Maroc : première crise politique pour Othmani, poignardé par les siens
RABAT – Saâdeddine el-Othmani a fait du Saâdeddine el-Othmani. « La majorité gouvernementale continue de remplir ses missions de manière normale ». Et le Parti de la justice et du développement (PJD, islamistes) reste « attaché à la cohésion de la majorité et fidèle à ses alliances et à ses engagements ».
Sans vagues, le chef du gouvernement marocain, jusque-là resté en retrait de la crise qui secoue la majorité, a été obligé de mettre sa casquette de secrétaire général du PJD pour s’exprimer, mardi 13 février au soir lors d’une réunion de la direction de son parti, au sujet des tensions que traverse la majorité gouvernementale.
Il faut dire que la crise est sévère. Il a fallu une sortie publique, une seule, pour mettre à mal la majorité. Samedi 3 février, l'ancien chef du gouvernement Abdelilah Benkirane a tenu l'un de ses rares meetings depuis son départ.
Devant les membres de son parti, Benkirane s’est interrogé sur l'identité de la « voyante » qui aurait prédit au patron du Rassemblement national des indépendants (RNI, libéral) une victoire électorale en 2021. Aziz Akhannouch, milliardaire proche du Palais qui cumule la présidence du RNI avec le portefeuille de l'Agriculture, avait déclaré quelques jours auparavant que son parti allait remporter les prochaines élections législatives.
« D'où tient-il cette garantie ? Et qui l'a assuré de sa victoire ? », a entonné Benkirane. « Veut-il reproduire l'expérience d'un certain parti, qui a échoué ? », a-t-il ajouté, faisant référence au Parti authenticité et modernité (PAM), fondé en 2008 par Fouad Ali el-Himma, ami d'enfance et conseiller du roi, pour faire obstacle au PJD.
Poursuivant dans sa lancée, Abdelilah Benkirane a également mis en garde Akhannouch contre l'imbrication « entre politique et business », jugée « dangereuse » pour le pays. Et comparé le premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP, socialiste) Driss Lachgar à un lutteur de sumo, en raison de sa corpulence.
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La sortie de Benkirane a entraîné une cascade de réactions. Jeudi 8 février, les ministres du RNI ont séché les travaux du Conseil du gouvernement. Une première pour ce parti dont les ministres, en grande partie des technocrates, sont connus pour leur discipline. Si le RNI a officiellement démenti tout boycott, les informations distillées par le parti via différents organes de presse en font bien état.
Le chef du gouvernement a tenté de dépasser la crise lors d'une réunion des chefs de la majorité, jeudi 8 février. Soutenu par le cartel qui a destin lié avec le RNI – l'Union constitutionnelle (UC, libéral), le Mouvement populaire (MP, libéral) et l'Union socialiste des forces populaires (USFP, socialiste) – Aziz Akhannouch a jugé les déclarations de Benkirane inacceptables. Saâdeddine el-Othmani a dit ne pas cautionner les propos tenus par son prédécesseur, et avait promis d’émettre un communiqué au lendemain de la réunion, avant de se rétracter.
Mais cela n'a pas suffi : samedi dernier, les ministres du RNI se sont absentés d'une tournée ministérielle importante à Jerada, qui connaît des manifestations depuis plusieurs semaines après des décès de mineurs dans des puits de charbon désaffectés, et dont les habitants réclament des alternatives économiques.
L'argument mis en avant par le RNI : ses ministres devaient animer une rencontre partisane à Laâyoune. « C'est un acte irresponsable », s’emporte un parlementaire de l’opposition contacté par Middle East Eye. « On ne peut pas s'esquiver d'une rencontre aussi importante, destinée à calmer un mouvement social en prétextant un meeting partisan. Les intérêts de la nation doivent primer sur ceux du parti ! »
Une charte commune
Des ministres du parti ont pour leur part publiquement pris leurs distances avec les déclarations de Benkirane. Au site d'information Le360, le ministre chargé des Affaires générales, Lahcen Daoudi, a affirmé que « cette sortie fracassante est embarrassante pour le chef du gouvernement, Saâdeddine el-Othmani ».
Mustapha Ramid, ministre des droits de l'homme, a de son côté martelé que « le chef du gouvernement n'acceptait aucune atteinte à l'égard de ses ministres » lors d'une conférence organisée ce mardi par l'agence de presse officielle du royaume.
Si l’USFP, le MP et l’UC se sont alignés sur la position du RNI, le Parti du progrès et du socialisme (PPS, socialiste) a, lui, condamné le boycott du Conseil du gouvernement par le parti de Aziz Akhannouch. Dans un communiqué diffusé à l’issue de la réunion du bureau politique du parti, lundi 12 février, la formation politique de gauche a qualifié d’« inédite » et d’« inappropriée » la réaction du RNI, de « ne pas remplir ses missions constitutionnelles ».
Cette crise intervient au moment où les partis siégeant au gouvernement devaient signer la charte de la majorité.
Ce document, qui devrait « grosso modo reconduire les principaux engagements de l'ancienne charte, avec quelques nouveautés », selon le secrétaire général du PPS Nabil Benabdellah contacté par MEE, détaillerait les engagements communs visant à assurer la cohésion de la majorité : nécessité d'une coordination dans le gouvernement et au Parlement – via des consignes de vote – solidarité des composantes de la majorité et mise en place de mécanismes de consultation et de résolution des conflits.
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Aucune date n'a été fixée pour la signature de la charte. « La date du jeudi 15 février a pu être évoquée, sans rien d'officiel dans ce sens. Mais vu la situation actuelle, il est possible qu'il y ait un report », révèle une source proche du dossier.
Des médias marocains ont rapporté que le RNI et l’USFP ont exigé une clause interdisant aux leaders des partis de la majorité toute prise de position hostile envers l’un ou l’autre parti de la coalition.
Contactés par MEE pour savoir s'ils avaient demandé à ce que cet engagement soit contractualisé dans la charte, le premier secrétaire de l'USFP Driss Lachgar n'a pas souhaité répondre à nos questions. Les dirigeants du RNI sont restés injoignables.
La froide réaction d’Othmani va-t-elle suffire à éteindre la crise ? « En évitant de désavouer publiquement Abdelilah Benkirane, qui jouit encore d'une grande popularité au sein du parti, ou d'opposer un refus aux demandes du RNI, Saâdeddine el-Othmani veille à ne froisser ni ses bases, ni ses partenaires de la majorité », commente un proche du parti à MEE. « Mais dans ce numéro d'équilibriste, le chef du gouvernement risque, d'un côté, de ne pas apaiser la colère de Aziz Akhannouch qui souhaite qu'Othmani prenne position de manière claire contre les propos tenus par Benkirane, de l'autre, de s'aliéner le soutien d'une partie de ses bases, pour qui le parti devrait être plus ferme vis-à-vis du parti d’Akhannouch. »
Cet épisode met en évidence la nouvelle ligne de conduite du RNI qui, depuis la nomination de Aziz Akhannouch, a opté pour un positionnement plus agressif et cherche à prendre l'ascendant sur le PJD
Cet épisode vient en tout cas illustrer les rapports de force asymétriques au sein de la majorité : le PJD dirige le gouvernement, mais son seul soutien sûr dans la coalition est le PPS, tandis que le RNI chaperonne un cartel composé du MP, de l'UC et de l'USFP.
Il met également en évidence la nouvelle ligne de conduite du RNI qui, depuis la nomination de Aziz Akhannouch, a opté pour un positionnement plus agressif et cherche à prendre l'ascendant sur le PJD.
Du temps de Salaheddine Mezouar, l’ancien patron du RNI, les incartades d’Abdelilah Benkirane ne suscitaient que des moues grincheuses. Désormais, toute attaque pourrait déboucher sur des tensions. Aziz Akhannouch multiplie d'ailleurs les meetings partisans, et semble déjà, avoir un pied en 2021.
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