenir avant le congrès. Lors du premier, le 15 juillet, plusieurs aspects liés au prochain congrès seront abordés comme la date, la représentation des sections régionales et des sections à l'étranger ou encore la procédure d'élection des congressistes.
Le deuxième conseil national extraordinaire sera consacré à l'élaboration du programme et des documents du congrès et décidera si oui ou non, Benkirane pourra briguer un troisième mandat.
Au sujet des candidatures, la procédure en vigueur au PJD est claire : « Nous sommes un parti qui choisit ses candidats, non un parti où ils se présentent d'eux-mêmes », s'enorgueillit el-Amrani.
Benkirane nomme quatre de ses proches au secrétariat général
Dans les faits, c'est au conseil national de désigner les candidats. Le conseil national entrant – qui sera élu lors de la réunion extraordinaire – et sortant – qui siège actuellement – choisiront secrètement les candidats pour le poste de secrétaire général. La liste des candidats sera ensuite examinée par les congressistes qui voteront.
Maître du calendrier de son parti, Abdelilah Benkirane semble déterminé à tirer profit du moment politique.
En perte de popularité, aussi bien pour sa conduite des négociations qui ont précédé la formation du gouvernement que pour la gestion gouvernementale du hirak, où il ne joue qu’un rôle mineur, Saâdeddine el-Othmani peine à conquérir au-delà des ministres de son parti.
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Afin de rééquilibrer la balance en sa faveur, Abdelilah Benkirane a, de son côté, intégré quatre nouveaux membres au secrétariat général de son parti : Jamaâ al-Mouatassim, chef de cabinet de Saâdeddine el-Othmani, qui occupait ce même poste aux côtés de Benkirane et reste très proche de ce dernier, Mohamed Hamdaoui, ancien président du Mouvement unicité et réforme (MUR), bras idéologique du PJD, Abdelaziz el-Omari, maire de Casablanca et ancien ministre chargé des relations avec le Parlement, et Saïd Khaïroun, ex-président de la commission des finances à la Chambre des représentants.
Tous les quatre proches de Benkirane, ils défendront son orientation pour le parti et ses propositions au secrétariat général.
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